Courir 264 km en 48 heures. Pédaler 1000 km en 24 heures. Nager 32 km en 8 heures. Portés par diverses motivations, certains athlètes cherchent constamment à repousser leurs limites en relevant des défis d'endurance extrêmes. Qui sont-ils? Comment y parviennent-ils? Hypothèquent-ils ainsi leur santé? La Presse a voulu en savoir plus sur ces spécimens rares.

Sylvie Boisvert, ultra-marathonienne, a l'habitude de pousser son corps à la limite. Même quand elle souffre à l'extrême et qu'elle est à bout d'énergie, elle continue de courir. En mai, elle a couru 264,39 km - l'équivalent de la distance entre Québec et Montréal! - en 48 heures à Surgères, en France. Cette autodidacte a ainsi établi un record canadien, son quatrième.

«La douleur devient parfois si extrême que je vomis en courant; je perds presque connaissance, raconte Sylvie Boisvert, qui a 46 ans. J'ai mal partout: aux genoux, aux jambes, au bassin. Quand il vente, qu'il pleut ou quand il fait froid la nuit, c'est encore plus dur pour le moral. Il faut fracasser ses doutes et ses peurs. À la fin, la satisfaction est immense.»

Certains athlètes, qu'ils soient ultra-marathoniens, cyclistes, nageurs, triathlètes, alpinistes ou fondeurs, peuvent être considérés comme de véritables machines d'endurance. Saviez-vous que pour compléter la course Ironman d'Hawaii, il faut faire d'un trait 3,8 km de natation, 180 km de vélo et 42,2 km de course à pied? Plusieurs finissent l'épreuve en claudiquant, voire en rampant.

Aurélie Côté, 19 ans, pratique la nage de longue distance. «Jamais je n'aurais pensé un jour traverser le lac Saint-Jean. Ça semblait un but impossible à atteindre», confie-t-elle. En juillet, elle a néanmoins été la quatrième femme à toucher la plaque à Roberval, après avoir nagé 32 km en 8 heures 14 minutes et 21 secondes. Sept jours plus tard, elle a participé à la Descente du Saguenay, encore 42 km de natation! «Je n'ai pas de problème avec les vagues et l'eau froide, mais ça prend de l'endurance et beaucoup de moral pour arriver au bout.»

Dans une classe à part

Qu'est-ce qui motive ces sportifs à se «malmener» ainsi? «Les personnes qui se poussent à l'extrême ont souvent le besoin de se dépasser, de donner un sens à leur vie et de se donner l'impression qu'elles sont hors du commun, dans une classe à part», estime Claude Sarrazin, psychologue spécialisé en préparation d'athlètes de haute performance. «La course, c'est toute ma vie. Ce milieu, c'est ma famille», résume Sylvie Boisvert.

«Il y a aussi le plaisir de la tâche en soi, ajoute le psychologue. Au bout de ses limites, on peut entrer dans «la zone» ou «le flow». On est dans une bulle, détendu et très concentré. Il peut même y avoir distorsion de temps et d'espace. On cherche à retrouver cette sensation, ça peut même être une dépendance.»

Insatiable, l'alpiniste Gabriel Filippi a gravi les plus hauts sommets, du mont McKinley au mont Aconcagua, en passant par le Kilimandjaro. L'appel de l'Everest est le plus fort. Il s'y est frotté quatre fois. «On devient accro. Je ne sais pas pourquoi on y retourne, c'est difficile à décrire. Quand on est en haut de tout, on a une autre perspective sur le monde. Saviez-vous qu'il existe un groupe «Everest anonymes»?»

En 2005, Gabriel Filippi a aussi participé à la course Eco-Challenge, l'une des compétitions les plus difficiles du monde. La course de 350 km se déroule pendant trois jours sans arrêt. «Les équipes composées de quatre membres doivent exceller en vélo de montagne, nage aventure, canoë, escalade, descente sur corde, marche en montagne, orientation carte et boussole, saut de falaise, course et plus encore», écrit-il sur son site internet. «Les athlètes s'engagent au maximum de leurs capacités physiques et mentales.»

Génétique et entraînement

«Ce n'est pas donné à tous d'être un athlète d'endurance. Il faut d'abord certaines prédispositions physiologiques», indique le physiatre Martin Lamontagne, spécialiste en médecine du sport affilié au Centre hospitalier universitaire de Montréal. Si on a un morphotype particulier, des tendons résistants aux blessures et une bonne capacité cardiovasculaire, il faut d'abord remercier ses parents.

«Le VO2max est à 70% génétique», précise le Dr Lamontagne. La tolérance à la douleur et l'adaptation à l'effort en altitude varient aussi d'une personne à l'autre.

Mais pour réussir un défi jugé à première vue surhumain, l'entraînement demeure la clé. «Il faut prendre la préparation au sérieux. Je m'entraîne jusqu'à 35 heures par semaine, dit la nageuse Aurélie Côté. Les entraînements sont longs et solitaires, mais essentiels.»

