Il est pratique («t'es où?»), souvent direct («un verre?»), parfois pompette («saluuuut!») et peut venir accompagné de photos qu'il vaudrait mieux garder pour soi (ça, c'est censuré). Le texto s'est immiscé partout entre nous et nos proches. Plus encore, peut-être, entre nous et ceux dont nous voudrions nous rapprocher...

« Quand tu rencontres une fille dans un bar et que tu échanges ton numéro de téléphone, pendant la soirée, tu peux déjà échanger des textos. Ça brise la glace », juge Charles, 30 ans, qui a beaucoup joué du texto pour flirter et séduire des filles.

À force de se faire répéter qu'on vit à l'ère de l'image, on oublie facilement qu'on communique vraiment beaucoup par écrit de nos jours. Et que parmi les milliards de textos envoyés quotidiennement sur la planète se trouvent assurément des centaines de millions de mots doux et de caresses textuelles.

«On n'a jamais eu autant de mots autour de nous: les textos, Twitter, le courriel, l'internet en général. Les modes de communication écrite se sont multipliés, et il est vrai qu'on n'avait pas prévu ça», observe Benoît Melançon, spécialiste de la littérature épistolaire au département des littératures de langue française de l'Université de Montréal.

Instantané, discret, facilement accessible, le texto est un mode de communication à part. Il a un caractère extrêmement privé - son téléphone portable, on ne le partage pas - et il permet de communiquer lorsqu'une conversation est impossible. Ou trop intimidante à son goût. Bref, c'est comme s'il avait été conçu pour transporter les confidences.

Si loin, si proche?

Camille, 18 ans, a déjà vécu une relation initiée par des échanges de textos. «Ça avait préparé le terrain», se rappelle-t-elle. Fannie, qui a 10 ans de plus, a beaucoup aimé le texto quand elle a vécu une longue relation avec un gars vivant dans un autre pays. «C'était cool parce que c'était comme de parler à l'autre, raconte-t-elle. Tu as l'impression que l'autre est à côté de toi.»

Cette impression de proximité a un impact, selon elle, qu'on parle avec son amoureux ou avec un «prospect». «On se dit plus de choses sur nos sentiments et nos désirs», croit Fanny. Et c'est justement la raison pour laquelle Natacha Beatty, de l'agence Intermezzo, conseille la prudence à ses clients. «On s'ouvre trop rapidement sans savoir si cette personne mérite d'avoir accès à cette information-là», prévient-elle.

Se dévoiler ou pas? Quoi dire? Quoi laisser entendre? Répondre ou pas? Tout de suite ou plus tard? Mine de rien, la séduction par texto soulève peut-être plus de questions que les conversations face à face. «Je suis toujours un peu stressée par texto parce que beaucoup de choses peuvent être à double sens», avoue Camille.

Propice aux malentendus?

Marie-France Archibald, de coachdeseduction.com, trouve d'ailleurs que ces très courts messages favorisent les malentendus. «Les gens me disent parfois que l'autre personne ne comprend pas les messages qu'ils envoient ou que l'autre personne ne comprend pas qu'il ou elle n'est pas intéressé», dit la spécialiste de la séduction.

L'intention peut être difficile à décrypter sans l'intonation de la voix ou le langage non verbal, en effet. Or, Benoît Melançon croit que la longueur n'est pas garante de la clarté. Il cite l'exemple de Jean-Jacques Rousseau, un écrivain et philosophe français du XVIIIe siècle, qui prenait «un soin considérable» à écrire ses lettres et qui se plaignait, lui aussi, d'être mal compris.

L'ambiguïté ne déplaît pas tout à fait à Camille. «Il ne faut pas que ce soit trop clair, sinon ça tue le jeu, estime l'étudiante de Québec. Il m'est arrivé d'avoir une proposition très explicite par texto alors que, en personne, le gars ne m'avait jamais regardée dans les yeux... Ce n'était pas très gagnant!»

Charles, lui, admet le caractère ludique du texto, mais en parle plutôt comme d'un sport où il faut se montrer performant. «Il faut que tu arrives à garder les échanges intéressants pour montrer que tu es intéressé, dit-il. Il faut être drôle, que tu te trouves des points communs avec l'autre et il faut que tu montres que ta vie est intéressante, que tu n'es pas juste en train d'attendre ses textos...»

L'effet Cyrano

Savoir jouer sur les mots constitue un atout majeur pour atteindre son but. «Ce qui peut séduire, c'est le fait de voir si la personne a une belle plume», convient Natacha Beatty, de l'agence Intermezzo. La vôtre manque de fini? Avec le texto, quelqu'un peut écrire à votre place sans que l'objet de vos désirs ne le sache...

Élisabeth Clément-Schneider, qui s'est intéressée à l'usage des textos chez les ados, a en effet observé un jeune homme qui faisait écrire ses messages destinés à une fille par un ami plus doué que lui. Ce qu'elle a appelé «l'effet Cyrano», en référence au célèbre personnage affublé d'un énorme nez qui prêtait sa plume à un beau garçon dépourvu d'esprit.

«Je trouve ça génial ! Le discours commun veut que les jeunes écrivent des textos n'importe comment, qu'ils ne réfléchissent pas. Là, on a un exemple qui démontre que ce n'est pas vrai», s'enthousiasme Benoît Melançon. L'ami qui demande de l'aide témoigne de sa «grande conscience du langage», selon lui. «Quand on réfléchit comme ça, c'est qu'on a conscience que c'est le langage qui permet d'obtenir quelque chose ou pas.»

Texter ou ne pas texter?

«Je pense qu'on peut faire sourire et charmer l'autre personne d'une certaine façon avec des textos, mais c'est sûr que ça prend plus que ça. C'est en personne que ça se passe.»

- Natacha Beatty, matchmaker certifiée de l'agence Intermezzo

«Je ne prends pas ça au sérieux. J'aime mieux quelqu'un qui va m'appeler. Le texto, je trouve que c'est banal. [...] Mais pour le premier contact, c'est plus facile. On dirait que d'appeler, c'est devenu gênant.»

- Fannie, 28 ans

«Ça peut être une bonne entrée en matière avant de se voir. Ou un outil pour le lendemain d'une date, si on veut communiquer notre appréciation de la soirée. Mais ce n'est pas quelque chose qu'on peut faire dans la durée.»

- Marie-France Archibald, de coachseduction.com

«On a le temps de penser à ce qu'on veut dire, d'imaginer comment ça peut être interprété et se faire plein de scénarios. Face à face ou au téléphone, c'est moins maîtrisé. Le sentiment que j'ai quand je me lance un peu plus à l'eau par texto, c'est que je suis encore en contrôle.»

- Camille, 18 ans

«Il y a une chose qui rapproche très fort le texto de l'épistolaire: le danger de la circulation imprévue. Dans les lettres, on voit souvent des avertissements du genre "SVP, cachez cette lettre", mais il y a toujours des lettres qui finissaient dans des mains dans lesquelles elles ne devaient pas tomber. Cela se passait avec le papier et cela se passe avec le texto...»

- Benoît Melançon, spécialiste de la littérature épistolaire

«Avec le texto, tu as un temps de réflexion que tu n'as pas dans une conversation. Si tu ne sais pas quoi dire, tu peux prendre 10 minutes pour penser à l'endroit où tu veux amener l'autre personne, pour la manipuler. C'est toujours un peu ça, la séduction: essayer que la situation arrive à ce que toi, tu veux...»

- Charles, 30 ans