Inconnus il y a une trentaine d'années, les kinésiologues envahissent peu à peu les centres d'entraînement. D'où viennent-ils? Qui sont-ils? Que nous veulent-ils? La Presse est allée à la source pour en savoir un peu plus à leur sujet.

La profession en cinq questionsD'où viennent les kinésiologues?

À l'origine, c'était essentiellement les éducateurs physiques qui se chargeaient de tout ce qui s'apparentait à l'activité physique, rappelle Marc-Antoine Pépin, vice-président de la Fédération des kinésiologues du Québec. Leur formation était plutôt axée sur la pédagogie, la gestion de groupe, le développement des enfants. Les kinésiologues sont arrivés avec une approche différente afin de viser une clientèle plus large. Leur formation est davantage axée sur l'anatomie, la physiologie. Ils ont créé une fédération provinciale en 1988. De son côté, l'Alliance canadienne de kinésiologie est née en 1995.

Comment devient-on kinésiologue?

Presque toutes les universités de la province offrent des programmes de kinésiologie. «Ça s'est beaucoup développé avec les années, affirme M. Pépin. Dans beaucoup d'universités, le programme relève de la faculté de médecine parce qu'on y trouve des cours plus poussés en anatomie et en physiologie de l'effort.» Les kinésiologues qui veulent approfondir un domaine particulier peuvent faire une maîtrise. Ceux qui s'intéressent à la recherche peuvent également viser un doctorat.

Que font les kinésiologues une fois leur formation terminée?

Les kinésiologues peuvent s'orienter vers différentes branches. Ils peuvent notamment viser le domaine de la santé, c'est-à-dire travailler avec des personnes handicapées ou souffrant de maux chroniques, ou encore se relevant d'un infarctus, pour les aider à faire de l'activité physique. Ils peuvent aussi se spécialiser dans la performance sportive. Ce sont donc eux que l'on trouve dans les centres d'entraînement et qui concoctent des programmes d'entraînement sur mesure. «De plus en plus, les grandes chaînes font en sorte d'engager des kinésiologues afin de se protéger», indique le vice-président de la fédération. La santé au travail constitue une troisième branche pour les kinésiologues: on parle alors de promotion de la santé en entreprise, d'ajustement des postes de travail.

Est-ce que quelqu'un surveille les kinésiologues?

Dès 1996, les kinésiologues ont déposé une demande à l'Office des professions du Québec pour la création d'un ordre professionnel. En 2018, ils attendent toujours une décision, mais le dossier semble avancer. «À l'heure actuelle, tout le monde peut s'appeler kinésiologue, déplore Marc-Antoine Pépin. Avoir un ordre pour chapeauter ça, ça donnerait une certaine sécurité: ça permettrait de mieux protéger le public et de prévenir les problèmes.» En attendant, les gens qui se cherchent un entraîneur peuvent vérifier si la personne est membre de la Fédération des kinésiologues du Québec. Pour en faire partie, il faut obligatoirement avoir suivi une formation universitaire en kinésiologie. «Cela montre qu'elle a une compréhension plus approfondie du corps humain et de ses fonctions à l'effort», note-t-il.

Kinésiologue, kinésithérapeute... est-ce la même chose?

En France, le kinésithérapeute s'apparente au physiothérapeute québécois. Au Québec, ce n'est pas tout à fait le cas. «Ça ressemble plus à un mélange entre le massage et le mouvement, explique Marc-Antoine Pépin. Les manipulations aident à détendre les différents muscles.» Il s'agit donc d'une spécialisation de la massothérapie. Les termes «kinésiologie» et «kinésithérapie» sont similaires, avec comme racine le mot grec «kinésis», qui veut dire «mouvement». «Ce serait un autre avantage d'un ordre: ça permettrait de clarifier tout ça.»

Photo Alain Roberge, La Presse

Ce sont des kinésiologues que l'on trouve dans les centres d'entraînement et qui concoctent des programmes d'entraînement sur mesure.

