Bien manger ne suffit plus. Friands de suppléments alimentaires, les athlètes olympiques gobent pilules, poudre et boissons pour s'assurer de mettre toutes les chances de leur côté et, qui sait, gruger les fractions de seconde qui les séparent du podium. Simples grigris? Coup d'oeil sur le «kit» de l'athlète.

Sans ses biscuits secs pour bébé, le nageur canadien Mark Tewksbury n'aurait peut-être pas remporté le 100 mètres dos aux JO de Barcelone en 1992. «Ça m'a sûrement aidé à gagner», avait-il alors déclaré aux journalistes. Superstitieux, il grignotait toujours quelques Arrowroot avant une compétition.

Les athlètes sont depuis toujours à la recherche de la recette miracle, légale et éthique, pour améliorer leur performance sportive. Si certains moyens sont plutôt farfelus et n'ont qu'un impact psychologique, on sait que l'alimentation joue un rôle primordial dans la préparation sportive. À quoi carburent les athlètes? Pas qu'à l'eau claire!

Selon les résultats préliminaires d'une nouvelle étude pancanadienne (voir encadré), 91% des athlètes québécois de niveau provincial, national et universitaire consomment des suppléments alimentaires. La moitié boit des boissons pour sportifs, 37% avalent des multi-vitamines et 35% ingèrent des protéines en poudre. Pourquoi? La récupération (70%), l'énergie (67%) et la prévention (54%).

«La prise de suppléments sécurise les athlètes. Ils se disent que plus, c'est mieux. Ce n'est pas toujours vrai. Dans certains cas, ils y vont un peu raide, note Marielle Ledoux, directrice du département de nutrition à la faculté de médecine de l'Université de Montréal. Il n'existe aucune pilule miracle pour aider les athlètes à mieux performer.» Mais la tentation est forte pour les sportifs d'en vouloir plus...

«Il se dépense un fric fou dans les suppléments. Les athlètes en consomment de façon éhontée, les effets sont surestimés, avance Christiane Ayotte, directrice du laboratoire de contrôle de dopage à l'INRS-Institut Armand Frappier. Quand on a un bon marketing, on réussit à vendre n'importe quoi.» Danger. Selon des études du Comité international olympique menées de 2000 à 2002, les suppléments seraient contaminés une fois sur cinq.

Un p'tit café avant la course?

Retirée en 2004 de la liste noire de l'Agence mondiale antidopage (AMA), la caféine n'a pas mis de temps à gagner des adeptes. Selon une étude de la Liverpool John Moores University publiée en novembre dernier, 60% des cyclistes et le tiers des sportifs pratiquant l'athlétisme en Grande-Bretagne disent consommer de la caféine avant une compétition.

«La tasse de café a pris le bord, on l'a remplacée par la boisson énergisante. Je dirais que 50% des athlètes sont accros. C'est hallucinant, ça leur prend absolument leur Red Bull avant une compétition!» indique Catherine Naulleau, nutritionniste. Elle travaille avec l'équipe nationale de judo et de patin de vitesse courte piste et conseille plusieurs athlètes du Centre national multisport de Montréal. Les doses de caféine sont très élevées. «On ne boit pas ça comme de l'eau!» avertit Marielle Ledoux.

Ça marche? Pas pour tout le monde. La caféine a un effet stimulant, mais chacun y réagit différemment. Selon l'AMA, la caféine consommée en grande quantité nuirait même à la performance, d'où son autorisation. «Quand on en prend trop, ça crée un effet de fatigue et de déshydratation, affirme Marielle Ledoux. Un peu de caféine ne fait pas de tort, surtout si on est habitué d'en prendre, mais ça n'a pas d'effet majeur.»

«C'est une grave erreur d'avoir autorisé la caféine, croit pour sa part Christiane Ayotte. Des mélanges de caféine et d'éphédrine sont pris. C'est démontré: ça augmente la compétitivité et la performance.» L'éphédrine, qui sera bannie l'an prochain, est permise à de faibles concentrations.

Jamais sans mon «shake»!

Un athlète québécois sur trois ne peut se passer de son «shake de protéines». «C'est répandu. Pour prévenir le bris musculaire et avoir plus d'énergie, on doit y jumeler une bonne source de glucides et éviter les mégadoses», souligne Catherine Naulleau. Quand l'intestin ne suffit pas à la tâche, il rejette ce qu'il ne peut absorber.

