Chaque année, des dizaines de participants s'affrontent lors du championnat de mémorisation des États-Unis, une sorte d'heptathlon de la matière grise qui implique de retenir un maximum de données en un minimum de temps.

Ronnie White a 35 ans, il vient du Texas et il est devenu le 7 mars dernier le nouveau champion américain de mémorisation. Son trophée en main, l'énergique réserviste de la marine américaine a dit avoir «approché cette compétition comme une mission militaire».

À raison d'au moins 2h30 par jour, il s'est préparé pour les sept épreuves pendant trois mois. «Depuis le 1er décembre dernier, j'ai mémorisé 1116 jeux de cartes [mélangées] et des séries de 175 nombres aléatoires 640 fois», assure le Texan. Mieux, pour tester sa concentration, il s'est entraîné en compagnie d'enfants et a même investi dans du matériel de plongée pour tester sa mémoire sous l'eau!

Cet entraînement extrême s'est révélé payant. Lors du 12e championnat américain de mémorisation, il a battu pas moins de deux records nationaux. Il est parvenu à mémoriser l'ordre exact d'un jeu de 52 cartes mélangées en 1 minutes 37 secondes et il a retenu une séquence de 167 chiffres aléatoires en cinq petites minutes.

Depuis 1997, le championnat américain de mémorisation attire chaque année plusieurs dizaines d'«athlètes de l'intellect» (mental athletes). Cette année, la compétition se déroulait à New York, au 19e étage d'un immeuble près d'Union Square.

Assis deux par table et supervisés par une vingtaine de juges, les 52 participants formaient un groupe hétéroclite, quoique très largement masculin. Professeur, étudiants, ingénieur mécanique, avocat, ecclésiastique, infirmière: les athlètes de la matière grise comprenaient aussi bien des adolescents que des quinquagénaires.

Sue Jin Yang était une des rares femmes à prendre part à la compétition. «J'ai essayé pour la première fois une technique de mémorisation en janvier 2008 et je suis devenue accro immédiatement, soutient celle qui a terminé au huitième rang. C'est excitant de découvrir tout ce que notre cerveau peut faire.»

Infirmière au sein d'une unité de neurologie, la jeune femme de 27 ans côtoie chaque jour des hommes et des femmes souffrant d'Alzheimer. Participe-t-elle à ce type de compétition dans l'espoir de ne pas être elle-même atteinte un jour d'Alzheimer ? «Non, je ne pense pas que cela puisse prévenir l'Alzheimer, mais cela ne peut pas me nuire», précise-t-elle.

Du côté des spectateurs, le divertissement est pour le moins limité. Tout au plus voit-on les participants soupirer, froncer les sourcils et se prendre régulièrement la tête à deux mains.

Afin de se souvenir d'un maximum de données en un minimum de temps, les participants tendent à «visualiser» chacune des informations. Par exemple, pour mémoriser des chiffres aléatoires, Ronnie White les associe à une image mentale. «J'associe une personne aux deux premiers chiffres, puis une action aux deux suivants et ensuite un objet pour les trois chiffres qui suivent. Je construis ainsi des chaînes ''personnage-action-objet'' pour mémoriser les chiffres en série de sept», explique le nouveau champion américain qui a battu le record national en mémorisant 167 chiffres en 5 minutes.

Concrètement qu'est-ce que cela signifie? «Aujourd'hui, la première série de la compétition était 6-5-7-4-9-7-9. Soixante-cinq représente ma serveuse préférée, Ashley, et 74 représente l'action de ''chevaucher un taureau''. J'ai donc visualisé Ashley chevauchant un taureau. Puis 979 représente pour moi une camionnette. Alors, j'ai visualisé Ashley chevauchant un taureau sur le siège arrière d'une camionnette. Cela m'a permis de mémoriser la première série de sept chiffres qui était 6574979 », soutient le réserviste.

Toute cette gymnastique mentale permet-elle d'éviter d'oublier ses clés le matin ? «Pas toujours, admet en riant Sue Jin Yang. Lors d'une compétition de mémorisation, il m'est même arrivée d'oublier de mettre mon nom sur la feuille de test!» Aucune mémoire n'est infaillible, semble-t-il.