Passion: réadaptationDéjà, à l'âge de 14 ans, au camp de vacances, Vignon Guezo cherchait à soulager les douleurs de ses camarades avec des massages.

«J'aimais aider les gens», se rappelle le kinésiologue, maintenant membre de la clinique PhysioExtra Ahuntsic (Regina Assumpta), qui fait partie d'une chaîne de cliniques privées spécialisées dans la réadaptation.

Alors installé en France, M. Guezo a voulu se diriger vers la kinésithérapie (l'équivalent français de la physiothérapie). Il a fait des études préparatoires, mais n'a pas réussi les examens d'entrée en kinésithérapie.

«Je me suis demandé si j'allais tenter d'entrer en kinésithérapie en Belgique. Puis, un cousin installé au Canada m'a parlé de la kinésiologie, qui me donnait la possibilité de travailler dans le domaine du sport et celui de la santé.»

Il a quand même décidé de terminer une licence en sciences et techniques des activités physiques et sportives en France avant de s'inscrire au baccalauréat en kinésiologie à l'Université de Montréal. «C'est la kinésiologie qui m'a fait venir au Québec, observe-t-il. J'en suis bien content. Ça fait maintenant 12 ans que je vis ici.»

M. Guezo a connu sa première expérience de travail au centre communautaire Viomax, un centre de conditionnement physique adapté. «J'y ai d'abord travaillé comme bénévole parce que je n'avais pas encore le droit de travailler.» Il a fini par être engagé comme chargé de projet dans ce même centre, ce qui lui a permis de côtoyer des kinésiologues qu'il considère maintenant comme des mentors. Il est ainsi allé chercher des outils pour travailler avec des gens qui avaient subi des traumatismes crâniens ou qui avaient des problèmes de santé mentale.

Il avoue qu'au début, il a eu un peu de difficulté avec l'idée de travailler avec des personnes qui avaient des handicaps, notamment avec des gens qui étaient auparavant très actifs et qui se retrouvaient en fauteuil roulant après une lésion de la moelle épinière. «Le fait de les côtoyer, de les observer, ça a changé ma perception. Ils peuvent aller au gym tous les jours, ils font preuve de confiance, de compétence, de beaucoup de joie malgré leur situation. Ça m'a frappé.»

M. Guezo voit maintenant un potentiel chez tous ceux qui arrivent à un centre de réadaptation et qui n'acceptent pas leur nouvel état. «J'ai appris à motiver les autres et à me motiver moi-même.» Il a également appris à circuler dans un fauteuil roulant, à se mettre à la place des personnes handicapées afin de mieux adapter les exercices.

Les défis du métier

Il y a quand même des défis pour les kinésiologues, comme pour bien d'autres professionnels qui se spécialisent dans la relation d'aide. «On met notre cape de superhéros, de sauveur. On peut avoir des attentes trop élevées envers le changement de la personne, envers ce qu'on peut faire. J'avoue qu'à plusieurs reprises, j'ai frôlé le burnout.» M. Guezo travaille d'ailleurs avec un psychologue pour mettre en place un projet de conférences pour prévenir l'épuisement professionnel.

Un autre défi est lié au fait que les kinésiologues n'ont pas encore un ordre professionnel. Bien des médecins n'accordent pas une grande place à la kinésiologie. «Ils disent aux gens de faire du sport, d'aller marcher. Mais s'ils ne sont pas encadrés, les gens hyper performants risquent de se brûler en faisant de l'entraînement. D'autres, isolés, se blessent ou abandonnent après quelques mois par manque de motivation.»

En outre, bien des assurances individuelles ne couvrent pas la kinésiologie, ce qui peut être un problème pour les gens qui doivent faire attention à leur budget. «Leurs plans couvrent la naturopathie ou l'acupuncture. C'est bien, mais ça ne permet pas à la personne de se faire encadrer dans sa remise en forme.»

Photo Alain Roberge, La Presse

Vignon Guezo est kinésiologue, membre de la clinique PhysioExtra Ahuntsic