«Tout est bon avec modération.» «Après tout, une calorie est une calorie.» «Pour maigrir, il suffit de manger moins et de bouger plus.» Répétés depuis des années par l'industrie agroalimentaire et la santé publique, ces mantras sont remis en question par trois spécialistes interrogés par La Presse.

Une calorie, c'est une calorie, peu importe si elle provient du Coca-Cola ou du brocoli. «C'est une aberration de dire ça», tranche le Dr Martin Juneau, directeur de la prévention à l'Institut de cardiologie de Montréal et professeur à la Faculté de médecine de l'Université de Montréal.

Cela supposerait «qu'en termes de poids gagné ou perdu, il n'y a pas de différence entre des régimes qui incluent le même nombre de calories provenant de riz, de légumes et de poisson, ou de frites, de hamburgers et de colas, ou de pâtisseries danoises, de frappuccinos et de gin slings», souligne un éditorial qui vient de paraître dans Public Health Nutrition.

«C'est une affirmation évidemment contestable, qui considère qu'il n'y a aucune différence entre l'énergie produite par la combustion de la nourriture dans un calorimètre et celle générée par des processus métaboliques», poursuit l'éditorial.

Les amandes moins caloriques que prévu 

En laboratoire ou dans un tableau de valeurs nutritives, 100 calories de croustilles sont pareilles à 100 calories de poulet. Mais pas dans le corps humain. «On dit souvent: c'est la loi de la thermodynamique, indique le Dr Juneau. Mais c'est bien plus compliqué que ça. Le corps humain n'est pas un moteur. Par exemple, à peine 2 à 3% de l'énergie du gras est perdue par le corps en le métabolisant, tandis que métaboliser les protéines a un coût de 25%. »

On assimile un nombre variable de calories, selon les aliments. Ainsi, les amandes entières procureraient 20% moins de calories qu'on le croyait, d'après une étude du département américain de l'Agriculture publiée dans l'American Journal of Clinical Nutrition en 2012. Pourquoi? «Parce que notre mastication est insuffisante pour absorber toutes les matières grasses des amandes», explique Michel Lucas, nutritionniste et épidémiologiste à l'Université Laval. Une partie des calories des amandes est donc rejetée, tout simplement.

Si bien que 28 grammes d'amandes fourniraient en réalité 129 calories, au lieu des 170 calories obtenues en faisant le calcul habituel. Celui-ci est basé sur les facteurs d'Atwater, selon lesquels 1 gramme de protéine et de glucides équivaut à 4 calories, et 1 gramme de lipides équivaut à 9 calories. Des estimations aujourd'hui remises en question. Combien de gens se sont fait leurrer en préférant manger trois biscuits Oreo (soit environ 150 calories) plutôt qu'une portion d'amandes, source de bons gras, de fibres et de protéines, de peur de grossir?

La modération n'est pas la solution 

Bah, tous les aliments sont bons avec modération, même les Oreo dont le premier ingrédient est le sucre... «Ça, c'est un mantra qui vient des firmes de relations publiques des compagnies de malbouffe, qui ne veulent pas qu'on cible un aliment, dénonce le Dr Juneau. Elles disent: vous avez juste à en manger un peu moins, vous pouvez vous en payer de temps en temps. Ce sont les mêmes firmes qui avaient réussi à faire croire que le tabac n'était pas nuisible.»

Or, il vaut mieux faire un peu d'embonpoint, tout en étant physiquement actif et en s'alimentant bien, qu'être un sédentaire mince qui mange de la malbouffe, selon le cardiologue.

Faut-il donc complètement arrêter de scruter le nombre de calories et simplement tenter de mieux manger? «Non, répond le Dr Juneau. Je trouve important qu'on connaisse le nombre de calories. Parce que c'est difficile d'imaginer qu'un café peut représenter 300 calories ou qu'un muffin au son et carottes, qui a l'air super santé, contient 600 calories.»

Manger moins et bouger plus n'est pas la solution

C'est clair: si on mange trop de calories, on engraisse, dit Jean-Claude Moubarac, chercheur en nutrition publique à l'Université de São Paulo, au Brésil. «La véritable question, c'est: pourquoi consomme-t-on trop d'énergie?», demande-t-il.

Réponse facile: parce que nous sommes des sédentaires ayant un accès constant à la bouffe. «Depuis des années, le message de la santé publique, c'est: si les gens prennent du poids, c'est parce qu'ils mangent trop et ne bougent pas assez», résume Michel Lucas, chercheur invité au département de nutrition de l'Université Harvard et épidémiologiste, nutritionniste et professeur adjoint à la Faculté de médecine de l'Université Laval. «La solution logique, c'est réduire sa consommation d'aliments et augmenter sa dépense énergétique pour maigrir.»

Le problème? Ça peut marcher si on souffre d'un léger embonpoint, mais c'est peu efficace chez les obèses, qui sont rares à ne pas reprendre les kilos perdus. Pas par manque de volonté. «Manger plus et bouger moins, on se rend compte que ce n'est pas nécessairement la cause, mais plutôt des symptômes de l'obésité», avance M. Lucas.

