«Je suis très hédoniste», dit avec conviction Monique Bélanger, chef au CPE de l'UQAM depuis 30 ans, rencontrée dans sa cuisine jaune pimpant. Avec une simple cuisinière à quatre éléments, elle prépare chaque jour, seule(!), le dîner et deux collations pour... 60 enfants et 10 adultes.

Au menu: salade de fenouil et bébés épinards, pain aux choux-fleurs et gruyère, pâté au saumon avec sauce au citron et à l'aneth, etc. «Je ne réinvente pas la cuisine, mais c'est extrêmement savoureux, indique Mme Bélanger, formatrice auprès d'autres cuisiniers de garderie. J'utilise beaucoup, beaucoup d'épices. Il ne faut pas juste développer le goût du sel chez les enfants.» Cumin, cari, ras-el-hanout et sambal oelek parfument des plats colorés avec lesquels elle pourrait «recevoir des adultes», souligne-t-elle.

Tous les midis, la chef casse la croûte avec les enfants. «J'y tiens particulièrement, affirme-t-elle. Quand j'introduis quelque chose de nouveau, je fais le tour de tous les locaux.»

Plus de 78% des cuisiniers de garderie mangent «rarement ou jamais» avec leurs petits clients, selon une enquête menée par l'Université de Montréal. «Ce que j'aime le plus, c'est l'énergie des enfants. Je serais incapable de vivre sans ça», affirme Mme Bélanger.

La chef a d'abord fait un bac en philosophie. «Je trouve que la philo mène à la bouffe, note-t-elle. Au départ, c'était financier, il fallait que je travaille. Mais j'ai vite développé une passion. Se nourrir, ce n'est pas juste manger, c'est une ouverture à soi et aux autres.»

2,17$ par personne

Dès 6h45, Mme Bélanger est au CPE pour concocter son menu, qui change constamment. Et pour recevoir ses fidèles fournisseurs de fruits, légumes et produits d'épicerie. «La grosse mode est au bio, mais mon budget ne me le permet pas», constate-t-elle.

Son budget, c'est 38 000$ par an. Soit 152$ par jour pour nourrir 70 personnes - ou 2,17$ par bouche. «Il faut défendre notre travail, estime la cuisinière. Souvent, quand le budget d'une garderie est serré, c'est tentant de réduire l'argent pour la bouffe, puisque ce n'est pas fixe. Mais c'est inacceptable. La preuve, c'est que le soir, les parents ne demandent pas si leur enfant a bien joué. Ils veulent savoir s'il a bien mangé.»

Le menu est semi-végétarien - Mme Bélanger sert poisson et poulet une fois par semaine, rarement de la viande rouge. «Jamais de porc», précise-t-elle, certains enfants ne pouvant en manger pour des motifs religieux.

«Ce n'est pas parce que c'est végé que c'est moins cher, dit-elle. Je sers du fromage bleu, du brie, du vrai parmesan. J'opte pour la qualité. Je m'en sors en me concentrant sur le repas principal. Je ne cuisine pas de dessert, parce que ça gruge une part trop importante du budget.» Après leur plat, les petits bedons ont droit à des fruits, du yogourt ou un fromage.

«Des enfants n'ont jamais vu faire la cuisine»

«C'est une cuisinière extraordinaire, souligne Jean-Pierre Desjardins, adjoint administratif et éducateur au CPE de l'UQAM. Elle propose constamment de nouvelles choses, elle est en formation continue. On en bénéficie, même s'il faut parfois ressortir un plat quelques fois avant de gagner les enfants.»

Ce qui a changé, en 30 ans? «Aujourd'hui, des enfants n'ont jamais vu faire la cuisine, dit Mme Bélanger. Mais ici, ils savent que la bouffe a été faite par quelqu'un.» Cette expérience sensorielle touche les petits. Des années après leur passage au CPE, «le souvenir qu'ils ont, savoure la chef, c'est souvent celui de la bouffe».

Plus de 1200 chefs en CPE

Un total de 1280 cuisiniers travaillent dans les centres de la petite enfance (CPE) du Québec. Leur rémunération annuelle moyenne «a été de 31 518$ pour 2010-2011», selon Étienne Gauthier, porte-parole du ministère de la Famille.