Linda Vachon voulait en finir avec ses bajoues. Il y a quatre ans, elle est allée dans une clinique de médecine esthétique de Drummondville et on lui a proposé le dernier-né des implants injectables : le Dermalive.

En 2004, le produit était moussé comme un remplaçant du Botox, permettant entre autres d'atténuer les plis et les rides du visage. Au lieu de quelques mois, le Dermalive durait cinq ans! Une anesthésie locale d'environ 30 minutes, et le tour était joué.

 

«Je voulais paraître un peu mieux, moins vieille, raconte Mme Vachon. Je pensais à un facelift, mais j'avais peur.» Pour combler les rides qui s'étaient creusées sous ses joues et autour de sa bouche, son médecin lui a plutôt proposé le Dermalive.

Linda Vachon, qui a aujourd'hui 59 ans, a déboursé près de 1000 $ pour ses injections. En voyant le résultat, elle n'a pas regretté. Son visage avait l'air plus jeune et ses bajoues étaient presque disparues.

Mais quelques mois plus tard, elle a commencé à avoir des démangeaisons. «Je pensais que c'était des boutons, se souvient-elle. Ça a pris du temps avant que j'aille voir mon médecin, je m'étais dit que ça allait passer.» En fait, il s'agissait d'une trentaine de granulomes, sortes de bosses contre lesquelles elle n'a toujours pas réussi à trouver de traitement. «C'est encore là, dit-elle, c'est laid, et il faut que je vive avec.»

Mme Vachon est maintenant inscrite à un recours collectif lancé en avril 2007 contre le fabricant du Dermalive, son distributeur et Santé Canada, qui a autorisé le produit. Environ une quarantaine de Québécois en font partie, indique-t-on au cabinet Allali avocats, qui chapeaute le recours.

Linda Vachon n'en veut pas à son médecin, qui selon elle ne pouvait pas savoir que l'injection serait aussi désastreuse. Elle voudrait juste retrouver son visage et peut-être comprendre ce qui s'est passé. Pour Lydya Assayag, directrice du Réseau québécois d'action pour la santé des femmes, c'est tout le flou qui entoure la chirurgie esthétique qu'il faut blâmer.

«Au Québec, dit-elle, vous êtes mieux protégé si vous achetez un grille-pain que si vous allez vous faire faire une intervention esthétique. (...) La seule information qu'on a, ou presque, émane des fabricants ou des gens qui offrent des services. Donc, c'est pas toujours impartial».

»Le far west de la médecine»

Le flou, cependant, est loin de se limiter aux produits. Au Québec, tout médecin qui estime avoir la compétence pour pratiquer la chirurgie esthétique peut le faire. Le Collège des médecins n'exige aucune formation minimale. Résultat, «il y en a qui suivent des petits cours d'une ou deux semaines quelque part en Floride et qui s'improvisent chirurgiens», déplore Mme Assayag.

Les vrais spécialistes sont ceux qui possèdent le titre de chirurgien plastique. Afin de le détenir, les médecins doivent avoir pratiqué au moins cinq ans sous la surveillance d'un chirurgien d'expérience, en plus des cinq années d'études de médecine.

Or, une grande partie de ceux qui pratiquent dans les cliniques de chirurgie esthétique sont des omnipraticiens, des dermatologues ou sont issus d'une autre spécialité. L'Association des spécialistes en chirurgie esthétique et plastique du Québec, qui regroupe une centaine de membres, dénonce cette situation.

Peu rassurant

Et elle a peut-être raison. Chaque année, des médecins qui se prennent pour des chirurgiens plastiques font des erreurs qui briment la vie de leurs patients. Fin août, la Dre Élise Bernier, une omnipraticienne de Sherbrooke, a été radiée huit semaines par le Collège des médecins pour avoir accepté d'implanter des prothèses près de deux fois trop grosses pour le gabarit de sa patiente. Dans les jours qui ont suivi l'opération, la peau autour des seins de la femme s'est nécrosée et les implants ont dû être retirés. Selon le rapport du Collège, elle souffre d'une déformation importante du sein droit.

