Les femmes sont cinq fois plus à risque de mourir d'une maladie du coeur que d'un cancer du sein. Elles sont aussi plus nombreuses à succomber à une crise cardiaque que les hommes. Dans un système de santé mal équipé pour diagnostiquer les crises et les soigner, les préjugés perdurent pendant que les victimes tombent.

Un infarctus passé sous le radar

Une consultation rapide et un bon diagnostic peuvent faire la différence entre la vie et la mort. Deux survivantes racontent leur expérience.

À 37 ans, Cendrine Mathews se pensait au sommet de sa forme et croyait faire tout en son pouvoir pour que ce soit le cas. Vingt minutes d'exerciseur par jour et une bonne alimentation n'ont tout de même pas empêché son coeur de dérailler.

Malgré une hygiène de vie exemplaire, Cendrine a commencé à ressentir des palpitations et des étourdissements de plus en plus souvent, en plus d'être essoufflée au moindre effort.

«Je ne buvais pas, je ne fumais pas et je ne prenais pas plus d'un café par jour. J'avais l'air en pleine forme.»

Son médecin a conclu qu'elle faisait de l'anxiété. Un jour, alors qu'elle était au volant sur le pont Champlain, son coeur s'est emballé sans raison. Le bas de son visage s'est engourdi: «Gelé, comme après une intervention chez le dentiste», se rappelle-t-elle. Tant bien que mal, elle a poursuivi son chemin en mettant le double du temps pour se rendre à destination.

Ce n'est que deux semaines plus tard qu'elle a fini par se rendre à l'hôpital, après s'être effondrée dans un magasin. Elle venait de perdre 10 lb en trois jours. Cendrine a passé la nuit en observation, sans que les médecins puissent déceler quelque chose d'anormal. Toujours aussi mal en point, et de plus en plus faible, elle a consulté quelques mois plus tard, pour ressortir du cabinet du médecin avec un diagnostic d'anxiété sévère et deux ordonnances: l'une pour une psychothérapie, l'autre pour un type d'antidépresseurs déconseillé aux personnes souffrant d'arythmie.

Dans le doute, Cendrine a rangé ses ordonnances. Heureusement. «Je savais bien que je ne faisais pas d'anxiété, sinon celle causée par le fait qu'on refusait de me soigner, dit-elle. J'avais peur de mourir. Chaque soir, je remplissais la bouffe et le bol d'eau de mon chat pour être certaine que s'il m'arrivait de quoi, il aurait ce qu'il faut pour survivre pendant quelques jours.»

La jeune femme a consulté au total 10 médecins en un an avant que l'un d'eux accepte enfin de lui faire passer des examens pour dépister un problème cardiaque. Ces tests ont confirmé ses doutes : elle souffre de tachycardie ventriculaire. Ses artères sont bloquées, son coeur a un anévrisme et une valve qui fuit.

Sur le pont Champlain, elle a probablement fait un premier infarctus. «Les gens doivent savoir que c'est possible de faire une crise cardiaque tout en continuant à fonctionner», souligne-t-elle. Cendrine Mathews prend maintenant des médicaments et vit avec un défibrillateur cardiaque. Le temps de réaction qui a été pris pour la soigner aurait pu lui être fatal.

Un rythme cardiaque en montagnes russes

«Je n'ai jamais eu une grande résistance physique, affirme Lise Vaillancourt, âgée de 78 ans, mais tout au long de ma vie, j'avais appris à gérer mon énergie pour récupérer après un effort.» Il y a 20 ans, un stress intense a toutefois eu raison de son coeur fragile.

Maman de trois enfants, Lise n'avait pas eu de grands problèmes de santé à signaler jusqu'à ses 58 ans. C'était avant que les tensions précédant son divorce ne mettent son coeur à l'épreuve. Sans avertissement, ce dernier s'est mis à battre à un rythme anormal, accélérant ou décélérant pour des périodes variables.

«Je me savais très stressée, mais de là à avoir des problèmes de coeur, c'est une autre histoire.»

L'ancienne infirmière a néanmoins pris la chose au sérieux et a décidé de consulter son médecin de famille, qui l'a aussitôt orientée vers une cardiologue.

Les examens ont permis de diagnostiquer un léger souffle au coeur et une fibrillation auriculaire, un type d'arythmie cardiaque qui rend particulièrement à risque de faire un AVC. Parce que les contractions du coeur sont inefficaces, des caillots peuvent en effet se former dans le coeur et se propager jusqu'au cerveau ou ailleurs dans le corps.

