Même si les jeunes seraient les plus touchés par la dépression, même s'ils sont nombreux à composer avec un niveau de détresse psychologique élevé, les adolescents demeurent peu nombreux à consulter un psychologue. Vincent et Noémie l'ont fait. Et ils sont loin de le regretter.

Deux adolescents qui ont consulté un psychologue et qui en sortent grandis ont accepté de nous raconter leur histoire.

Vincent

Après avoir raconté son histoire pendant près d'une heure et demie, Vincent relève la manche de son t-shirt, exhibant un tatouage de taureau, son signe astrologique. Dans la queue du taureau, on aperçoit un point-virgule (;).

«Le point-virgule, ça fait partie du Projet Semicolon [un mouvement né sur les réseaux sociaux en 2013], explique-t-il. Le point-virgule indique que la phrase ne s'arrête pas là. Ta vie ne s'arrête pas là non plus.»

Parce que l'idée de mettre un point définitif à sa vie a déjà été bien présente dans la tête de Vincent, qui fêtera sous peu ses 18 ans.

Vincent avait tout juste 16 ans quand les premiers symptômes dépressifs se sont fait sentir. Sans trop savoir pourquoi (il était entouré de parents aimants et de bons amis), certaines journées, il se sentait triste. D'autres journées, il allait bien.

En octobre 2016, Vincent a demandé à ses parents de consulter un psychologue, ce qu'il a commencé à faire.

«Je savais que j'avais des symptômes dépressifs, et honnêtement, ça me faisait chier. Savoir que tu as un problème dans ta tête et qu'il est plus grave que ce que tu penses, c'est dur.»

Son médecin de famille lui a prescrit des antidépresseurs à faible dose, ce qui, au départ, ne l'a pas aidé. L'insomnie s'est invitée dans le portrait. L'anxiété aussi. «Quand je sentais le down arriver, je paniquais», résume-t-il. Puis, Vincent s'est mis à avoir peur de faire des crises de panique. Un cercle vicieux.

«En classe, si je manquais une phrase du professeur, je me disais que j'étais en train de perdre le contrôle. J'avais des crises de panique trois à quatre fois par jour.» Les mains moites, le coeur qui débat, les nausées, les tremblements... Il devait sortir de la classe à chaque crise.

Même si ça faisait à peine un mois qu'il avait entrepris des démarches pour aller mieux, Vincent craignait de se sentir toujours ainsi, que son état soit permanent. Les idées suicidaires sont apparues.

En décembre, après une journée pénible où il a songé concrètement à mettre fin à ses jours, Vincent a demandé à ses parents de le conduire aux urgences. Il ne voulait pas que la maladie ait raison de lui. Il voulait qu'on l'hospitalise. Et vite.

Vincent a été immédiatement admis à l'Institut universitaire en santé mentale Douglas. Il y est resté un mois et demi. Plus tard cet hiver-là, il y fera un deuxième séjour de quelques semaines au terme d'une rechute dont il garde les cicatrices sur ses avant-bras.

À Douglas, les médecins ont ajusté sa médication. Et des psychologues lui ont appris à composer avec l'anxiété qui minait alors sa vie.

«Au départ, j'étais perplexe. Je doutais. Comment quelqu'un qui m'écoute pouvait me faire sentir mieux par rapport à mes pensées? Lentement mais sûrement, j'ai changé ma façon de penser.»

La psychothérapie a aidé Vincent à composer avec ses pensées, à revoir sa façon de les interpréter. Avec sa dernière psychologue, qu'il voit encore aujourd'hui, Vincent a aussi travaillé sur l'estime de soi, sur l'acceptation de ce qu'il a vécu et de ce qu'il est. La psychologue est un outil, dit-il, mais c'est lui qui fait le travail.

«Je commence à accepter de plus en plus le fait que je suis comme ça, dit Vincent, heureux de tout le chemin accompli. Je ne peux pas me changer, ça ne sert à rien d'être normal. De toute façon, être normal, c'est plate!»

Vincent a terminé avec succès ses études secondaires et étudie désormais au cégep. Il ne sait pas ce qu'il va faire dans la vie, peut-être une profession en relation d'aide. Une chose est sûre, il sort grandi de ce qu'il a vécu: «Ça m'a définitivement changé, résume-t-il. Ça m'a ouvert les yeux.»

