Suivre un traitement médical au long cours n'a rien d'une partie de plaisir. Chez les adolescents, ces soins s'ajoutent toutefois à tout un cocktail d'émotions: l'acceptation du diagnostic, le besoin de contrôle, l'apprentissage de l'autonomie, l'envie d'être comme les autres... Pour bien des jeunes, la pilule devient alors bien difficile à avaler.

«Je me sentais invincible»

Janie Lépine-Bédard souffre de diabète de type 1. Elle a 25 ans aujourd'hui, mais les souvenirs de son adolescence demeurent frais à son esprit. Prendre de l'insuline ? Surveiller son alimentation ? Pas devant ses amis! Retour vers cette période houleuse, vue par Janie et par sa mère.

Janie a reçu un diagnostic de diabète de type 1 à l'âge de 5 ans, en février 1997. Enfant, elle a pu compter sur l'appui de ses parents pour contrôler le taux de sucre dans son sang. Une fois à l'école secondaire, l'adolescente s'est toutefois rebellée.

«Le diabète, ça ne donne pas de répit. Quand tu es jeune, on te répète des choses comme "tu n'as pas le choix", ou "allez, pique-toi". Moi, à l'adolescence, je voulais avoir le choix. Je me disais que j'avais le choix d'arrêter de me piquer. Que j'avais le choix d'arrêter de bien manger. C'était mon choix et je ne voulais pas que mes parents m'imposent un traitement.»

À l'école, pas question pour Janie de s'injecter de l'insuline devant ses amis. Pas question non plus de refuser le gâteau au chocolat qu'on lui offre.

«Je voulais faire partie de la gang et être pareille comme les autres, ajoute Janie. Et surtout, j'étais tannée de devoir suivre des règles tout le temps.»

«J'ai fait le choix, contre ma santé, d'avoir le contrôle sur quelque chose. La seule chose sur laquelle j'avais du contrôle, c'est si je me donnais de l'insuline ou si je ne m'en donnais pas.»

Résultat: le taux de sucre dans son sang oscillait dangereusement. À la maison, ses parents s'inquiètent; sa mère la questionne sur son taux de sucre et le moment de sa dernière injection. «Aujourd'hui, je comprends combien mes parents étaient inquiets. Ils voulaient le mieux pour moi, mais plus ils me posaient des questions, plus j'avais l'impression d'être devenue ma maladie. Je ne pensais pas que ça leur faisait de la peine de me voir en rébellion. Ma santé était en jeu, mais je me sentais invincible.»

Seul répit pour Janie et ses parents: le camp d'été Carowanis, de la Fondation pour enfants diabétiques. Lorsqu'elle y séjourne, l'été, Janie se sent enfin comme les autres. «À cet endroit, au moins j'étais comme tout le monde. Le diabète ne prenait pas toute la place dans ma tête. Les ados autour de moi avaient les mêmes frustrations que moi», se remémore Janie.

L'expérience a été si marquante qu'aujourd'hui, la jeune femme dirige ce camp. Il lui arrive de conseiller à la fois les parents et les adolescents. «Je sais que le sentiment de culpabilité est énorme chez les adolescents qui ne suivent pas leur traitement. Je le savais, ce que j'étais en train de faire. Les adolescents ne sont pas niaiseux, mais ils ont besoin de prendre leurs propres décisions. Je pense qu'ils ont surtout besoin d'entendre qu'ils ont le droit d'être écoeurés.»

Comment a-t-elle réussi à surmonter la frustration de devoir vivre avec le diabète? «À un moment donné, mon médecin a changé son discours, explique Janie. Elle m'a dit qu'elle n'allait pas me demander de tout faire correctement pour le prochain rendez-vous, mais qu'on allait y aller par étapes. Au lieu de faire trois glycémies par jour, j'en faisais une seule, par exemple.» Au même moment, ses parents aussi ont cessé de la suivre à la trace. «Il y a comme un déclic qui s'est produit dans ma tête, raconte la jeune femme. Je me suis demandé si je voulais vivre comme ça toute ma vie. Est-ce que je voulais mourir ? Est-ce que je voulais vivre mes rêves ? Je devais prendre ma vie en main.»