Puisque ses symptômes étaient encore légers, la spécialiste du coeur a suggéré de garder la situation à l'oeil et de reporter la prise d'un médicament dont les effets secondaires sont importants. Quatre ans plus tard, le problème ne pouvait cependant être évité. Le rythme des battements cardiaques de Lise s'est mis à fluctuer de manière anarchique, de 34 à 150 fois à la minute, soutient-elle. Ces épisodes la laissaient épuisée.

Pour maîtriser son arythmie devenue sévère, on lui a posé un stimulateur cardiaque qui veille à ce que son coeur batte de façon régulière, «un peu comme un thermostat», dit-elle. Ce compagnon fera partie de sa vie jusqu'à la fin de ses jours et fait en sorte qu'elle peut mener une vie normale.

«Le fait d'avoir été prise en charge à temps m'a permis d'éviter des problèmes plus graves. Je me sens reconnaissante», dit-elle. Lise témoigne aujourd'hui de sa gratitude en faisant du bénévolat à l'Institut de cardiologie de Montréal. «Je vois des gens de tous âges avec des problèmes de coeur, pas que des personnes âgées. Je fais partie des chanceux.»

Photo fournie par Lise Vaillancourt

Pour maîtriser son arythmie devenue sévère, on a posé à Lise Vaillancourt un stimulateur cardiaque qui veille à ce que son coeur batte de façon régulière.

Le coeur des femmes, cet incompris

Le cas de Cendrine Mathews est à mille lieues du cliché de l'homme d'âge mûr qui, foudroyé par une crise cardiaque, porte la main à sa poitrine avant de pousser son dernier soupir. Les maladies cardiovasculaires sont encore perçues comme un problème d'hommes.

Les maladies cardiovasculaires sont les premières causes de mortalité chez les femmes dans le monde. Si les hommes demeurent encore plus nombreux à souffrir de maladies du coeur, l'écart entre les deux sexes ne cesse de diminuer.

Jusqu'à leur ménopause, les femmes sont relativement protégées par leurs hormones. Elles sont toutefois de plus en plus nombreuses à souffrir d'hypertension, d'hyper-cholestérolémie et de diabète, ce qui augmente les facteurs de risque et fait en sorte que les victimes sont de plus en plus jeunes.

«Les femmes ne se sentent pas concernées. Quand elles consultent, la maladie est souvent avancée, relève la cardiologue Anique Ducharme, de l'Institut de cardiologie de Montréal. Beaucoup font leur mammographie annuelle, mais les femmes doivent réaliser qu'elles sont plus à risque de développer une maladie cardiovasculaire qu'un cancer du sein.»

Une femme meurt d'une maladie du coeur toutes les 20 minutes au Canada.

Cette méconnaissance du coeur des femmes s'explique par un ensemble complexe de facteurs. L'un d'eux étant que, pendant des décennies, la recherche s'est intéressée presque exclusivement aux hommes. Les deux tiers des études cliniques en maladies du coeur portent sur des sujets masculins. Or, la santé cardiaque des femmes a ses particularités. Elle exige une démarche particulière, tant dans le diagnostic que dans le traitement, estime la Fondation des maladies du coeur + AVC (FMC).

«Les femmes ont plus tendance à prendre soin des autres avant de prendre soin d'elles », expose également la Dre Louise Pilote, professeure de médecine à l'Université McGill et chercheuse à l'Institut de recherche du Centre universitaire de santé McGill (CUSM). En raison de leurs responsabilités à la maison, de la combinaison travail-famille et de leur situation parfois précaire, elles tardent à consulter et sont moins susceptibles de suivre les traitements recommandés une fois que le problème a été identifié.»

Les maladies du coeur sont pourtant la première cause de décès prématuré chez les Canadiennes. Ces dernières sont également plus susceptibles que les hommes de mourir de leur crise cardiaque et d'en subir une nouvelle dans les six mois suivants, d'après les données de la FMC.

Des symptômes atypiques

Les manifestations classiques d'une défaillance cardiaque sont des douleurs à la poitrine qui s'étendent au bras gauche. S'ajoutent, dans le cas des femmes, des symptômes «atypiques» comme des essoufflements, des sueurs ou des nausées, qui sont trop souvent interprétés comme des problèmes digestifs, des signes d'anxiété ou une manifestation normale du vieillissement.

«Difficile de déterminer si c'est parce qu'elles ont des symptômes différents ou si elles les décrivent différemment, évalue la cardiologue Anique Ducharme, puisque de plus en plus d'hommes ont des symptômes atypiques. Mais le fait d'être un homme de plus de 55 ans, c'est déjà deux facteurs de risque qui sont pris au sérieux.»

Dans 78 % des cas, les signes précurseurs sont passés inaperçus.

