Les éleveurs de volailles du Québec pourraient produire du poulet sans antibiotiques à grande échelle, mais la demande n'en vaut pas encore les efforts et les investissements. «On est capables d'en faire, mais directement à la ferme, le prix serait d'au moins 0,10$ de plus le kilo, avance Pierre-Luc Leblanc, président des Éleveurs de volailles du Québec. Quel prix serait prêt à payer le consommateur?»

M. Leblanc réfute les affirmations selon lesquelles les producteurs manquent de volonté pour éliminer les antibiotiques de leurs élevages. Il explique que les éleveurs ont les connaissances pour entreprendre ce changement, mais qu'ils cherchent une façon plus facile et abordable de l'entreprendre.

L'association vient d'ailleurs de commander à l'Université de Guelph, en Ontario, une étude pour trouver un substitut aux antibiotiques. «On veut se rapprocher du consommateur et on va tout faire pour y arriver», a répété M. Leblanc.

«Produire du [poulet] sans antibiotiques, ça implique une gestion impeccable par les éleveurs. Ils doivent porter énormément attention aux détails et faire un suivi de l'environnement et des conditions à un niveau vraiment supérieur», souligne Jean-Pierre Vaillancourt, professeur à la faculté de médecine vétérinaire de l'Université de Montréal et directeur du groupe de recherche en épidémiologie des zoonoses et santé publique.

Le virage réel de McDo USA

M. Vaillancourt apporte une nuance importante concernant l'intention de McDonald's USA de ne plus acheter de poulet aux antibiotiques d'ici deux ans. Le géant de la restauration rapide proscrira la gentamicine dans ses restaurants américains. Or, le spécialiste soutient que cet antibiotique n'est plus utilisé depuis longtemps dans les couvoirs du Québec.

«J'étais très surpris qu'une compagnie puisse passer au sans antibiotiques tout d'un coup. Mais quand j'ai lu tout le document [que l'Association américaine des pathologistes aviaires m'a envoyé en tant que membre], j'ai vu qu'on était loin du sans antibios.»

«Plus purs que purs»

McDonald's USA, à l'instar des membres de l'Union européenne, permet aussi l'utilisation d'ionophores. Au Canada, ils sont interdits pour qu'un élevage soit considéré «sans antibiotiques». Les ionophores sont utilisés pour freiner le développement de parasites intestinaux. Il s'agit d'un antiparasitaire dont le bagage contient des propriétés antibiotiques.

«L'ail a des propriétés antibiotiques, mais ce n'en est pas un. Même chose pour les ionophores, explique M. Vaillancourt. Or au Canada, on est plus purs que purs, et le gouvernement le considère comme un antibiotique.»

Les quatre types de poulet au Québec

Le poulet conventionnel: Nourri majoritairement de grains (90%) et de farines et graisses animales. Il est élevé en poulailler et reçoit de petites doses d'antibiotiques de façon préventive.

Le poulet tout végétal: Nourri à 100% de grains ou de sous-produits céréaliers. Il reçoit de petites doses d'antibiotiques de façon préventive.

Le poulet sans antibiotiques: Nourri soit comme le poulet conventionnel. Il ne reçoit aucun antibiotique ni ionophore pour prévenir les maladies.

Le poulet biologique: Respecte les critères du poulet végétal, du poulet sans antibiotiques et est nourri à 100% de grains sans OGM. Il a accès à l'extérieur.

Virage payant et facture inchangée chez A&W

La chaîne de restaurants A&W a pris un virage majeur en 2012 en décidant d'offrir du boeuf sans hormones et sans stéroïdes. Depuis six mois, elle propose aussi du poulet sans antibiotiques ni ionophores.

Les coûts d'approvisionnement ont augmenté de 15%, mais l'entreprise absorbe cette hausse sans refiler la facture à ses clients. «C'est un investissement qui en vaut la peine et on s'est dit qu'on serait récompensés autrement», explique la porte-parole de l'entreprise Susan Senecal. Et pour cause! Depuis l'arrivée du poulet sans antibiotiques à l'automne, A&W a vendu un million de burgers au poulet de plus que pour la période correspondante l'an dernier.

Pour l'instant, la production de poulet sans antibiotiques est encore trop marginale au Québec, et A&W s'approvisionne ailleurs au Canada. «On reçoit des appels de producteurs qui sont intéressés à aller vers ce type de produits, a ajouté Mme Senecal. Notre rêve, c'est d'avoir un lieu d'approvisionnement dans chacune des provinces.»