C'est l'histoire d'un jeans. Un banal jeans usé et délavé, qui s'est mis à voyager. C'est l'histoire de dizaines de jeunes femmes qui souffrent d'un cancer du sein avancé. D'une solide amitié qui, au-delà des frontières, est soudée à jamais. C'est l'histoire d'un jeans qui, à chacune de ses escales - du Chili à la Grande-Bretagne, de la Nouvelle-Zélande au Canada -, apporte réconfort, met un baume sur l'insensé.

Suzanne Lemay, 53 ans, habite un bungalow à Saint-Bruno-de-Montarville. Il y a trois semaines, on a livré une boîte de carton à sa porte. L'uniforme scolaire de sa fille de 15 ans, a-t-elle pensé. Son mari a ouvert le paquet et y a plutôt découvert un jeans joliment autographié, décoré. Suzanne a souri. Puis, elle a éclaté en sanglots. C'était trop d'émotions d'un coup.

«Ça m'a touchée. Sur le jeans, je reconnaissais des signatures, le nom de copines en ligne. Certaines sont aujourd'hui décédées. C'est triste, bouleversant et réconfortant à la fois. Avec le jeans, il y avait tant de cartes, de mots, de photos que j'aurais pu en couvrir le plancher. Ça donne un gros boost d'énergie. Je me sens appuyée et comprise. C'est comme recevoir un immense bouquet de fleurs», nous a-t-elle confié, la veille d'une épuisante séance de chimiothérapie.

Suzanne a un cancer inflammatoire du sein (voir autre texte). Les médecins lui donnent environ deux ans à vivre. Elle a la triste impression d'être une tache noire sur le ruban rose. Comme plusieurs. «Sans les groupes de soutien en ligne, je serais bien mal prise. Je me sens parfois seule. C'est ça qui me tient. On échange sur nos peurs et nos émotions, on se comprend totalement. Ça fait un bien immense.»

L'idée du jeans - surnommé en anglais le «Stage IV Travelling Pants» - a germé dans la tête de Shannon Kegebein, de Brighton au Michigan, en 2010. Sa soeur Stephanie venait de recevoir un diagnostic de cancer du sein métastasique (stade 4). On a trouvé une tumeur de 5 cm dans son sein et des métastases sur sa colonne fracturée. Stephanie, 33 ans, est mère de deux enfants de 13 et 9 ans. «Une date d'expiration plane au-dessus de ma tête, je ne serai pas ici longtemps, dit-elle. Mes enfants grandiront sans moi, c'est ce qui est difficile à accepter.»

En fouillant dans son placard, Shannon est donc tombée sur un jeans que Stephanie lui avait donné. Ça a été le déclic. Inspirée de la série de livres Quatre filles et un jeans de Ann Brashares, Shannon a décidé de faire voyager ledit pantalon, devenant du coup objet de partage et de réconfort. Un liant entre ces amies en ligne.

«Je voulais montrer à ma soeur que plusieurs femmes marchent dans le même pantalon, résume Shannon. Ces femmes se soutiennent en ligne, mais quand elles reçoivent le paquet, ça devient très personnel et tangible. Elles touchent ce qui les unit, sentent qu'elles ne sont pas seules.» Jamais elle n'aurait cru que l'aventure prendrait une telle ampleur. «Je suis heureuse et surprise de voir qu'il a déjà tant voyagé.»

Il y a deux ans, le jeans a commencé son périple au Michigan et à travers les États-Unis. Il s'est arrêté en Floride, au Texas et au New Jersey. Puis, il s'est rendu au Chili, en Nouvelle-Zélande, en Grande-Bretagne et... chez Suzanne. Il est attendu bientôt en Belgique et probablement en France.

À ce jour, une trentaine de femmes ont affectueusement signé et décoré le jeans. Huit d'entre elles sont décédées. C'est le cas de Jenny, de Nouvelle-Zélande, qui s'est éteinte 24 heures à peine après avoir posté le pantalon. C'était en août dernier. Suzanne était très proche de Jenny, qui souffrait aussi d'un cancer inflammatoire du sein.

Sur le pantalon, on peut lire:

«Vivez, aimez et profitez!»

