Raphaël, âgé de 4 ans, pense qu'il est sorti du ventre de son père adoptif. «Il est tellement fier de dire qu'il a deux papas. Il a de la difficulté à comprendre d'où il vient», confie Gary Sutherland. Son conjoint Antonio Ortega et lui ont accueilli le garçon d'origine haïtienne alors qu'il avait 4 mois, en 2006.

«Le premier soir, je paniquais. Il fallait donner le biberon, changer la couche. On était sur le qui-vive. La première nuit, il s'est réveillé aux trois heures. Ça a changé notre vie du jour au lendemain», confie-t-il. Parents et amis ont été d'un grand soutien.

 

Quatre ans plus tard, la famille vit au rythme du train-train quotidien. Ou presque. Quand ils sortent, ils attirent immanquablement les regards. «C'est rarement négatif, mais les gens sont curieux. Ils se permettent de poser toutes sortes de questions: sa mère est-elle noire? D'où vient-il? L'avez-vous adopté?» Le couple, parfois exaspéré, se fait un devoir de toujours dire la vérité. «Certains en sont bouche bée.»

À la garderie, même si certaines éducatrices sont incapables de prononcer le mot homosexuel, le milieu est très ouvert. À la fête des Mères, Raphaël fait une carte à Gary ou à Antonio. L'année dernière, il a préféré en bricoler une pour sa marraine. Tous savent qu'il a deux pères. «Les enfants sont jaloux parce que Raphaël a deux papas pour jouer!»

Si ça se passe plutôt bien, Gary et Antonio craignent le pire à l'école. «Raphaël se fera probablement harceler. L'homophobie est encore présente», déplore Gary. Avec la Coalition pour les familles homoparentales, il fait d'ailleurs de la démystification auprès de futurs enseignants ainsi que dans les écoles et les garderies.

«La situation peut être intolérable pour un enfant lorsqu'il est stigmatisé par association, explique Danielle Julien, professeure de psychologie à l'UQAM. S'il est heureux avec ses deux papas, il ne comprend pas ce qui cloche, pourquoi il est persécuté. Ce n'est pas logique. Très tôt, les parents sentiront le besoin de préparer leur enfant à affronter la situation si elle se présente.»

Frédéric et Tristan y pensent déjà. «Maxime adore aller à la piscine, à ses cours de musique. On nous regarde parfois de travers, mais on ne va pas se priver de sortir. Pour faire avancer la cause de l'homoparentalité, il faut se montrer, croit Frédéric. On doit s'assumer, sinon l'enfant va le ressentir. Un jour, il aura sûrement à défendre sa différence. On le préparera du mieux qu'on peut.»

«On ne se cache pas. On va au centre commercial à Amos comme au Gay Pride avec Vincent, raconte Yannick. Plusieurs gais, trop âgés pour adopter, nous envient. Les gens, gais comme hétéros, sont heureux pour nous.» Comme la plupart des couples gais avec enfants, ils fréquentent davantage des familles hétérosexuelles. «On partage les mêmes intérêts, on est sur la même longueur d'onde.»

La question reste en suspens: comment grandiront ces enfants? Michel Carignan, du Centre jeunesse de Montréal, s'interroge. «Comme c'est nouveau, les réponses à long terme manquent. Portent-ils cette différence comme un lourd fardeau ou nagent-ils là-dedans avec grande aisance?»

«Notre enfant n'aura pas la même vie que ses voisins. Il a deux papas, dont un d'origine mexicaine. On voyage beaucoup, on parle trois langues. Je pense que ça en fera un garçon sensible, curieux, ouvert d'esprit et tolérant», dit Gary Sutherland, confiant.

Plus il y aura de modèles de familles homoparentales, plus les barrières tomberont, affirme Danielle Julien. «Les jeunes gais et lesbiennes savent déjà qu'il leur est possible de fonder une famille sans mettre de côté leur identité sexuelle. Les options sont là. C'est tout récent. On verra probablement émerger de plus en plus de familles homoparentales.»