Pour la première fois, une enquête de longue haleine réalisée au Québec montre que les scènes de violence à la télévision peuvent perturber les enfants de 3 et 4 ans pendant des années.

D'autres recherches avaient déjà indiqué que des enfants qui voient régulièrement des images violentes à l'écran, même avec des personnages dessinés, sont plus à risque d'avoir des comportements agressifs ou antisociaux.

Mais l'enquête menée par des chercheurs de l'hôpital Sainte-Justine auprès de 2120 enfants québécois depuis l'âge de 5 mois jusqu'à la deuxième année du primaire révèle que les scènes de violence ont un impact à long terme.

Les résultats seront publiés dans la livraison de mai du Journal of Developmental & Behavioral Pediatrics. Les auteurs ne décrivent pas un phénomène marginal: malgré les avertissements des pédiatres, 73% des parents estiment que leurs enfants voient des scènes violentes à la télévision au moins une fois par semaine.

Des années plus tard

Les chercheurs ont choisi les bébés au hasard et les ont suivis chaque année pendant huit ans. Ils ont demandé à leurs parents s'ils avaient regardé des scènes violentes à 41 mois et à 53 mois.

Puis, quand les enfants sont entrés en deuxième année du primaire, ils ont demandé aux enseignants de remplir des questionnaires détaillés sur leur comportement.

Les enseignants devaient indiquer par exemple si les enfants étaient insensibles aux émotions de leurs camarades, s'ils avaient de la difficulté à se concentrer en classe ou s'ils paraissaient plus tristes que la moyenne.

Les enseignants signalaient aussi si les enfants avaient ou non des bons résultats scolaires. Enfin, les élèves ont fait leur propre évaluation et dit s'ils aimaient apprendre à lire, à écrire et à compter.

Les chercheurs ont été étonnés de constater que le fait de voir même peu d'émissions violentes à l'âge préscolaire avait des conséquences négatives des années plus tard.

«Toute exposition à des émissions considérées comme violentes par les parents était associée à de légères augmentations de comportements antisociaux, selon les signalements faits par les enseignants», notent-ils.

«Nos résultats les plus inédits révèlent que les enfants exposés à n'importe quelle quantité d'émissions violentes manifestent ensuite une augmentation des symptômes négatifs, de façon légère mais significative. En deuxième année du primaire, ils étaient moins enthousiastes que les autres enfants et paraissaient plus tristes ou moins heureux.

«Ces résultats confirment des études antérieures suggérant que l'exposition à des scènes violentes peuvent prédisposer les enfants à des sentiments durables d'anxiété, d'émotions négatives et de dépression qui, à leur tour, risquent d'engendrer des psychopathologies au cours de leur vie.

«Les enfants plus agressifs éprouveront probablement plus de problèmes interpersonnels, lesquels peuvent entraîner la tristesse ou la détresse, deux sentiments associés au rejet social...

«L'exposition dès le jeune âge à des émissions violentes était associée [dans l'étude] à des résultats scolaires inférieurs à la moyenne. Le visionnement de scènes violentes à la télévision était aussi associé à une propension à la distraction, à l'inattention et au manque de concentration en classe, selon les enseignants. Ces enfants montraient aussi moins d'intérêt pour l'apprentissage des matières scolaires.

«Cette étude est la première en son genre à suggérer que l'exposition à la violence dans les médias pendant la prime enfance semble avoir un impact à long terme chez les enfants.»

Effet «boule de neige»

Les auteurs craignent l'effet «boule de neige». Si les enfants du primaire sont plus agressifs parce qu'ils ont été marqués par des émissions violentes, ils courent plus de risques d'être rejetés par leurs camarades. À son tour, le sentiment de rejet nuit à l'apprentissage, puis amène les jeunes à moins aimer l'école, ce qui peut mener au décrochage scolaire.

«D'un point de vue de la santé de la population, même de faibles niveaux de sous-performance et de problèmes d'attention ont un coût important pour la société, si on les envisage sur une période de toute une vie.»

Les chercheurs, Caroline Fitzpatrick, Tracie Barnett et Linda S. Pagani, proposent la réalisation d'enquêtes sur l'impact des vidéos ou des jeux d'ordinateur violents. Leur article, qui vient d'être mis en ligne, s'intitule «Early Exposure to Media Violence and Later Child Adjustment».