«Le cancer fait chier.»

«Savourez chaque sandwich.»

«C'est un beau jour pour être en vie.»

«Je ne sais pas ce qui arrivera après...»

«N'oubliez pas à quel point nous sommes fortes.»

«Vivez chaque jour comme un cadeau.»

Janis Fitzgerald, 47 ans, a été une des premières à y apposer sa marque. Elle est maman de jumeaux de 11 ans. Depuis son diagnostic à 40 ans, la maladie s'est propagée à ses hanches, sa colonne et ses poumons. Après trois rondes de chimiothérapie, deux rondes de radiothérapie, un remplacement de la hanche et une hystérectomie, la maladie s'est stabilisée et a même régressé. «Je peux dire que j'ai une qualité de vie acceptable et je sais qu'il est possible de vivre longtemps. Je serai néanmoins toujours en traitement», écrit-elle par courriel. Elle a appris à chérir les moments présents et à ne pas trop penser à l'avenir. Pas facile. «Je ne verrai probablement jamais mes fils entrer à l'université, se marier et avoir des enfants. Je me demande, à chaque Noël, si c'est mon dernier.»

Ses amies en ligne sont d'un soutien incomparable. «Parfois, je me sens apeurée. Je sais que je peux les joindre à n'importe quel moment du jour ou de la nuit. Je peux demander conseil, rire et pleurer. Le jeans, c'est une très bonne idée. Triste aussi de voir toutes ces jeunes femmes.»

Le jeans, toujours plus coloré et orné de broches et autres gris-gris, s'est finalement retrouvé chez Suzanne. Ce colis inattendu tombait à point. «Je venais de traverser une dure période. Je voyais les gens ordinaires autour de moi à l'épicerie et je sentais que cette réalité n'était pas la mienne, raconte-t-elle. Je me sentais dans un film d'horreur, à bord d'une voiture qui roule à haute vitesse sans conducteur, attendant la collision fatale.»

Pendant les jours où le jeans est resté chez elle, Suzanne a vécu sur un petit nuage, sans idées noires. Malgré la douleur, malgré la fatigue. «J'étais tellement émue.» À partir de ce moment, elle a même eu l'impression de tourner la page. «Je commençais à m'habituer à mes nouveaux médicaments, j'avais reçu l'aide demandée à mon équipe de soins. Ma vie commençait à reprendre son cours.»

Suzanne a écrit deux cartes, une en français et l'autre en anglais. Elle a signé le pantalon. «Rien n'enlève votre beauté, pas même le cancer.» Elle y a attaché une boucle rose et verte. Sa fille y a ajouté une broche, un arbre dont les feuilles sont de brillants roses. «Ça me fait penser à ta gang», lui a-t-elle dit. Puis, le pantalon est reparti.

«On parle de stade 4 lorsque la maladie est devenue systémique, que les cellules de la tumeur primaire se sont propagées à d'autres parties du corps», explique le Dr Peter Siegel, directeur par intérim au Centre de recherche sur le cancer Rosalind and Morris Goodman, affilié à l'Université McGill. Les métastases se retrouvent le plus communément dans les os, le foie, les poumons et le cerveau. Selon le Centre des maladies du sein du CHA à Québec: «les traitements apportent rarement une guérison, mais ils peuvent retarder la progression du cancer, diminuer les symptômes reliés au cancer, améliorer la qualité de vie et la prolonger.» Un cancer de stade 4 peut être détecté lors d'un premier diagnostic ou lors d'une récidive après des années sans symptômes. Au total, 40% des patientes (de tous les cancers du sein confondus) ont un cancer métastasique.

11% des femmes risquent de développer un cancer du sein au cours de leur vie.

3% des femmes risquent de mourir du cancer du sein.

88% survivent 5 ans après le diagnostic.

18 différents types de cancer du sein, dont plusieurs sous-types.

88% survivent 5 ans après le diagnostic.

30% des femmes qui ont reçu un premier diagnostic de cancer localisé recevront plus tard un second diagnostic de cancer avancé.

5500 Québécoises recevront un diagnostic en 2012, 1350 en mourront.

Source : Société canadienne du cancer et Réseau canadien du cancer du sein