Les inventions de légumes sont assez rares. Pourtant, ce rayon ne cesse de prendre de l'ampleur et de changer de visage dans nos supermarchés. Pourquoi ? Parce que l'industrie innove. Elle propose désormais une foule de légumes déjà lavés, coupés, mélangés et assaisonnés.

Du brocoli en forme de trèfle, du chou-fleur aux allures de couscous, de la courge musquée déguisée en fusillis, des courgettes transformées en spaghettis... L'industrie alimentaire ne manque pas d'imagination pour propulser les ventes de légumes en misant sur le manque de temps des consommateurs, leur paresse ou leur manque de savoir-faire en cuisine.

Il fut une époque où toutes les carottes fraîches se vendaient avec la pelure. Les laitues étaient forcément entières. Les courges aussi. Aujourd'hui, l'achat de « bébés carottes », épluchées et prêtes à manger, est banal. Idem pour ces laitues lavées en contenants de plastique. Les sacs de courge en cubes ne surprennent personne.

Les légumes lavés, coupés, mélangés, assaisonnés ou vendus dans des emballages (sacs ou barquettes) servant de plat de cuisson répondent clairement à un besoin, constate le nutritionniste Bernard Lavallée.

Les supermarchés débordent désormais de pommes de terre grelots qu'on fait cuire directement dans leur contenant, de maïs cuit sous vide, de légumes mélangés pour les sautés asiatiques et la sauce à spaghettis, de chou émincé, de haricots lavés aux bouts coupés, de verdures lavées et accompagnées de condiments, de betteraves en julienne, de courge en cubes.

Et l'engouement des clients est évident. Chez Provigo, cette catégorie est « en explosion depuis quatre ou cinq ans », résume Richard Lanthier, directeur principal responsable des produits frais. D'ailleurs, l'espace consacré à ces légumes qui facilitent la vie a été multiplié par trois pendant cette période. Et les ventes bondissent annuellement de 30 ou 35 %.

« Ça permet à l'industrie de vendre plus de légumes, parce que le conventionnel stagne. Le chou-fleur, les pommes de terre, le rutabaga, ce n'est pas en hausse », ajoute Geneviève Grégoire, porte-parole de Metro.

UNE RÉPONSE AUX RÉGIMES À LA MODE

« Avec les légumes dits à valeur ajoutée, on veut aller chercher les Y et les plus jeunes pour qui cuisiner, c'est assembler un repas. L'industrie mise aussi sur la paresse des consommateurs », explique Christian Guitard, directeur principal chez Bellemont Powell, une entreprise québécoise de mise en marché alimentaire qui représente notamment l'américaine Mann's.

Ce géant californien vient de lancer trois nouveaux produits étonnants : des « trèfles » de brocoli, du chou-fleur émietté et des choux de Bruxelles râpés. On les trouve dans certains Metro et IGA depuis quelques semaines.

Mann's affirme qu'il s'agit d'une « gamme révolutionnaire de légumes frais coupés en formes distinctives », sans agent de conservation. Chaque sac contient assez de légumes pour une famille de quatre personnes et peut être préparé en moins de cinq minutes (micro-ondes ou cuisinière).

« Ces nouveaux produis répondent à un certain nombre de grandes tendances de consommation, y compris la diète Carb Swap [de Jorge Cruise], le régime paléolithique, le sans gluten et le Whole30 », indique le président-directeur général de Mann's, Lorri Koster, dans un communiqué.

L'Association des producteurs maraîchers du Québec (APMQ) accueille favorablement la multiplication des légumes frais préparés. « Ça répond à un besoin », admet le directeur général André Plante.

COUPÉS ET SANTÉ ?

Ces légumes sont-ils aussi bons pour la santé ? Dès qu'on coupe un légume (ou un fruit), on commence à perdre des valeurs nutritives, rappelle Bernard Lavallée. Car les nutriments sont sensibles à la lumière. Mais est-ce que la perte est significative ? Non, répond le nutritionniste.

Et si les légumes prêts à cuire ou à manger font bondir notre consommation, nous sommes clairement gagnants. Par contre, mieux vaut éviter les légumes vendus avec des sauces, « qui contiennent souvent trop de gras, de sucre et de sel ».

Il faut aussi préciser qu'il n'y a pas lieu de s'inquiéter de l'atmosphère contrôlée dans les sacs. En modifiant le niveau d'oxygène et d'azote, les transformateurs empêchent les légumes de changer de couleur. Une technique qui n'a rien de dangereux.

