Baladeur tactile, tablette, ordinateur, console portable ou fixe... Au sein de la famille d'Anika Gaudet et de son conjoint (six enfants de 2 à 19 ans), chaque enfant (à part les jumeaux de 2 ans) a son support numérique de jeux vidéo. «Pour assurer un rapport sain à l'activité, nous avons établi une règle d'or: il est possible de jouer à des jeux vidéo tant et aussi longtemps que ceux-ci n'ont pas de conséquences sur l'humeur, le caractère et qu'ils n'empêchent pas de remplir les corvées journalières.» Jusqu'à maintenant, la règle a fait ses preuves: aucun enfant n'a développé de problèmes de comportement notables. Mais la mère de famille reste sur ses gardes.

Le temps écran

Devant l'immense popularité des jeux vidéo, les parents et les spécialistes de la santé sonnent l'alarme. Surplus de poids, comportements agressifs, problèmes d'apprentissage, de dépendances, isolement social, les jeux vidéo ont souvent mauvaise presse.

«Cela demeure des jeux et le jeu est le langage de l'enfant, rappelle la neuropsychologue Francine Lussier. C'est à travers lui qu'il apprend, qu'il a des interactions.» Or, les coffres à jouets de la famille moderne regorgent d'appareils numériques favorisant l'inertie et dans certains, l'isolement.

Selon le Bulletin 2012 de l'activité physique chez les jeunes de Jeunes en forme Canada, les jeunes Canadiens de 10 à 16 ans passent en moyenne 7 heures 48 minutes par jour devant les écrans (télévision, ordinateur, appareil électronique). «Ils y sont rivés du matin au soir. C'est beaucoup trop», déplore le Dr Emmett Francoeur, pédiatre et Dr du programme de développement de l'enfant de l'Hôpital de Montréal pour enfants (HME).

Dans la famille d'Anika Gaudet, le temps de jeu excède rarement deux heures par jour, ce qui correspond aux directives canadiennes en matière d'activité physique pour les 5 à 17 ans, document présenté par la Société canadienne de physiologie de l'exercice et ParticipACTION.

Risques de dépendance

Avec la violence (voir autre texte), la dépendance pathologique compte parmi les principales inquiétudes des parents, comme en témoigne Anika Gaudet. «J'achète occasionnellement la paix en envoyant mon fils de 6 ans jouer pendant qu'on prépare le souper. Chaque fois, je me dis qu'il risque de devenir accro ou antisocial. Il faut rester vigilant.»

Selon une étude longitudinale réalisée par l'Institut national américain sur les médias et la famille de l'Université de l'Iowa, près de 9% des enfants qui pratiquent les jeux vidéo risquent de développer une dépendance pathologique qui pourrait entraîner des troubles du sommeil, de l'anxiété, des problèmes asociaux, de la dépression.

«On perçoit une dépendance pathologique lorsque l'enfant ne pense plus qu'à jouer, que ses jeux se retrouvent dans ses dessins, qu'il vit des échecs scolaires», précise le Dr Francoeur, qui s'étonne toutefois que ce pourcentage soit aussi bas.

Comme lui, plusieurs spécialistes de l'enfance avaient anticipé plus de conséquences d'ordre psychique chez les grands joueurs. Or, les scientifiques n'ont pas prouvé que l'augmentation de cas de troubles de l'attention, d'hyperactivité ou d'agressivité était liée aux pratiques vidéo-ludiques des enfants.

Plusieurs chercheurs et médecins, dont le pédopsychologue français Michael Stora, défendent même le jeu vidéo à condition de ne pas en abuser et de bien encadrer le jeune joueur. Selon eux, les jeux vidéo améliorent les capacités cognitives, favorisent la mémoire, la logique, la concentration et la socialisation.

Des aspects positifs

Un jeune au tempérament solitaire, comme l'adolescent de 16 ans de la famille Gaudet, peut aussi profiter du jeu vidéo. «Plus jeune, il devenait agressif lorsqu'on l'obligeait à se socialiser, explique Anika Gaudet. Un spécialiste nous a conseillé de privilégier des activités en solo. Au retour de l'école, il se retire dans sa lecture ou ses jeux vidéo. Il en a besoin et cela fonctionne.»

«Les adolescents ont parfois besoin de se retrouver seuls après une journée stressante. Dans certains cas, les jeux vidéo permettent de passer leur agressivité, leur frustration», note Marie-France Haineault, psychoéducatrice à l'HME. Lorsqu'il est employé intelligemment, le jeu vidéo peut être un excellent outil pédagogique.

