Les jeunes Québécois ne reçoivent pas tous une éducation sexuelle de qualité. Près de 10 ans après la réforme scolaire, les cours d'éducation à la sexualité sont en voie de revenir de manière plus uniforme dans les écoles. Une adaptation nécessaire, entre autres en raison de l'essor des nouveaux médias.

«Pornification» de la culture populaire, échanges de «sextos», retour en force des stéréotypes: l'éducation à la sexualité a de grands défis à relever. Mise à jour au sujet d'un champ que l'école n'a jamais complètement délaissé.

Entendre dire que l'éducation sexuelle sera «de retour» à l'école fait tiquer Francine Duquet, spécialiste du domaine. La réforme de l'éducation, il y a 10 ans, a balayé le cours de «Formation personnelle et sociale» (FPS) dans le cadre duquel bien des adolescents des années 80 et 90 ont entendu parler de sexualité, c'est vrai. Or, un autre programme a été mis en place dans la foulée.

L'esprit de ce programme, qu'elle a rédigé, était de favoriser l'implication de tout le milieu scolaire autour de l'éducation à la sexualité et aux relations interpersonnelles. Qu'un surveillant dans la cour d'école intervienne «si un petit garçon se fait traiter de fif», par exemple. Le surveillant n'aura peut-être pas eu l'impression de faire une démarche d'éducation sexuelle, «mais dans les faits, c'est aussi ça», insiste la professeure de sexologie de l'UQAM.

«La critique, c'était: si tout le monde le fait, personne ne le fait, reconnaît-elle. En réalité, l'approche voulait que tout le monde se sente concerné, mais que certaines personnes soient davantage impliquées.» Les directions d'écoles ou une personne mandatée par celles-ci devaient coordonner les différentes initiatives. «C'est là où ç'a été très inégal», constate Francine Duquet, qui déplore que le programme instauré au moment de la réforme n'ait pas « bénéficié de conditions d'implantation optimales ».

Et maintenant?

Le «retour» de l'éducation à la sexualité dont il est question en ce moment consiste surtout dans l'établissement par le ministère de l'Éducation, du Loisir et du Sport (MELS) des apprentissages qui seront considérés comme obligatoires, selon Francine Duquet, et non dans le rétablissement d'un cours du type FPS. Yasmine Abdelfadel, porte-parole du ministre Yves Bolduc, parle pour sa part d'implantation d'un programme «uniforme d'éducation à la sexualité».

Cathy Tétreault, présidente du Centre Cyber-aide, se réjouit du mouvement qu'elle sent au MELS. La femme de la région de Québec a lancé en février dernier une pétition demandant l'instauration de cours «spécifiques» d'éducation à la sexualité. Pour elle, le temps presse, ce que dit aussi clairement son mémoire présenté en octobre: L'urgence d'agir.

«Les jeunes en ce moment dans les écoles ont des comportements inappropriés», tranche-t-elle, évoquant en bloc une hausse des comportements agressifs dans les couples, des victimes de pornographie juvénile, de l'hypersexualisation des jeunes filles, des visions stéréotypées du garçon et de la fille, des infections transmissibles sexuellement chez les adolescents, ainsi que de l'accès facile à la pornographie. «L'urgence, résume-t-elle, c'est de proposer un contre-discours à la pornographie.»

L'impact de la porno, autrement plus accessible qu'il y a 10 ans seulement, suscite des inquiétudes dans bien des milieux. On s'inquiète de son influence sur les pratiques sexuelles des ados, mais plus globalement sur la vision des rapports sexuels proposée par ce matériel. Son impact sur les enfants, qui grandissent dans un contexte de «pornification» de la culture populaire, soulève aussi des questions.

