Après avoir assuré la survie des populations andine pendant des siècles, le quinoa descend des hauts plateaux et s'apprête à déferler sur le monde: dans le viseur, l'Afrique et la Méditerranée, où il pourrait contribuer à améliorer une situation alimentaire tendue.

Les «grains d'or» des Incas - plante de l'année 2013 pour l'Organisation des Nations unies - font déjà l'objet d'expériences d'acclimatation concluantes en Égypte, au Maroc et en Turquie et vont tenter leur chance en Afrique de l'Est, sur les plateaux d'Ouganda, du Kenya et d'Éthiopie.

Selon le chercheur danois Sven-Erik Jacobsen, de la Faculté des Sciences de l'Université de Copenhague, «aucune raison objective ne s'oppose à la culture mondiale du quinoa, sauf dans les régions trop arrosées».

Prisée des bobos du monde entier pour la valeur nutritive de ses graines, cette plante robuste est peu exigeante. Elle s'accommode du gel, de la sécheresse et même des sols salins à condition de sélectionner la variété la mieux adaptée à son environnement parmi les 3000 recensées.

«L'altitude n'est pas un critère absolu» insiste le chercheur qui dédie ses travaux au quinoa depuis 20 ans. «On pourrait même l'envisager au Sahel, en culture d'hiver», indique-t-il à l'AFP. M. Jacobsen va jusqu'en cultiver à titre expérimental dans son Danemark natal.

Riche en protéines, cette fausse céréale qui appartient en réalité à la famille des betteraves et des épinards (les Chénopodiacées), naturellement «bio» grâce à la saponine qui la protège des ravageurs, est considérée par l'Organisation de l'ONU pour l'agriculture et l'alimentation (FAO) comme une arme efficace pour la sécurité alimentaire, notamment en zones arides.

«Le quinoa peut très bien remplacer le riz partout où il consommé», affirme le Pr Jacobsen.

L'Égypte s'avère déjà prometteuse, notamment dans les terres basses et salines du delta du Nil: «Nous y obtenons des résultats particulièrement bons malgré la chaleur. Bien sûr ce sont des cultures d'hiver».

«Au Maroc, les résultats sont aussi encourageants sur les pentes de l'Atlas qu'en bord de mer, à Rabat ou Agadir, même en culture de printemps».

Quant à l'Afrique orientale, l'Éthiopie démarre «très bientôt» et l'Ouganda est prêt à suivre sur les plateaux du nord, moins arrosés que le sud.

«Ce sont des productions à vocation locale», précise l'universitaire danois. «Pas question d'aller concurrencer les producteurs andins. Même si la Bolivie est aujourd'hui trop petite pour fournir le marché mondial».

L'engouement et la demande sans cesse croissante ont déjà encouragé les communautés boliviennes à pousser leur production pour l'exportation, avec des effets pervers dénoncés sur l'élevage et les prairies et des prix qui flambent sur les marchés locaux.

Injuste, juge Didier Bazile, expert en quinoa du centre de recherches agronomiques pour le développement (Cirad) joint par l'AFP.

«Les producteurs boliviens continuent d'en consommer et leurs exportations alimentent aussi le Pérou. Si les prix augmentent dans les villes, c'est surtout par comparaison avec ceux du riz, qui se sont effondrés sous l'effet des subventions publiques», résume-t-il.

«J'observe surtout une réelle amélioration du niveau de vie sur l'altiplano (les hauts plateaux andins), où le quinoa est la seule culture possible avec 200 jours de gel et moins de 200 millimètres de pluie par an».

Quant aux éventuels impacts environnementaux, «aucune étude sérieuse ne les a encore validés», note M. Bazile qui continue de recenser les multiples usages du quinoa. Ses graines servent notamment à l'alimentation des volailles qu'il protège des parasites grâce à la saponine - utilisée elle comme détergent ou consommée en tisane abortive chez les femmes Mapuche du Chili. Le quinoa peut aussi être semé en association avec des plantes grasses pour lutter contre la salinisation des sols.

«Une équipe américaine travaille aussi sur un possible usage contre le cancer», indique-t-il.