Transformations biologiques

Le vrai coupable serait la mauvaise qualité de notre alimentation, modifiée à outrance par l'industrie, qui nous transforme biologiquement. «Cette alimentation entraîne une hausse du taux d'insuline, qui fait en sorte que l'énergie consommée est stockée dans les tissus adipeux, donc moins disponible, résume le chercheur. Pire encore, on voit une diminution du glucagon, une hormone qui permet de relâcher l'énergie qui est en réserve. Les gens sont donc dans un état de carence physiologique: ils ont faim et sont fatigués, peu après avoir mangé.» Ils remangent alors, encore et encore.

«C'est un cercle vicieux, convient le Dr Martin Juneau, directeur de la prévention à l'Institut de cardiologie de Montréal. Chez les enfants obèses, il y a un effet probable de toutes sortes d'hormones libérées par la graisse viscérale, qui affectent le cerveau et rendent plus amorphe. Mais le surpoids a commencé à un moment donné...»

Éviter les glucides rapidement absorbables 

La solution est simple: il faut beaucoup mieux s'alimenter. «L'important, ce n'est pas de manger 1800 ou 2000 calories par jour, soutient le Dr Juneau. C'est, premièrement, de manger des aliments de qualité. Et, deuxièmement, de limiter les quantités.»

Que faut-il sortir de son panier d'épicerie? Pas tous les gras comme on l'a longtemps cru, mais plutôt les glucides rapidement absorbables, comme le sucre, les biscuits, les gâteaux, les pâtes, le riz et le pain blancs, selon une étude publiée dans Public Health Nutrition. Sans oublier les boissons gazeuses, riches en fructose. «Le fructose augmente le taux de ghréline, qui est l'hormone de la faim», explique le Dr Juneau.

Il ne faut pas s'attarder à l'index glycémique d'un seul aliment, mais à l'ensemble du repas, nuance M. Moubarac. «La pomme de terre a un index glycémique assez élevé, illustre-t-il. Mais si on la mange dans une soupe aux légumes, l'index glycémique du repas ne sera pas aussi élevé que si on la mange toute seule, en purée.»

Cuisiner tout soi-même 

Il vaut mieux éviter tous les produits ultra transformés «parce que leur teneur en sucre, en gras et en sel joue sur les hormones qui régulent l'appétit, plaide M. Moubarac. Plus on les consomme, plus la qualité de notre alimentation diminue et plus le risque d'obésité augmente».

Il faut évidemment fuir les croustilles et les céréales sucrées, mais aussi les boissons gazeuses diètes, les sauces en conserve, les yogourts contenant des substances laitières modifiées, etc. Ce ne sera pas du gâteau. Au Canada, à peine 25,6% des calories provenaient d'aliments non ou peu transformés en 2011, selon une étude publiée par M. Moubarac dans la Revue canadienne de la pratique et de la recherche en diététique.

«Je recommande aux gens de cuisiner le plus possible à la maison ou de manger dans des endroits où on cuisine comme à la maison, dit M. Moubarac. C'est sûr que c'est un défi. Mais il y a des gens qui y arrivent, parce qu'ils mettent ça comme priorité dans leur vie, en considérant que c'est important pour leur santé.»

Pour lire un résumé de Increasing Adiposity, Consequence or Cause of Overeating? (en anglais), publié en mai 2014 dans JAMA

Pour lire un résumé de How calorie-focused thinking about obesity and related diseases may mislead and harm public health. An alternative (en anglais), paru en novembre dans Public Health Nutrition

Pour lire Treating obesity seriously: when recommendations for lifestyle change confront biological adaptations (en anglais), paru en février dans The Lancet

Dix mesures pour manger santé à la brésilienne

«Le nouveau guide alimentaire brésilien, auquel j'ai activement contribué, contient les recommandations nutritionnelles les plus actuelles et les plus pertinentes aujourd'hui», estime Jean-Claude Moubarac, chercheur en nutrition publique à l'Université de São Paulo et titulaire d'un doctorat en santé publique de l'Université de Montréal.

Voici les dix étapes à suivre pour avoir une alimentation saine à la brésilienne: 

1. Faites des aliments frais ou minimalement transformés la base de votre alimentation.

2. Utilisez gras, sel et sucre en petites quantités, quand vous cuisinez.

3. Limitez la consommation d'aliments transformés, comme le fromage, le pain et les fruits conservés dans le sirop.

4. Évitez la consommation de produits ultratransformés, comme les boissons gazeuses, les céréales sucrées et les nouilles instantanées.

5. Mangez à des heures régulières, sans faire autre chose en même temps, en bonne compagnie le plus souvent possible.

6. Achetez vos aliments dans des endroits qui offrent une grande variété d'aliments peu transformés (supermarchés, marchés publics) ou directement chez les producteurs.

7. Développez et partagez vos compétences culinaires.

8. Prévoyez du temps pour faire les courses et la cuisine, planifiez les repas et partagez la responsabilité des repas avec les autres membres de votre famille.

9. Choisissez les restaurants qui servent des plats cuisinés sur place. Évitez les chaînes de restauration rapide.

10. Méfiez-vous des publicités et du marketing.