«Malgré cela, le jeu spontané à l'extérieur demeurera toujours le choix le plus santé pour l'équilibre physique et mental de mes enfants», affirme Anika Gaudet.

Un avis que partagent les spécialistes interrogés qui qualifient la situation de l'obésité juvénile (31,5% au Canada) de très préoccupante.

Les jeux vidéo dans les hôpitaux

Grâce au programme Click (Child Life Interactive Computers for Kids) implanté dans 14 hôpitaux canadiens membres du Réseau Enfants-Santé, les jeunes patients ont accès à des tablettes électroniques, des consoles de jeux vidéo, des logiciels, des webcams et autres appareils numériques. Loin d'accroître leur isolement, les écrans et jeux vidéo aident ces enfants hospitalisés à rester en contact avec les membres de leur entourage, leur école, leur communauté. «Ce serait une erreur de nier que l'internet et les jeux vidéo font partie de la vie des jeunes aujourd'hui. C'est à nous d'adapter nos stratégies en fonction de ce qui les attire et de tirer les bienfaits de l'activité», affirme Maureen Jones, coordonnatrice du programme Click et spécialiste du milieu de l'enfant au Centre hospitalier pour enfants de l'est de l'Ontario. Les jeux vidéo sont utilisés pour distraire et motiver les enfants, mais sont ils aussi employés par les thérapeutes, notamment pour travailler la motricité fine des enfants.



La violence et l'éducation


Giclements de sang, cris de douleurs, décapitation, carnage... Les jeux vidéo sont parfois le théâtre de scènes violentes très réalistes. Ces jeux dominent le marché et attirent de plus en plus de jeunes adeptes. Chaque fois qu'un événement malheureux impliquant un jeune coiffe les manchettes, le débat refait surface: devrions-nous mettre les jeux vidéo violents au banc des accusés?

À ce jour, aucune étude n'a réussi à prouver hors de tout doute une relation causale entre la violence des jeux vidéo et les comportements agressifs chez les jeunes, signale le pédiatre Emmett Francoeur. «La violence chez l'enfant peut être provoquée par un ensemble de facteurs tels que son tempérament, sa santé, son climat familial, l'historique de la famille, etc.», note le spécialiste.

Les conséquences qu'ont ces jeux sur les émotions, les pensées et la conduite dépendent surtout de la sensibilité de l'enfant, estime pour sa part la neuropsychologue Francine Lussier. 

«Il y a des enfants pour qui ces jeux sont source d'excitabilité de la colère, alors que pour d'autres, c'est un exutoire, un canalisateur», énonce-t-elle.

Anika Gaudet qui, avec son conjoint, a six enfants à la maison, se préoccupe de la violence présente dans les jeux de leur adolescent de 16 ans. «Nous ne les autorisons qu'une fois les plus jeunes au lit.»

«Exposer un enfant à de la violence alors que la structure de sa moralité n'est pas raffermie devient antipédagogique», estime l'orthopédagogue Nicole de Grandmont, spécialiste de la pédagogie du jeu.

Plutôt que de les interdire, la physicienne propose aux parents de s'intéresser aux jeux de leurs jeunes, aussi violents soient-ils. «Si l'adulte s'implique, il pourra gérer cette violence, la mettre en contexte, mesurer son impact sur l'enfant. Les parents ont peur parce que la violence y est excessive. Mais tous les enfants ont joué aux fusils et à la guerre. C'est la diversité des jeux qui permet à l'enfant de bien se développer», poursuit la Dre Lussier.

De plus en plus employés par les thérapeutes, les jeux à vocation éducative et pédagogique apportent un renouveau intéressant, pense la neuropsychologue, pour peu que les créateurs développent des produits ludiques et captivants pour les jeunes. Lorsqu'ils sont bien élaborés, ils permettent de développer l'imagerie mentale, la mémoire, la créativité, la logique, la concentration, l'intuition.

Jeux actifs à la rescousse?

Près du tiers des jeunes Canadiens présentent un problème de surpoids. Parmi les nombreux facteurs qui peuvent expliquer cette prévalence selon l'Agence de la santé publique du Canada: les loisirs inactifs comme les jeux vidéo et la télévision. En effet, seuls 7% des enfants et jeunes satisfont aux Directives canadiennes en matière d'activité physique de 60 minutes par jour pour les 5 à 17 ans.