«Le corps humain a une formidable capacité d'adaptation, d'où l'importance de la préparation, confirme Yvan Campbell, kinésiologue. Certains athlètes s'entraînent à temps plein, ils ne font que ça. Ça demande beaucoup de sacrifices. Il faut avoir une personnalité particulière.»

Sylvie Boisvert a toujours couru. «Quand j'étais jeune, je courais pieds nus dans le gravier et le foin coupé. Je me suis endurci les pieds, raconte-t-elle. Je crois qu'il faut se taxer pour s'améliorer: quand je m'entraîne, il m'arrive de porter des vêtements trop grands, en coton, et des souliers trop petits. Je varie les entraînements, les surfaces, les techniques. Je sors de ma zone de confort.»

Franchir le mur

Ces «irréductibles» restent debout même quand tout les porte à tomber au combat. Comment? «Quand on frappe le mur, c'est difficile de continuer, admet Aurélie Côté. Je me répète que c'est normal de souffrir et je pense à quel point je veux atteindre l'autre rive, à tous les efforts que j'y ai mis depuis des années.» Elle songe aussi au souper qu'elle partagera avec ses proches.

«On peut gérer la douleur en l'associant à une technique de relaxation ou à une image de détente ou en pensant à autre chose: au voyage que l'on fera, à sa famille», indique le psychologue Claude Sarrazin. Il ne faut pas nier les pensées négatives, mais apprendre à les contrôler et comprendre d'où elles viennent, précise-t-il. «On peut se doter de formules antidotes à répéter quand on flanche. Avant les épreuves, la visualisation peut aider à gérer le stress et augmenter la confiance.»

«Je frappe inévitablement un mur à un moment ou à un autre, confie Sylvie Boisvert. Je me sers des épreuves que j'ai traversées, comme des deuils, pour trouver la force de continuer. À un certain moment, je me sens investie d'une force extrême, je me sens sortir de mon corps.»

«Quand on pense avoir atteint sa limite, on s'aperçoit qu'on a beaucoup plus d'endurance et de force qu'on croyait, souligne Gabriel Filippi. Mets-toi dans une situation de survie et tu vas réussir l'impensable.»

Quand le corps dit non

Le sport est bénéfique pour la santé, on le sait et on le répète. Mais que se passe-t-il quand on en fait trop ? Surmenée, la mécanique des «super athlètes» connaît à l'occasion des ratés.

Coup de chaleur et autres bobos

Durant une épreuve de longue haleine, l'hypothermie, le coup de chaleur, la déshydratation et/ou la surhydratation peuvent frapper à tout moment, aux risques et périls de l'athlète. « Je bois peu en course. Ça m'est déjà arrivé, confuse, de zigzaguer involontairement en fin de parcours », raconte l'ultra-marathonienne Sylvie Boisvert.

Fracture de stress

Plus souvent qu'autrement, «c'est l'entraînement intense qui fait mal à long terme », souligne le Dr Martin Lamontagne, physiatre au CHUM, professeur adjoint de clinique et médecin des équipes de natation, de tennis, de ski alpin, de badminton et de golf des Carabins de l'Université de Montréal. «Les fractures de stress sont le lot des athlètes d'endurance, ça prend un très haut volume d'entraînement. Par exemple, les fractures du bassin sont plus fréquentes chez les athlètes qui courent plus de 80 km par semaine. »

Tendinites

Les athlètes de haut niveau - du tennis à la course, en passant par le ski - ont davantage de blessures ligamentaires et des tendinites. «Quand la fatigabilité s'installe, les mécanismes de défense sont moins efficaces et les risques de blessure sont augmentés, explique-t-il. Si le ligament est déchiré, on peut garder une certaine fragilité.»

Système immunitaire affaibli

«Si l'entraînement modéré a, semble-t-il, un effet bénéfique sur le système immunitaire, c'est l'inverse quand on s'entraîne trop, explique le spécialiste. Il y aurait un «boost» durant l'épreuve, mais une baisse d'efficacité des défenses immunitaires par la suite. »

Carence en fer

Les athlètes d'endurance - et plus particulièrement les coureurs semble-t-il - sont aussi plus nombreux à souffrir d'anémie. «On pense que, chez les coureurs, les globules rouges seraient traumatisés au niveau du talon», indique le Dr Lamontagne.

Épuisement

L'alpiniste Gabriel Filippi a déjà frôlé la mort, dans une petite hutte sur une montagne du Chili. « Je vomissais de la bile et du sang. Mon corps n'était plus capable de fournir d'efforts. J'étais sûr de crever là. Par miracle, je me suis réveillé le lendemain matin.» Il était en état de déshydratation avancée et d'épuisement après avoir mis les pieds sur quatre continents en 48 heures.

«La machine humaine est capable d'en prendre, mais cette fois-là, j'ai atteint le bout du rouleau.»

 

Photo: Photothèque La Presse