Quand Claudine a vu Patrick s'avancer vers elle sur la piste de danse, elle n'en croyait pas ses yeux. «Ce beau brun aux yeux foncés me demandait de danser avec lui», raconte-t-elle. Dans ce bar de Saint-Sauveur, ils ont dansé collés, ont échangé quelques paroles, leurs numéros de téléphone et ont, sans tarder, commencé à s'aimer.

«Quand je dansais avec elle, les yeux fermés, j'avais l'impression de l'avoir toujours connue. Je savais que c'était la bonne», confie Patrick, né Manon. Avant de changer de sexe, une centaine de femmes avaient défilé dans son lit. «J'étais dépendant affectif. Je fuyais qui j'étais», raconte-t-il.

Désormais, tout serait différent. Dans son corps d'homme, il n'avait eu aucune conquête. «J'étais mal à l'aise et je voulais me réserver pour la femme de ma vie.» Lors de leur deuxième rendez-vous, Patrick avait le coeur qui battait la chamade: il tenait à dire à Claudine tout le chemin qu'il avait parcouru.

C'est devant un café chez St-Hubert qu'il a tout déballé. Contre toute attente, Claudine n'a eu aucune réaction. Elle comprenait et compatissait. Mais au retour, dans la voiture, elle n'a pas retourné son baiser. «Pendant une fraction de seconde, je me suis imaginée embrasser une femme. Ça ne passait pas.» Tout était foutu, pensait-il.

«Jamais plus je n'ai eu cette impression, dit-elle. Je le percevais en homme. Je ne voyais pas de problème avec son passé.» La semaine suivante, il est arrivé avec sa valise et son bouquet de fleurs. Il n'est jamais reparti. En novembre, ça fera 15 ans que leur amour dure. Ils forment un couple soudé, plus fort d'avoir affronté vents et marées.

Claudine et Patrick ont tout enduré: commentaires déplacés, ragots, exclusion. Encore aujourd'hui. Ils ont très peu d'amis. «Je ne réalisais pas que, toute sa vie, Patrick aurait une étiquette. Il est vu comme un spécimen bizarroïde, déplore-t-elle. Par la bande, j'ai souvent été jugée, isolée. Par ma famille, mes collègues. On m'a même dit lesbienne refoulée. Mais notre amour est plus grand.»

Au fil des années, Patrick et Claudine se sont endurcis... et refermés sur eux-mêmes. «Je m'en veux tellement de l'avoir entraînée là-dedans», dit Patrick. Son histoire a pris beaucoup de place, surtout lors de l'écriture de sa biographie Changer de sexe pour vivre enfin. C'était devenu très lourd.

Aujourd'hui, ils ont tourné la page. Ils essaient de profiter des petits bonheurs à deux dans leur condo, à Laval. «J'ai un plaisir fou à cuisiner pour ma gourmande. J'aime les soirées romantiques, avec des chandelles partout», confie-t-il. Ils aimeraient avoir une maison centenaire, ouvrir une résidence pour les enfants rejetés, voyager en Italie et se marier.