Noémie

«J'étais dans ma chambre, toute seule, je lisais des livres. Même sortir de ma chambre m'était difficile, il fallait quasiment qu'on m'oblige. Je voyais ça tellement gros que ce n'était pas possible de revenir comme avant.»

Noémie avait 15 ans à l'époque. Elle ne voulait plus aller à l'école ni même manger. C'étaient les toutes premières manifestations d'un trouble panique avec agoraphobie.

Aujourd'hui, Noémie vient de fêter ses 18 ans. Et oui, elle est bel et bien revenue «comme avant». C'est grâce à sa famille, à ses amis, mais aussi à la psychologue spécialisée en anxiété qui l'a suivie pendant sept mois. «Je n'aurais pas pu m'en sortir sans elle», résume la jeune cégépienne.

Tout a commencé lors d'un voyage en avion au cours duquel Noémie a été malade en mangeant le repas servi à bord. De retour à la maison, elle s'est mise à songer au fait que ça pourrait recommencer. Lors d'un repas en famille, la panique s'est emparée d'elle. Souffle court, palpitations, grelottements, ambulance, hôpital.

Son médecin a rapidement mis le doigt sur le problème : trouble panique avec agoraphobie. Voyant que leur fille ne mangeait pratiquement plus de peur d'être encore malade et qu'elle redoutait désormais d'aller à l'école, les parents de Noémie l'ont incitée à aller voir un psychologue.

«Au début, je ne voulais pas y aller. Je me disais que c'était juste pour les personnes qui avaient des problèmes mentaux.»

Les préjugés de Noémie se sont rapidement envolés.

Noémie est rapidement retournée sur les bancs d'école, tout en ayant la permission de sortir de classe lorsqu'elle sentait la panique arriver. Tous les mardis matin, elle allait voir sa psychologue, qui l'a incitée, tout doucement, à manger de nouveau, à retourner au cinéma, à reprendre l'autobus... Bref, à retrouver une vie normale.

La psychologue lui a appris à contrôler son anxiété avec la respiration et à comprendre et à normaliser les symptômes de l'anxiété. «C'est vraiment la peur d'avoir peur, résume Noémie. S'il arrive une crise de panique, ce n'est pas grave, je ne suis pas morte. Quelqu'un pourra m'aider et je suis capable de sortir et de prendre mon air. Il fallait que je contredise toutes les pensées négatives qui arrivaient avec du positif.»

Noémie étudie aujourd'hui au cégep. Oui, dit-elle, comme bien d'autres élèves, elle vit des moments de stress, mais elle sait maintenant comment le contrôler.

Elle retire beaucoup de cette expérience qu'elle a vécue, plus jeune. «Ça m'a ouvert l'esprit, ça m'a aidée à me mettre à la place des gens, dit-elle. J'ai appris des trucs pour me relaxer qui vont me servir toute ma vie.» Mais par-dessus tout, Noémie a appris à apprécier toutes ces petites choses qu'elle tenait pour acquises et dont elle a été privée, comme sortir avec ses amis, aller au restaurant... «C'est quelque chose que ça m'a apporté de gros. De réaliser la valeur des choses.»

Photomontage La Presse

Moins tabou, mais...

La psychothérapie semble un traitement plus accepté et acceptable pour les adolescents. Cependant, ils ne consultent que très rarement, même s'ils sont les plus touchés par la détresse psychologique. Explications.

Moins tabou?

Est-ce tabou, chez les jeunes, de consulter un psychologue? Moins qu'avant, répondent les intervenants à qui nous avons parlé.

«C'est beaucoup mieux connu. Il y a eu des campagnes de sensibilisation auprès des jeunes et ça a fait oeuvre utile, heureusement.» - Christine Grou, présidente de l'Ordre des psychologues du Québec

«J'ai fini mon doctorat en 1973. Et oui, il y a beaucoup de changements. [...] Globalement, il y a une meilleure distinction entre les différents rôles professionnels qui existent. L'histoire de: "les psychologues, c'est pour les fous", ça commence à être un peu moins le cas.» - Richard Cloutier, psychologue et professeur émérite à l'Université Laval

«J'ai posé la question à certains jeunes et ils m'ont dit que, spontanément, ils ne diraient pas qu'ils vont voir un psy, mais que si quelqu'un leur dit qu'il en voit un, ce sera plus facile pour eux de dire qu'eux aussi.» - La Dre Johanne Renaud, psychiatre et responsable du centre Manuvie de l'Institut Douglas (CIUSS de l'Ouest-de-l'Île-de-Montréal)

