Le sujet est délicat, souvent ridiculisé même. Associé à l'imaginaire pornographique, il suscite fascination, dégoût et scepticisme. Les « femmes fontaines» existent-elles vraiment? Oui, sait-on désormais. Mais le mystère reste complet autour du phénomène. Les scientifiques eux-mêmes sont dans le flou. L'auteur Jacques Salomé a voulu en savoir plus. Nous aussi.

Star de la «psycho pop «, Jacques Salomé assure que toutes les femmes peuvent être fontaines. Faux, rétorquent les experts. Son livre L'effet source : rencontres avec des femmes fontaine sera en librairie dès demain au Québec. Pendant 10 ans, l'auteur et conférencier français a recueilli des centaines de témoignages anonymes de «femmes fontaines». Il a vendu plus de 1 million de copies de ses précédents livres au Québec, alors on s'attend à un nouveau succès populaire.

«La première fois que je me suis mise à couler, que mon sexe s'est ouvert comme un fruit mûr qui éclate au soleil, j'ai eu le sentiment que tout mon corps se soulevait et que j'étais emportée par un immense flot de vie qui sourçait de moi, peut-on lire dès les premières pages de L'effet source. Oui, j'étais une source (...) je me répandais, abandonnée, noyée dans un liquide doux qui glougloutait à l'intérieur, ruisselait le long de mes cuisses»

Choquant? On parlait d'éjaculation féminine il y a 2000 ans déjà, confirment des chercheurs allemands dans l'édition de mai 2010 du Journal of Sexual Medicine. On trouve en effet une description du phénomène dans les écrits indiens anciens, dans plusieurs textes des Chinois taoïstes dès le IVe siècle et même chez Aristote. Pourtant, on en sait encore très peu sur ces femmes dites «fontaines», selon l'expression popularisée par la psychanalyste Frédérique Gruyer.

«Toutes les femmes sont fontaines. Il y a celles qui le savent et celles qui ne le savent pas, affirme Jacques Salomé en entrevue téléphonique. Il suffit parfois de trouver le bon sourcier. Je publie ce livre pour permettre à chaque homme et femme d'aller au-delà des dénis et de la trivialité grossière qui entourent le sujet (...) et de démystifier les croyances erronées.» Et si c'était l'inverse?

«Est-ce plutôt un bon coup de marketing? Attention, il ne faut surtout pas croire que le phénomène est universel et chercher la recette miracle à tout prix «, insiste le sexologue et psychologue Michel Campbell, qui a mené des travaux sur l'orgasme. Il reçoit à l'occasion des femmes qui se plaignent d'être «fontaines».

Qu'est-ce que l'éjaculation féminine? Les scientifiques cherchent toujours. «Il est clair que certaines femmes rapportent une éjaculation et qu'elles la considèrent comme faisant partie de leur réponse sexuelle normale», indique le docteur Rufus Cartwright, urogynécologue et chercheur à l'Institute of Reproductive and Developmental Biology de l'Imperial College of London. À partir de là, rien n'est prouvé.

Selon le constat de certains chercheurs, l'éjaculation féminine serait l'émission importante, lente ou jaillissante, d'un liquide sécrété par les glandes de Skene via l'urètre au moment de l'orgasme. Toutes les femmes ont des glandes de Skene, probablement un vestige de la prostate lors de la différenciation sexuelle embryonnaire. Celles-ci sont plus ou moins développées. «Ces glandes apparaissent néanmoins trop petites pour produire et contenir une importante quantité de liquide», souligne le Dr Cartwright, expert souvent appelé à réviser les articles scientifiques de ses pairs sur la question. «Mon impression est que l'éjaculat est un mélange d'urine et de sécrétions vaginales, mais les recherches sont bien souvent non concluantes.»

N'est donc pas fontaine qui veut. Le phénomène est physiologique et touche une minorité de femmes. Combien? «On ne sait pas, mais c'est inhabituel», soutient le Dr Cartwright. Selon une étude américaine publiée en 1990, 39,5% des femmes affirmaient ressentir une éjaculation au moment de l'orgasme. Des chercheurs espagnols avancent plutôt que 75% des femmes éjaculent lors de l'orgasme, mais que le phénomène passe le plus souvent inaperçu.

Des expériences réalisées en 1996 à l'Institute for Advanced Study of Human Sexuality, en Californie, ont montré que le liquide sécrété chez des femmes qui éjaculaient lors de l'orgasme était surtout composé d'urine. Des chercheurs ukrainiens ont de leur côté avancé que le liquide, chez leurs sujets, était plutôt inodore, incolore, à peine visqueux, un peu plus épais que l'eau et qu'il contenait des particules moléculaires que l'on retrouve chez l'homme dans la prostate. Certaines femmes expulseraient jusqu'à 100 ml de fluide. «Selon moi, lorsqu'on parle d'expulsion en jet, comme les images véhiculées en pornographie, il s'agit d'urine», précise le Dr Cartwright.

Qui dit vrai? «L'objet d'étude est complexe et les protocoles des recherches sont lacunaires, note le sexologue Michel Campbell. Les rares travaux sont basés soit sur des questionnaires, soit sur des échantillons qui sont trop petits. Il faudrait des études plus rigoureuses, mais les subventions manquent.» Et comme le rappelle le Dr Cartwright, «le problème est de mener des expérimentations rigoureuses et contrôlées pendant que des sujets ont des relations sexuelles». En attendant que les scientifiques élucident le mystère, plusieurs femmes se délectent de leur fontaine, synonyme de plaisir extrême, tandis que d'autres vivent au contraire beaucoup de honte et de détresse. Jacques Salomé donne la parole à ces femmes qui vivent bien ou moins bien leur «source qui jaillit», et qui revendiquent leur droit à la différence.

L'effet source : rencontres avec des femmes fontaine, de Jacques Salomé, 190 p., 22,95$

Photo: La Presse

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