«Elle était rendue un taux de sucre»

«Si j'avais su, mon approche aurait été différente.» Claire Lépine le soulignera à plusieurs reprises pendant l'entrevue: si elle pouvait retourner en arrière, elle se montrerait plus tolérante à l'égard des réticences de sa fille à suivre son traitement.

«Aujourd'hui, je comprends que le taux de sucre, c'est important, mais qu'il aurait fallu que je lui donne le droit d'être en réaction. Que je lui dise: "Ce n'est pas grave si tu ne t'es pas piquée à midi. Tu as le droit d'être tannée. Tu vas te reprendre demain"», explique-t-elle.

La mère et la fille ont aujourd'hui une belle relation, mais il y a quelques années à peine, la tension était à son paroxysme à la maison.

«Un taux de sucre mal contrôlé, à long terme, ça abîme tout le système. Ça abîme les petites artères, les yeux, les reins, le coeur, énumère Mme Lépine. Tu es le parent et tu sais tout ça. Je ne voulais pas qu'elle se rende là! C'est pour ça que je lui posais encore plus de questions. Mais avec tout ça, elle n'était plus une enfant: elle était rendue un taux de sucre.»

Chaque rendez-vous chez le médecin devient un moment pénible à passer. Les tests sanguins hors normes préoccupent tout autant l'équipe médicale, qui suggère alors des rencontres avec une psychologue.

La difficulté à contrôler le taux de sucre dans le sang entraîne des fluctuations dans l'humeur de Janie. Irritable et fatiguée, elle repousse avec humeur chacune des remarques sur son diabète.

«On était dans un cercle vicieux, mais ce que je n'avais pas compris, c'est qu'elle avait plus besoin de compassion, d'amour et de lâcher-prise. Il aurait fallu qu'on lui dise: "T'as le droit".»

Ce lâcher-prise est venu vers la fin de l'adolescence. «À un moment donné, je me suis dit que j'avais tout fait ce que j'ai pu. Le médecin venait de nous dire que si elle continuait comme ça, dans 10 ans... elle n'aurait plus la santé. Je lui ai dit que si elle ne voulait rien changer, elle ne pourrait jamais réaliser ses rêves. Que ça ne lui servirait à rien d'étudier si elle continuait comme ça, parce qu'elle ne pourrait jamais travailler dans son domaine. Elle était rendue là. J'ai lâché prise, parce que j'étais rendue au bout.»

À l'aube de sa vie adulte, Janie a graduellement accepté sa situation. Un soulagement pour ses parents. «Janie avait besoin d'être comprise, mais elle nous a déballé son sac beaucoup plus tard, explique Claire. Mais comme parents, on ne l'a pas lâchée.»

Photo André Pichette, La Presse

Janie Lépine-Bédard et sa mère Claire Lépine. La mère et la fille ont aujourd'hui une belle relation, mais il y a quelques années à peine, la tension était à son paroxysme à la maison.

Les ados vus par leurs médecins

Soigner un adolescent, c'est l'accompagner dans son traitement pour en faire un adulte autonome face à sa maladie. Sans toutefois perdre de vue l'essentiel: malade ou pas, un ado est d'abord un ado. Paroles de médecins.

Difficiles, les ados?

Moins d'un adolescent sur deux (entre 40 et 50 %) suit son traitement médical comme il faut. «Ce n'est pas le propre de l'adolescence», précise toutefois Richard Bélanger, pédiatre et médecin de l'adolescence au CHU de Québec. Les adultes sont à peine plus nombreux - entre 50 et 60 % - à faire preuve de rigueur. Suivre correctement son traitement, c'est bien plus que de prendre ses médicaments selon l'ordonnance, souligne Chantal Stheuner, pédiatre à l'hôpital Saint-Justine. Plusieurs autres paramètres permettent d'évaluer «l'adhérence au traitement»: le patient est-il présent à ses rendez-vous? Suit-il sa diète? Voit-il son physiothérapeute? «Il y a plus de choses qui sont oubliées ou de traitements qui sont arrêtés [chez les adolescents]», souligne-t-elle.