«Il nous arrive à tous de refuser d'opérer des patientes qui ont des demandes irréalistes, a écrit le docteur Éric Bensimon dans son rapport d'expertise. Non seulement le docteur Bernier a accepté de l'opérer, mais elle a mis des implants encore plus gros que ceux que la patiente demandait.»

Un cas plus tragique : fin 2001, une patiente du Dr Pierre Courchesne, un généraliste de Longueuil, est morte après avoir subi trois liposuccions en deux mois. Selon le rapport du Collège des médecins, la femme était obèse, épileptique et prenait des médicaments. Des caractéristiques qui auraient dû freiner le médecin, qui a commis plusieurs fautes techniques durant l'intervention.

Difficile à trouver d'autres exemples. Au Québec, aucun registre ne recense les chirurgies esthétiques ratées. Le Collège des médecins ne publie que les plaintes qui ont donné lieu à des sanctions. Depuis 1999, il n'y en a eu que trois liées à la chirurgie esthétique.

La pointe de l'iceberg

Une quantité infime par rapport à la réalité, estime l'avocat Jean-Pierre Ménard. Le spécialiste dans les erreurs médicales affirme que son cabinet reçoit près d'une centaine d'appels par année pour des chirurgies esthétiques qui ont mal tourné, dont une quinzaine mène à des poursuites. Et encore là, «c'est la pointe de l'iceberg, dit-il. Il y a juste une petite partie des victimes qui viennent nous voir».

M. Ménard pourrait passer des heures à raconter des cas de chirurgies esthétiques ratées. Ces temps-ci, par exemple, il travaille sur le cas d'une jeune femme de 23 ans qui est morte lors d'une rhinoplastie (remodelage du nez). Jean-Pierre Ménard a déjà aussi représenté une femme qui s'est fait enlever les poches sous les yeux et qui a depuis développé d'importants problèmes de vision. «Ce n'est pas des chirurgies banales, répète l'avocat. Il n'y a pas de chirurgies sans risques.»

Malgré tout, l'avenir n'est peut-être pas si noir. Pour s'assurer, notamment, que les cliniques de chirurgie esthétique respectent certains standards, le ministère de la Santé pourra bientôt s'appuyer sur la Loi sur la santé et les services sociaux (Loi 33), adoptée en janvier, qui oblige les cliniques à se doter d'un permis de centre médical spécialisé (CMS).

Consciencieux ou charlantans

De son côté, le Collège des médecins a mis sur pied un groupe de travail qui se penchera entre autres sur les limites qui pourraient être imposées aux médecins qui pratiquent la chirurgie esthétique. «Une des raisons qui nous a amenés à créer ce groupe de travail, explique le secrétaire du Collège, Yves Robert, c'est justement l'interpellation qu'on fait constamment au Collège des médecins de dire, que faites-vous pour protéger le public?»

L'autre raison, c'est que l'équivalent ontarien du Collège des médecins a annoncé fin 2007 son intention d'adopter une nouvelle réglementation exigeant que les médecins pratiquant la chirurgie plastique possèdent la certification appropriée. Le groupe de travail du Collège des médecins québécois réfléchira à cette possibilité, indique le Dr Robert.

Dans les prochains mois, le groupe de travail doit aussi rencontrer Lydya Assayag et le Réseau québécois d'action pour la santé des femmes, qui a fait en 2006 plusieurs recommandations au Collège des médecins pour que la chirurgie esthétique soit mieux encadrée et que les citoyens soient mieux informés.

En attendant, Mme Assayag espère que les Québécois se renseigneront davantage avant de s'offrir une chirurgie esthétique. Sinon, c'est à vos risques, indique-t-elle. «Si vous tombez sur des gens compétents et consciencieux, et il y en a heureusement, ça va. Mais si vous tombez sur des charlatans, attention, ça aussi il y en a.»