«Les enfants sont sollicités très petits par des images qu'ils ne comprennent pas toujours», a constaté le sexologue belge Florent Loos, qui dirige des ateliers d'éducation à la sexualité avec des élèves parfois âgés de 7 ou 8 ans. Les clips très sexués d'une Nicki Minaj, par exemple, sont en effet accessibles à tous en seulement quelques clics. «Il n'y a pas suffisamment de messages opposés et compétitifs, estime Francine Duquet. C'est là où l'éducation à la sexualité - y compris dans la famille, car les parents demeurent les premiers éducateurs - permet ce recul-là.»

«Accompagner» les jeunes 

Même si elle évoque également les sextos, ces échanges de photos ou de courtes vidéos à connotation sexuelle pratiqués par certains jeunes, Cathy Tétreault affirme ne pas chercher à protéger les ados contre eux-mêmes. «Ils vont chercher de l'information sur l'internet, ils sont curieux, c'est normal, dit-elle. Par contre, il faut répondre à leurs questions, aiguiser leur jugement et les accompagner.» Elle croit toutefois que ni les parents ni les écoles ne sont outillés adéquatement à l'heure actuelle.

«L'avantage d'amener la discussion dans le contexte scolaire - sous la supervision d'un adulte dûment formé - est que ça permet les discussions entre adolescents, juge la sexologue Geneviève Parent. Ces échanges revêtent une grande importance.» Florent Loos ajoute qu'une éducation sexuelle à l'école, dans des sociétés cosmopolites, permet aussi de donner une information juste aux jeunes issus de familles ou de cultures où on ne parle pas de ça à la maison.

«L'idée selon laquelle la jeunesse a une sexualité débridée est très répandue», a constaté le sociologue américain Joel Best. Or, elle est grandement exagérée, selon lui. Le professeur qui enseigne au Delaware a d'ailleurs consacré un livre (cosigné avec Kathleen A. Bogle) au déboulonnage des mythes des «rainbow parties» (jeu de fellations en groupe) et des «bracelets sexuels», qui ont effrayé l'Amérique au cours de la dernière décennie.

La jeunesse québécoise n'est toutefois pas en perdition, si l'on se fie aux données publiées cet automne par l'Institut de la statistique du Québec: seuls 40% d'entre eux ont leur première relation sexuelle avant d'atteindre la majorité. Une minorité (environ 15%) revendique plus de trois partenaires sexuels entre 15 et 24 ans. L'utilisation d'un moyen de contraception est par ailleurs très répandue.

«Ce que j'espère depuis tant d'années, c'est qu'on instaure une culture de l'éducation à la sexualité, dit Francine Duquet. Qu'on réalise son importance.» La sexualité ne se limite pas à la génitalité. Poser la question de l'éducation sexuelle, selon elle, c'est aussi se demander quel genre d'hommes et de femmes nous voulons que nos garçons et nos filles deviennent.

Un rôle accru pour les pères?

L'actualité récente, en particulier l'affaire Jian Ghomeshi, a mis en lumière un élément clé d'une vie sexuelle saine: le consentement. Ce thème est bien sûr abordé à l'école. Serait-il temps pour les hommes de s'impliquer davantage auprès de leurs fils et de leurs pairs pour contribuer à améliorer les choses? Geneviève Parent, sexologue clinicienne, croit que la voix des hommes auprès des garçons et des autres hommes aurait en effet un poids important et favorable. «Les gars ont une façon de se parler qui est plus directe aussi, dit-elle. Souvent, les responsabilités de l'éducation [NDLR: y compris l'éducation sexuelle] sont balayées vers la mère, qui joue un rôle extraordinaire, mais le père est souvent mis de côté.» D'autres intervenants estiment aussi que la valorisation du consentement en gestes et en paroles par les hommes serait un bon exemple pour les adolescents. Mme Parent croit que les jeunes peuvent aussi intervenir entre eux pour inciter l'un d'eux à lâcher prise si une fille n'est pas intéressée. «[Les garçons] se parlent beaucoup plus qu'on peut le penser», fait-elle valoir.

