Ces mères séropositives apprennent habituellement leur diagnostic en début de grossesse, lors du dépistage systématique. C'est le ciel qui leur tombe sur la tête, une fois de plus. «C'est extrêmement déstabilisant, confrontant et déprimant. Des femmes ont des réactions très fortes, elles sont inconsolables, dit Guylaine Morin, travailleuse sociale à la Clinique de VIH du CHU Ste-Justine. Elles ont en tête l'image du sida, de gens malades diagnostiqués très tardivement qui sont rejetés et qui, faute de traitement, meurent seuls. Elles se croient condamnées à mort, et leur bébé aussi.»
Une fois qu'on leur dit que leur espérance de vie est comparable à celle d'une personne saine, une fois qu'on les rassure sur les taux de transmission mère-enfant quasi nuls, elles respirent un peu mieux. «Elles sont très motivées et font tout pour que leur bébé ne soit pas infecté, dit la pédiatre Valérie Lamarre. Elles prennent bien leur médication, c'est une clientèle facile à suivre.»
Reste néanmoins la difficulté d'apprivoiser ce diagnostic très mal vu dans la société. «On parle peu du VIH aujourd'hui, les gens sont mal informés et les préjugés très tenaces. Les mères en souffrent beaucoup», note Guylaine Morin.
S'ajoute parfois à cela les douloureux souvenirs du passé. «Dans les contextes où elles ont contracté le VIH lors de violences sexuelles, ça remet en scène le viol et les traumatismes de guerre, indique la travailleuse sociale. Très souvent, j'ai des confidences de femmes qui n'avaient jamais parlé de ces traumatismes, pas même à leur mari. En Afrique, le viol est tabou et les femmes violées sont souvent rejetées.» Alors que la bedaine s'arrondit, ça fait beaucoup d'émotions à gérer.
Briser l'isolement
La Maison Plein Coeur offre soutien et accompagnement auprès des femmes enceintes séropositives les plus vulnérables lors de la grossesse, de l'accouchement et de la prise en charge du bébé. «Ces femmes sont souvent très seules, isolées, sans emploi, indique Bastien Lamontagne, coordonnateur des services. Pour des raisons culturelles et personnelles, elles sont très craintives concernant le dévoilement. En raison de l'accroissement de l'espérance de vie avec le VIH, on mise beaucoup sur la réinsertion socio-économique, l'adoption de saines habitudes de vie, l'amélioration de l'estime de soi et l'autonomie.»
Naître avec le VIH
Quand le bébé défie les statistiques et naît avec le VIH, les mères séropositives se retrouvent avec un stress supplémentaire. Elles doivent donner des médicaments à leur enfant quotidiennement. Quand le diagnostic n'est pas divulgué aux frères et soeurs, elles doivent agir en cachette et s'assurer de dissimuler flacons et bouteilles. Selon les compagnies d'assurance, la franchise à payer est si élevée que certaines n'arrivent pas à la payer. Ces mamans ont à expliquer les absences scolaires et doivent dévoiler à l'enfant son état avant qu'il ait 14 ans, âge auquel un mineur peut accepter ou refuser seul des soins de santé. «Toutes ces difficultés sont vécues sans soutien, souligne la pédiatre Valérie Lamarre. Quand un enfant a la leucémie ou la fibrose kystique, les proches se rallient. Pour le VIH? Personne ne le sait. La société n'est pas prête, la stigmatisation est forte. Les gens ne réalisent pas que, même si elle n'est plus mortelle, c'est une maladie très difficile à vivre.»
VIH mère-enfant dans le monde
1100 nouveau-nés infectés par jour
390 000 nouveau-nés infectés en 2010
3,4 millions d'enfants infectés
Taux de transmission mère-enfant au Canada
20,2% de 1990 à 1996
2,9% de 1996-2010
0,4%: lorsque la mère est en traitement
20 à 40%: le risque de transmission sans intervention aucune
Bon an, mal an, 50 mères séropositives accouchent au CHU Sainte-Justine.
Des 902 couples mère-enfant reçus au CHU Sainte-Justine en 30 ans, 716 bébés de mère séropositive sont nés non infectés.