Une étude réalisée par Jean-Philippe Chaput, titulaire d'une chaire de recherche junior sur les saines habitudes de vie et l'obésité à l'hôpital pour enfants de l'est de l'Ontario, les enfants qui s'adonnent à des jeux vidéo ingèrent plus de calories (163 calories de plus par jour) que ceux qui n'en pratiquent pas. «Jouer à des jeux vidéo passifs représente un stress pour le corps. La pression artérielle augmente, de même que le rythme cardiaque et le cortisol, hormone associée à une augmentation de la prise alimentaire», précise le professeur à l'Université d'Ottawa. Sur le plan psychologique, les jeunes joueurs ont aussi une tendance à la compensation et à la récompense, a-t-il observé.

Les jeux actifs permettent de se rapprocher du niveau d'activité physique recommandé, suggère Erin O'Loughlin, principale auteure d'une étude de l'Université de Montréal publiée récemment dans Pediatrics. Celle-ci révèle que le jeu vidéo physique attire surtout les jeunes filles qui pratiquent en moyenne deux séances de 50 minutes par semaine. «C'est encourageant, mais ce n'est pas encore suffisant», constate la chercheuse, qui voudrait voir les écoles et centres communautaires offrir des espaces de jeux vidéo actifs.



Jouer en groupe


Leur nouveau jeu en ligne les accapare à un point tel qu'ils y passent leur journée entière, sans contact avec l'extérieur, se plaignent les parents. L'époque où les jeux vidéo se jouaient en solo ou à deux sur un même écran semble en voie d'être révolue. Depuis l'arrivée des jeux en ligne multijoueurs, où les joueurs peuvent interagir avec

des joueurs un peu partout sur la planète, les jeunes se donnent plutôt rendez-vous sur l'internet. «Ces jeux contribuent à l'isolement si l'enfant pense que son réseau social se résume à celui des jeux en ligne. À l'inverse pourtant, ces jeux aident certains enfants à développer des habiletés sociales», nuance la neuropsychologue Francine Lussier.

Le pédiatre Emmett Francoeur partage cet avis: le jeu en ligne peut aider l'enfant à construire son estime de soi, à interagir. Ce type d'interactions ne doit toutefois pas remplacer la socialisation, prévient-il. «Avec le jeu en ligne, les enfants risquent de se faire une idée erronée et artificielle de ce qu'est la vie sociale. Les communications virtuelles sont dénudées des contacts et des signaux personnels très importants dans le développement de l'enfant».

Chronomètre

Limiter le temps de jeu permet de prévenir le développement des problèmes d'ordre social, pensent les deux spécialistes. Le Dr Francoeur propose de se fier aux Directives canadiennes en matière de comportement sédentaire et de limiter le temps passé devant un écran à une heure et moins par jour pour les 2 à 4 ans, et de deux heures et moins pour les 5 à 11 ans.

PHOTO BERNARD BRAULT, LA PRESSE

De Tennis for Two à Assassin's Creed

1958 Tennis for Two: Premier jeu vidéo sur ordinateur analogique avec un oscilloscope pour écran.

1962 Spacewar!: Premier jeu interactif sur support informatique qui sera vendu avec l'ordinateur Dec PDP-1.

1972 Pong: Jeu de tennis programmé par Al Alcorn et commercialisé en arcade.

1980 Pacman: Célèbre jeu japonais développé par Namco et vendu partout dans le monde.

1983 Mario Bros: Jeu d'arcade édité par Nintendo mettant en scène un plombier et son frère Luigi.

2004 World of Warcraft: Jeu de rôle en ligne multijoueurs développé par Blizzard Entertainment qui compte 5 millions d'utilisateurs chaque mois.

2007 Assassin's Creed: Jeu d'action-aventure développé par Ubisoft Montréal qui bat des records de vente.

PHOTO LA PRESSE

Les jeunes joueurs en chiffres

7,48 Heures passées devant les écrans par jour pour les jeunes canadiens de 10 à 16 ans.

7% Enfants et jeunes Canadiens de 6 à 19 ans qui satisfont aux directives de 60 minutes par jour d'activité physique recommandées.

46% Enfants canadiens qui profitent  de 3 heures ou moins de jeu actif par semaine

63% Temps libre après l'école et les week-ends passé à des activités sédentaires