Au centre de l'intervention

«Il est très important, lorsque l'enfant aborde l'adolescence, de réannoncer le diagnostic comme si l'adolescent était un nouveau patient pour qu'il puisse poser toutes les questions qu'il veut et comprendre sa maladie», soutient Chantal Stheuner. Placer l'adolescent - et non plus ses parents - au centre de l'intervention médicale est une façon de l'impliquer. «Ce qui est très payant, c'est d'aller vers l'adolescent et de lui demander ce qui est pénible ou difficile pour lui, explique l'endocrinologue Céline Huot, qui traite des jeunes atteints du diabète. La difficulté peut être de calculer ses doses [d'insuline], mais je dirais que le plus difficile [pour un ado] est de se sentir exclu du groupe d'amis.» L'enjeu n'est donc pas forcément le traitement en soi, mais sa relation avec les défis de l'adolescence elle-même: acceptation de soi, appartenance au groupe, développement de l'identité et de l'autonomie.

Être comme les autres

Les mauvais plis se prennent d'abord et avant tout en raison de la reconnaissance que les adolescents veulent obtenir de leurs pairs. Ainsi, un jeune diabétique peut avoir du mal à s'injecter rigoureusement de l'insuline parce qu'il ne veut pas être vu par ses amis ou refuse de passer par les toilettes en route vers la cafétéria de l'école, illustre Céline Huot. Les médicaments qui peuvent avoir un impact sur l'apparence, comme la cortisone, sont aussi susceptibles de poser problème. «Si on a déjà de la difficulté avec son corps, et même si on n'en a pas, la façon dont le médicament affecte le corps peut amener un ado [...] à moduler son traitement», dit Richard Bélanger. Il en est de même avec l'humeur: un jeune peut vouloir cesser de prendre son médicament pour le trouble déficitaire de l'attention avec hyperactivité parce que ses amis le trouvent soudainement moins divertissant...

Sexe, drogue et alcool

Sans surprise, l'alcool et la drogue - et leur interaction potentielle avec les médicaments - sont des sujets incontournables pour les médecins qui traitent des adolescents. «Il faut faire attention de ne pas être catastrophiste et de ne pas juger, sinon, ça ne donnera rien du tout», dit toutefois Chantal Stheuner. «Certains traitements peuvent avoir un impact sur la fertilité, souligne par ailleurs Richard Bélanger. Il est important de se questionner avec les jeunes.» Olivier Jamoulle, médecin de l'adolescence à l'hôpital Sainte-Justine, signale que des spécialistes comme lui peuvent aussi prendre le relais d'autres médecins qui trouveraient difficile de parler de sexualité avec un patient qu'ils suivent depuis l'enfance.

Confidentialité

Tous les médecins interrogés insistent sur la nécessité d'établir un partenariat avec les adolescents qu'ils traitent. «C'est une danse à deux : deux pas en avant, deux pas en arrière, deux pas de côté», illustre Céline Huot. Pour tisser ce lien, ils ont un atout: dès 14 ans, la relation entre un médecin et son patient peut être confidentielle. Cette marge de manoeuvre est «essentielle», selon Olivier Jamoulle. Ainsi, les médecins passent peu à peu plus de temps seul avec l'adolescent et le parent finit par n'être invité dans le bureau qu'au moment de résumer la consultation. Cette période de transition contribue à responsabiliser le jeune face à sa maladie et à son traitement. «Des ados, ça ne devrait pas être vu comme des enfants, estime Richard Bélanger, et on souhaite qu'ils deviennent des adultes épanouis.»

Et les parents?

Le soutien des parents est jugé «essentiel» pour assurer le passage des soins pédiatriques aux soins autonomes. «On souhaite que les parents soient des guides plutôt que des prescripteurs», dit toutefois Richard Bélanger. Certains peuvent avoir du mal à lâcher prise, mais la plupart des parents sont d'excellents partenaires, disent les médecins consultés. «Malgré tout, insiste Céline Huot, le contrat doit être passé avec l'adolescent. Nécessairement. C'est l'adolescent qui va nous permettre de savoir si la collaboration des parents [est favorable] et comment elle doit se manifester.»

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Tous les médecins interrogés insistent sur la nécessité d'établir un partenariat avec les adolescents qu'ils traitent.