De quoi parler en 2014?

Les ados seront toujours des ados, mais les contextes dans lesquels ils évoluent changent constamment. Où est l'urgence: parler de sodomie ou de baiser mouillé? Que prioriser en 2014? Point de vue d'experts.

La première fois

«On pense que c'est dépassé, mais les jeunes ont encore beaucoup de craintes et ils n'osent pas nécessairement le dire. Les garçons encore moins, assure la sexologue Geneviève Parent. Les craintes sont de part et d'autre: les garçons s'inquiètent souvent de leur performance, de ce dont ils auront l'air, alors que les filles ont plus de craintes concernant la douleur, la peur d'être utilisée, de ne plus être aimée après s'être donnée...»

Relations amoureuses

«Les jeunes sont bombardés avec l'internet, bien sûr, même si c'est un bouc émissaire un peu facile, estime Mme Parent. Il reste qu'ils ont beaucoup accès à la sexualité au moyen de la pornographie, mais il n'y a pas beaucoup de gens pour leur parler d'amour, de ce qui est acceptable ou pas dans une relation. Ça permet de parler de jalousie, de dépendance, de violence physique ou psychologique, de consentement. (...) Il y a des gars aussi qui n'ont pas le goût et qui n'osent pas le dire à leur blonde.»

Un contrepoint à la porno

«Il faut essayer de leur ouvrir les yeux sur ce que devrait être la sexualité par comparaison à ce qu'ils entendent et ce qu'ils voient [dans la pornographie]», juge Virginie Barbet, présidente de l'Association Éducation Sexuelle en France. C'est délicat, car il peut y avoir un décalage énorme entre les élèves du même âge: certains ne savent pas ce que signifie sodomie, d'autres se vantent de s'être «fait sucer». L'association qu'elle préside a réalisé sept petits films sur le site Éducation sensuelle.com qui montrent «complètement autre chose, pour éveiller les jeunes aux dimensions affectives et psychologiques de la sexualité. Leur donner envie de respecter leur corps et celui de l'autre».

Les nouveaux médias

«Les nouveaux médias en général constituent un enjeu majeur, juge le sexologue belge Florent Loos. On a à peine mis en place quelque chose pour la pornographie qu'arrive le problème des réseaux sociaux. La grande mode, c'est d'envoyer des photos de soi nu par texto et l'autre a 10 secondes pour faire une capture d'écran. Après, ils peuvent l'envoyer à tout le monde. (...) L'adolescent a toujours eu besoin de séduire, de plaire, mais ce qui arrive avec les réseaux sociaux c'est qu'il y a des jeunes qui se mettent en danger parce qu'ils ont besoin d'être aimés.»

Négociation relationnelle

«On doit amener les jeunes à réfléchir au type de relation qu'ils veulent et aux valeurs qui comptent pour eux, juge Tania St-Laurent-Boucher, formatrice chez Tel-Jeunes et LigneParents. Ils doivent se demander ce qu'ils attendent d'une relation amoureuse ou d'une relation sexuelle. Réfléchir avant que les demandes de photos sexy ou de strip-tease par webcam arrivent pour qu'ils n'aient pas à se décider sur le moment.»

Sexe sécuritaire

«On ne peut pas passer à côté, convient Geneviève Parent. Les jeunes ont le sentiment qu'il y a plein de médicaments, que tout se traite, mais ce n'est pas si simple. Il faut en profiter pour envoyer un message plus global, pas juste de dire de se protéger pour se protéger, mais de parler de respect de soi: je m'aime, j'aime mon corps et j'en prends soin.»

Quelques liens pour les adolescents

Éducation sexuelle par la sensualité

www.educationsensuelle.com

Victime ou témoin d'exploitation sexuelle, partage de sextos, etc.

www.aidezmoisvp.ca

Tel-Jeunes

www.teljeunes.com

Jeunesse, J'écoute

www.jeunessejecoute.ca