Recours limité

En santé mentale, «les jeunes consultent relativement peu les ressources formelles», constate Monique Bordeleau, coordonnatrice à la Direction des statistiques de la santé à l'Institut de la statistique du Québec et coauteure d'une étude sur le sujet publiée l'an dernier. Selon l'étude, chez les jeunes de 15 à 29 ans ayant un niveau de détresse psychologique élevé, les deux tiers n'ont pas eu recours à un professionnel (médecin, psychologue, travailleur social, infirmière, etc.). Des études ont montré que les jeunes consultaient moins que leurs aînés, mais d'autres, dont celle de Monique Bordeleau, n'ont pas relevé de différence.

Accès difficile

L'accès à la psychothérapie chez les jeunes demeure difficile, estiment tous les intervenants à qui nous avons parlé. Annoncé en décembre par le gouvernement provincial, le nouveau programme public de psychothérapie sera «petit et étalé dans le temps, avec des prestations très limitées», constate le psychologue Richard Cloutier. «Quand on n'a pas les moyens de payer 100 $, 115 $ l'heure et qu'on est ado, on ne va pas là», résume-t-il. «Et à l'école, avoir accès à un psychologue pour parler de vos problèmes, c'est un bon défi aussi», ajoute M. Cloutier, qui rappelle que l'accès aux psychologues dans les écoles est moins facile qu'avant.

L'importance d'intervenir tôt

Pourtant, les jeunes ne perdent rien à consulter un psychologue. Au contraire: «C'est vraiment pour prévenir les conséquences négatives : chronicité, consommation de substances, décrochage scolaire, énumère la Dre Johanne Renaud, qui évoque aussi la question du suicide. Les jeunes qui obtiennent de l'aide ont aussi plus de chances d'avoir le profil scolaire conforme à leurs capacités.

Bons taux de rémission

Et ça fonctionne, la psychothérapie chez les ados? Oui, assure la Dre Renaud. «Pour certains, ça fonctionne très bien», dit-elle, concédant du même souffle que pour d'autres, ça fonctionne moins bien. Plusieurs facteurs vont jouer dans la réussite du traitement, dont le type de trouble et sa sévérité, mais aussi l'intérêt et la volonté de l'adolescent. «Si les jeunes sont télécommandés et que ce n'est pas leur projet, on oublie ça. Il faut qu'ils y voient un gain», résume Richard Cloutier.

Jeunes sous pression?

«La barre est haute! Les jeunes doivent être beaux, bons en sport, performants, hot socialement... Et avec les réseaux sociaux, c'est facile, comme adolescent, d'avoir l'impression que tu es le seul à avoir des journées un peu merdiques. [...] Les jeunes sont peut-être un peu plus seuls qu'avant. Quand les familles étaient nombreuses et tricotées serré, tu avais plus que deux personnes en référence», indique Christine Grou, présidente de l'Ordre des psychologues du Québec.

«Les exigences que certains jeunes se donnent et qu'on leur donne depuis qu'ils ont 4 ans, qui vont au cours de patin, au cours de ski, au cours de danse... Ça ne touche pas les couches de la société de la même façon, mais la pression éducatrice très forte posée sur les jeunes n'est pas étrangère à la présence des troubles anxieux de performance. Le sentiment de ne pas être à la hauteur des attentes. L'écart entre l'idéal du moi et la réalité n'est pas à la baisse», explique Richard Cloutier, psychologue et professeur émérite à l'Université Laval.

Antidépresseurs

Le recours aux antidépresseurs est en hausse chez les adolescents, ce que la Régie de l'assurance maladie attribue notamment au fait qu'on détecte, diagnostique et traite la dépression chez les jeunes plus rapidement qu'avant. La Dre Johanne Renaud, psychiatre, y voit le reflet de meilleures connaissances: «Quand j'ai commencé, il y a 20 ans, on ne parlait même pas de dépression à l'adolescence. C'était une phase», dit-elle. Chez les jeunes dépressifs, surtout lorsque la dépression est de légère à modérée, on débute habituellement avec la psychothérapie seule. «Si la dépression est sévère - la personne ne mange plus, ne dort plus ou dort tout le temps, veut se tuer -, là, il faut combiner la psychothérapie avec la médication.»

Photomontage La Presse