Nancy Laflamme ressentait à l'occasion des serrements à la poitrine. Elle «laissait alors passer» ce que son médecin avait identifié comme des crises d'angoisse. Un matin, ses malaises ne se sont pas dissipés. Son bras gauche s'est engourdi, le bas de son visage jusqu'à l'oreille aussi. Nancy s'est présentée à l'hôpital, tout en se sentant «un peu nounoune de consulter pour une crise d'angoisse», précise-t-elle. À 42 ans, elle faisait un premier infarctus.

Les femmes et leur médecin prennent trop de temps pour déceler les signes précurseurs d'une crise cardiaque, signale la FMC. On passe ainsi à côté d'infarctus qui auraient pu être évités. Ce problème est d'autant plus critique qu'un premier infarctus affaiblit le muscle cardiaque et accroît le risque d'en faire d'autres.

Un coeur différent?

Sur le plan physiologique, le coeur des femmes est semblable à celui des hommes, mais sa taille est proportionnelle à celle de leur corps, et il est donc généralement plus petit. Ce facteur complique certaines interventions, plus adaptées au coeur des hommes.

Bien que la pathologie commune soit similaire pour les deux sexes, les types de maladies peuvent également différer. Les femmes sont notamment plus à risque de souffrir de coronaropathie, maladie susceptible d'entraîner une crise cardiaque.

Neuf femmes sur dix présentent un facteur de risque, mais la plupart le sous-estiment.

D'autres facteurs jouent également contre les femmes. Des médicaments ont été retirés du marché parce qu'ils avaient plus d'effets secondaires chez les femmes que chez les hommes. Certains tests de dépistage sont aussi mieux adaptés au coeur des hommes qu'à celui des femmes et peuvent entraîner de mauvais diagnostics pour elles, comme c'est le cas pour l'épreuve d'effort sur tapis roulant.

«Il y a eu de grandes améliorations, mais il reste encore des progrès à faire, explique la Dre Louise Pilote. Il doit y avoir plus de femmes dans les projets de recherche et on doit tenir compte de leurs particularités dans l'analyse des résultats.»

Comme d'autres, Nancy Laflamme n'a pas vu l'urgence de consulter pour ses symptômes. Comme d'autres médecins, ceux consultés par Cendrine Mathews n'ont pas su reconnaître les signes d'une défaillance cardiaque. «Il faut continuer la sensibilisation afin de créer plus de survivantes comme moi», dit Nancy. Depuis l'opération qui a suivi sa crise cardiaque, elle a appris à mieux écouter non seulement son corps, mais aussi son coeur.

Les signes d'une crise cardiaque

Une crise cardiaque se manifeste généralement par une douleur ou un inconfort thoracique - comme des palpitations et des serrements à la poitrine - qui s'étendent au haut du corps (cou, mâchoire, épaule, bras ou dos). Certains symptômes s'ajoutent, dans le cas des femmes : des sueurs, des nausées, des brûlures d'estomac qui ne sont pas soulagées par les antiacides, des essoufflements, de l'anxiété, une fatigue inhabituelle amplifiée à l'effort et des étourdissements.

Que faire?

La rapidité d'intervention est cruciale. «Les femmes se présentent souvent à l'hôpital avec un infarctus ou un AVC assez tard après le début des symptômes. Les médicaments qu'on donne pour ouvrir les artères doivent être administrés dans les heures qui suivent, sinon il est trop tard pour qu'ils soient bénéfiques, précise la Dre Louise Pilote. Si une femme a une douleur à la poitrine, elle doit mettre l'accent là-dessus et l'exprimer. C'est un symptôme de maladie cardiaque», insiste-t-elle. Si vous présentez des facteurs de risque ou des signes précurseurs, parlez-en rapidement à votre médecin. Si vous croyez faire une crise cardiaque, composez le 911 sans tarder.

Les facteurs de risque

Plus de la moitié des femmes qui ont un risque élevé de souffrir d'une maladie du coeur l'évaluent comme faible ou modéré, souligne la FMC. À retenir: l'hypertension, le cholestérol, le diabète, l'obésité, les antécédents familiaux et la ménopause prédisposent aux maladies cardiaques. S'ajoutent des facteurs comportementaux comme le tabagisme, une mauvaise alimentation, la sédentarité et l'utilisation abusive de l'alcool. En s'y attaquant, on pourrait prévenir la plupart des maladies cardiovasculaires, selon l'Organisation mondiale de la santé (OMS).

Photo Melissa Golden, Archives The New York Times

Les femmes sont plus nombreuses à succomber à une crise cardiaque que les hommes.