Bernard Lavallée croit que la question des coûts est plus cruciale. Si on paie davantage pour du fromage râpé, on paie aussi pour la préparation des légumes. Trop cher, croit-il, puisque l'économie de temps est minime, « moins de cinq minutes généralement ».

Le nutritionniste a d'ailleurs calculé qu'acheter du chou émincé revient à payer quelqu'un 31 $ l'heure pour le faire à sa place. Dans le cas de la laitue romaine lavée et coupée, la facture grimpe à 112 $ l'heure. Pour les carottes râpées : 21 $ l'heure. « C'est sûr que c'est pratique. Après, il faut voir si ça vaut vraiment le coût. »

Ailleurs dans le monde

En matière de légumes frais « à valeur ajoutée », Christian Guitard de Bellemont Powell, un courtier alimentaire, estime que le Québec est « 10 ans en retard sur l'Europe ». Les purées, les écrasés et les légumes cuits à la vapeur à réchauffer, par exemple, n'ont pas encore traversé l'Atlantique. Directeur responsable des produits frais chez Provigo, Richard Lanthier prévoit justement que la prochaine catégorie qui fera son entrée dans nos supermarchés sera celle des légumes déjà cuits à réchauffer. « C'est très fort en Europe. On va regarder de quelle manière on pourrait amener ça ici. »

Émincés et en rondelles



On n'en trouve pas chez nous, mais en Angleterre, les oignons émincés, vendus en sachets, sont monnaie courante. Les supermarchés vendent des oignons jaunes émincés et des oignons rouges en rondelles, parfaits pour les salades. Finies les larmes !

En spaghetti



Le détaillant Waitrose propose de la courgette et de la courge musquée en forme de spaghettis. À l'heure où les consommateurs sont nombreux à fuir le gluten, cette nouvelle coupe de légume permet de ne pas mettre une croix sur les réconfortants spaghettis à la bolognaise. C'est aussi une belle façon d'ajouter des légumes dans son assiette ou de se concocter un plat végétarien.

En rondelles et émincés



En France, l'entreprise Lunor propose des légumes cuits à la vapeur qu'il suffit de réchauffer au micro-ondes, à la poêle ou au four. On peut évidemment les assaisonner si on le souhaite. Des exemples ? Endives, carottes en rondelles et poireaux émincés. Lunor vend aussi de grosses barquettes « familiales » (1,25 kg) de pommes de terre cuites, assaisonnées ou pas. Certaines sont coupées en quartiers, d'autres sont entières.

En purées fraîches



En France, Créaline vend des barquettes de purées fraîches et d'écrasés (purées non lisses) qu'il suffit de réchauffer. Les mélanges proposés incluent pommes de terre et asperges blanches, céleri-rave, légumes oubliés (topinambour, panais, rutabaga). Chez nous, Saladexpress a développé un produit similaire. « Les mères pressées, en manque d'énergie, de temps et d'inspiration, et qui veulent manger santé sont intéressées. Mais les chaînes nous disent que leurs clients ne sont pas rendus là », avait confié à La Presse, au début de l'année, le président Daniel Lavergne.

En accompagnement



En France, Lunor propose un mélange de légumes (carottes, courgettes, navets, céleris, poivrons rouges et verts) et de pois chiches « pour accompagner vos plats de viandes, de poissons » ou pour ajouter de la couleur et des vitamines aux céréales comme le boulgour, le quinoa et la semoule. Les légumes comptent pour 93 % de la composition. La recette inclut aussi : amidon de maïs modifié, épices et aromates, tomates déshydratées, arôme naturel (lactose), sel, jus de citron concentré.

En fusillis



Le plus récent produit de l'entreprise américaine Mann's est pour le moins original. Il s'agit de courge musquée coupée en forme de fusillis. Le légume peut donc remplacer les pâtes dans une recette avec du beurre de sauge, par exemple. Mann's propose aussi une recette de « zigzags » au quinoa et noix de Grenoble sur sa page web.

C'est zéro

Malgré toutes les campagnes louangeant les bienfaits des légumes, la consommation au Québec est stable depuis 2011 (après une décennie d'augmentation). Une situation « qui préoccupe beaucoup » l'Association des producteurs maraîchers du Québec, admet son directeur général André Plante. Dans le cas de la pomme de terre, on constate une baisse de 15 % de la consommation. En revanche, les pommes de terre grelots de Little Potato Company, vendues en barquettes avec des assaisonnements, connaissent un grand engouement. « C'est la folie ! lance Christian Guitard, de Bellemont Powell, un courtier alimentaire. Les gens achètent un concept, ils achètent la facilité. » Chez Metro, on constate que la popularité des salades lavées augmente constamment.