L'année dernière, Ottawa a dû suspendre son projet de réglementation sur la nourriture fortifiée devant la pluie de protestations des professionnels de la santé, qui craignaient de voir apparaître des croustilles et des sodas vitaminés, comme cela existe déjà ailleurs. Le projet revient sur la table, subtilement.

Jamais la pharmacie n'aura été si proche du garde-manger.

«Les représentants de Santé Canada nous ont dit dès le départ qu'il n'était pas question d'ouvrir la porte à la malbouffe enrichie», dit Suzie Pellerin, présidente de la Coalition sur la problématique du poids.

 

Le groupe québécois était à Toronto la semaine dernière pour une journée de discussion sur la nourriture enrichie. Une soixantaine de professionnels de la santé, des gens de l'industrie alimentaire et des représentants de groupes de consommateurs de partout au pays y étaient aussi, à l'invitation de Santé Canada.

La nourriture enrichie, ces aliments auxquels on ajoute vitamines et minéraux, est de retour sur la table. L'année dernière, l'idée de voir apparaître une nouvelle gamme d'aliments à faible valeur nutritive auxquels on aurait ajouté quelques vitamines ici et là avait fait bondir plus d'un professionnel de la santé au pays. Assez pour que Santé Canada décide de remettre la publication du règlement et de réviser sa position sur le sujet. Mais la pression de l'industrie est forte.

Aux États-Unis, en Europe et en Asie, les aliments fortifiés et les aliments fonctionnels (ceux qui contiennent des ingrédients bioactifs, comme les probiotiques), ont nettement plus de place sur les tablettes des épiceries. Ici, une partie des consommateurs est encore très sceptique.

«Nous sommes très en retard sur les Japonais et les Européens», estime Denis Roy, professeur à l'Institut des nutraceutiques et des aliments fonctionnels de l'Université Laval.

Selon lui, avec le vieillissement de la population, il y aura une demande de plus en plus grande pour ces aliments qui contiennent des suppléments. «Ce n'est pas une mode, c'est une tendance, tranche-t-il. Nous sommes tous au courant des bienfaits d'une saine alimentation mais, à un certain âge, on veut se donner plus de chances.»

Dans un pays comme le Japon, on a toujours vu l'alimentation comme un moyen de prévention, poursuit ce spécialiste. Alors qu'ici, la prévention dans l'assiette est un concept plus nouveau et plus dur à avaler.

L'enrichissement facultatif

Les aliments fonctionnels se multiplient néanmoins et la gamme d'ingrédients fonctionnels s'agrandit. En plus de régulariser son transit intestinal avec des yogourts contenant des probiotiques, on peut aussi activer ses cellules immunitaires en mangeant des biscuits additionnés d'un extrait de levure.

Au Canada, l'enrichissement dit «utile» est également permis, comme la vitamine D dans le lait et les boissons de soya. C'est l'enrichissement facultatif qui soulève les passions. Certains professionnels de la santé croient qu'il pourrait favoriser des comportements alimentaires malsains.

Pourrait-on en venir à considérer des croustilles qui contiennent des vitamines comme une collation santé?

C'est ce que craint la Coalition Poids. Et c'est tout à fait plausible.

Lorsqu'un aliment a des prétentions «santé», les consommateurs ont tendance à moins évaluer l'ensemble du produit, explique Véronique Provencher, professeure à l'Institut des nutraceutiques et des aliments fonctionnels de l'Université Laval.

Dans une étude faite auprès d'étudiantes à Toronto, la chercheuse a démontré que les allégations santé des aliments faussent la perception des consommateurs. Les jeunes femmes qui ont participé à sa recherche absorbaient 35% plus de calories lorsqu'un aliment était présenté comme sain. «On savait déjà que ces allégations influent sur les choix à l'épicerie; on sait maintenant que ça peut aussi influer sur la consommation», explique Véronique Provencher. «Les gens ont tendance à se dire que si l'aliment est bon pour eux, en manger davantage est encore meilleur», dit-elle.

S'il y a un logo positif sur le produit, on aurait également tendance à ne pas consulter le tableau des valeurs nutritionnelles et à sous-estimer le nombre de calories qu'il contient. C'est un peu ce qu'on observe avec les boissons énergisantes, note la chercheuse. En fait, ce n'est que de l'eau et du sucre, dit-elle. «Comme on y ajoute des vitamines et d'autres suppléments, explique Véronique Provencher, ça leur colle une étiquette santé, mais elles ne sont pas meilleures!»

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