Gwyneth Paltrow s'y est mise. Victoria Beckham aussi. Montignac et Atkins peuvent aller se rhabiller, le sans-gluten est LE régime de l'heure. Sauf qu'embrasser ce choix sans supervision pourrait comporter certains risques.

S'adressant d'abord aux personnes atteintes de la maladie coeliaque et d'une sensibilité au gluten, le régime sans gluten a vu son lot d'adeptes augmenter au cours des dernières années. Si certains le font pour des raisons médicales, d'autres y voient une façon de perdre du poids ou de manger mieux. Une tendance dont s'est emparée l'industrie alimentaire. «Quand on voit des produits sans gluten chez Loblaws et chez Walmart, c'est que les ventes sont là, observe Jordan LeBel, professeur en marketing alimentaire à l'Université Concordia. Il n'y a pas de comptabilisation fiable au Canada sur les chiffres de ventes du sans-gluten, mais on s'attend à une croissance énorme. On n'a vu que la pointe de l'iceberg.»

Selon lui, cette tendance ne peut être seulement alimentée par les personnes atteintes de la maladie coeliaque, qu'on estime à 1% de la population. «La tendance est aussi nourrie par des gens qui font ce choix-là, un peu idéologique, qui essaient des régimes sans gluten et disent se sentir mieux», expose-t-il.

Inquiets devant ce phénomène grandissant, le Collège des médecins et l'Ordre professionnel des diététistes du Québec (ODPQ) ont publié une mise en garde commune en juillet dernier dans laquelle ils exhortent le public à ne pas entreprendre ce régime sans une évaluation médicale préalable. «Le régime sans gluten est habituellement personnalisé pour une personne qui a la maladie coeliaque, rappelle le président du Collège des médecins du Québec, le Dr Charles Bernard. Pour faire le régime, il faut avoir un diagnostic. C'est ce qui fait peur aux médecins» «C'est un tsunami, illustre la présidente de l'ODPQ, Anne Gagné. Toutes sortes d'informations circulent sur les réseaux sociaux. Il y a des conséquences à suivre un régime à l'aveugle. Le régime sans gluten est éminemment complexe. Il faut consulter une nutritionniste.»

Éliminer toute source de gluten de son alimentation veut dire faire une croix sur tous les produits contenant du blé, de l'orge, du kamut et de l'épeautre. Exit, donc, les pâtes alimentaires et la farine de blé, la bière ainsi que plusieurs assaisonnements, sauces, soupes et marinades. Les personnes atteintes de la maladie coeliaque, une maladie auto-immune qui entraîne une destruction inflammatoire du petit intestin, doivent aussi accorder une attention particulière au risque de contamination croisée.

Des risques de carence

«Les gens doivent savoir qu'éliminer le gluten, ça peut mener à des carences nutritionnelles, avertit la nutritionniste Geneviève Nadeau. On est souvent critiqués pour dire ça. Les gens qui déclarent qu'on peut éliminer sans problème les céréales ne se basent sur aucune donnée scientifique.»

Parce qu'au Canada, la farine blanche doit obligatoirement être enrichie de vitamines du groupe B, ceux qui cessent d'en consommer se privent donc d'une source de thiamine, de riboflavine, de niacine, d'acide folique et de fer. Ils doivent également trouver d'autres sources de fibres.

Mais d'abord, épouser le régime sans gluten sans examens médicaux préalables peut rendre impossible l'établissement d'un diagnostic, lequel est fait au moyen de tests sérologiques et d'une biopsie. Si le gluten a été éliminé et que l'inflammation a disparu, le test sera vraisemblablement négatif. Immunologiste au CHU Sainte-Justine, le Dr Idriss Djiali Saïah constate que l'autodiagnostic est un problème. Or, il comprend que les gens qui attendent six mois avant de voir un gastro-entérologue soient tentés de se tourner vers le régime sans gluten. «Mais, on n'est pas aussi vigilant que lorsqu'on sait qu'on a le problème. On triche, on regarde moins la contamination croisée», prévient-il. Un diagnostic permet également de bénéficier de crédits d'impôt pour l'achat de produits sans gluten, généralement plus chers.

Mais, obtenir un diagnostic de maladie coeliaque peut être long, puisque les symptômes (diarrhées, constipation, ballonnements, etc.) peuvent s'apparenter à ceux d'autres maladies. «En moyenne, c'est 12 ans après l'apparition des symptômes qu'on diagnostique la maladie coeliaque chez un adulte, indique la directrice générale de la Fondation québécoise de la maladie coeliaque (FQMC), Suzanne Laurencelle. Ça peut arriver qu'un médecin fasse passer le test à quelqu'un à sa première visite, mais c'est assez inégal.»

Sensible au gluten?

Une nouvelle entité sème également la confusion parmi la communauté scientifique et médicale: la sensibilité au gluten. En 2011, une étude menée par le Center for Celiac Research, aujourd'hui établi à Boston, a affirmé l'existence de cette condition médicale distincte de la maladie coeliaque et qui toucherait de 6 à 7% de la population. Il est toutefois impossible de poser un diagnostic clair, car aucun marqueur biologique ne permet de détecter la sensibilité au gluten. Les symptômes sont semblables à ceux de la maladie coeliaque, mais la réponse immunitaire est différente.

Devant le manque d'information, la sensibilité au gluten n'a pas été désignée comme un syndrome clinique. «Comme pour tout ce qui est nouveau, il y a toujours deux camps, ceux qui y croient et ceux qui n'y croient pas. Le temps nous dira ce qu'est la vérité», fait valoir le Dr Alessio Fasano, directeur médical du Center for Celiac Research.

Bien qu'ouvert à cette éventualité, le Dr Idris Djiali Saïah, qui participera à un atelier sur le sujet, le 19 octobre, au colloque annuel de la FQMC, reste prudent. «La façon de poser un diagnostic est la réponse au régime. Mais la réponse au régime, ça devient parfois subjectif. Ça peut aussi être un effet placebo. L'approche diffère d'un médecin à l'autre. Comme il n'y a pas de marqueurs biologiques, les gens essaient et si ça marche, on ne peut pas leur dire que ce n'est pas bon.»

C'est ce qu'a fait Geneviève, 30 ans, après que ses tests de diagnostic de la maladie coeliaque se sont révélés négatifs. «Depuis que j'ai commencé le régime sans gluten, je n'ai plus de grosses crises de crampes intenses à être pliée en deux, comme des couteaux dans l'abdomen, et je me sens moins fatiguée. Quand on sait qu'on a un problème, c'est difficile de faire l'autruche et de ne rien essayer jusqu'à ce que ce soit confirmé.»