«Pour optimiser les effets de l'entraînement, on prend des protéines et des glucides dans les 30 minutes suivant l'effort», explique Marielle Ledoux. Lors d'efforts soutenus et prolongés, on peut répartir sa consommation tout au long de l'entraînement. Pas besoin de poudre: le lait au chocolat et un mélange de jus d'orange congelé et lait valent toute concoction commerciale.

Et la créatine? Elle est populaire dans les sports de force et de puissance, comme le judo et l'haltérophilie, et chez les athlètes universitaires. À petites doses, elle augmente la régénération de l'énergie musculaire et permet donc d'augmenter le volume d'entraînement. Parfois trop. «Ça donne des résultats intéressants, mais l'athlète peut oublier ses limites. On voit des problèmes de tendons et ligaments, des déchirures. On pense que ça peut aussi affecter les reins», explique Marielle Ledoux.

Pire. «Les suppléments en poudre peuvent contenir des anabolisants. La pureté des produits est souvent remise en question», dit la spécialiste. Les viandes et les poissons - le hareng en tête - sont de bonnes sources de créatine. Mieux vaut s'en contenter, selon Christiane Ayotte.

Gavés comme à l'hôpital

En voyage, les athlètes ne peuvent s'alimenter à leur guise.

Ils ont toujours sous la main des multivitamines. C'est le cas à Pékin. «C'est conseillé quand ils craignent de ne pouvoir se nourrir normalement. Ils s'assurent ainsi d'avoir le minimum requis», indique Marielle Ledoux.

En nage synchronisée, en plongeon et en gymnastique, le déficit nutritionnel est flagrant. Même à la maison. «Leur diète est très stricte, leur dépense énergétique à l'entraînement n'est pas importante. Ils ne peuvent manger autant qu'un triathlète», explique Mme Ledoux. Les multivitamines ne sont pas toujours suffisantes.

À l'approche d'une compétition, certains athlètes cessent de manger. «Ils se privent pour bien paraître devant les juges. Ils sont incapables d'avaler une bouchée, ils ont mal au coeur, indique Catherine Naulleau. Il faut leur donner un substitut de repas (Boost, Ensure) pour combler leurs besoins. C'est ce qu'on donne aux malades, une solution de gavage.»

Éviter le coup de chaleur

Même quand ils mangent sainement, les adeptes de sports d'endurance, comme les coureurs de fond, sont susceptibles de manquer de fer. D'où la popularité de ce supplément chez eux. «Avec un effort soutenu, les globules rouges deviennent plus fragiles aux bris. Les athlètes sont fatigués, plus sensibles aux infections, explique Mme Ledoux. Il faut d'abord tenter de pallier le manque par l'alimentation. Si on prend un supplément de fer sans en avoir besoin, ça peut nuire à l'absorption d'autres minéraux.»

Autre incontournable chez les marathoniens et cyclistes: les boissons énergétiques de type Gatorade. S'ils ne buvaient que de l'eau, ils tomberaient comme des mouches! «À Pékin, où il fait chaud et humide, ces produits sont essentiels», indique Marielle Ledoux. C'est quoi? De l'eau, du sucre et des électrolytes (sodium, potassium, calcium).

«Quand l'effort est prolongé, on transpire beaucoup. L'eau ne suffit pas à compenser la perte de minéraux, indique Catherine Naulleau. Ces boissons sont consommées pendant l'effort et, parfois, pendant le réchauffement.»

Du nouveau

La glutamine et les probiotiques pourraient s'ajouter bientôt au «kit de l'athlète». Pour la santé plus que pour la performance. «Quand les athlètes arrivent aux JO, ils tombent malades. Leur système immunitaire est affaibli en raison d'un entraînement intense et sans repos. La glutamine aiderait à le maintenir au bon niveau, dit Marielle Ledoux, qui mène une recherche sur la question. Nos résultats préliminaires sont très intéressants.» On en sait un peu moins sur les probiotiques, mais ils auraient le même impact.

La nutrition sportive, complexe, est en plein essor. Les athlètes sont prêts à jouer les cobayes. «Parce qu'ils n'ont pas droit à l'erreur en compétition, ils sont prêts à tout essayer», dit Catherine Naulleau. Même des biscuits secs.

Accros aux suppléments

Dans l'espoir de mieux récupérer, avoir plus d'énergie ou prévenir des problèmes, la vaste majorité des athlètes québécois de niveau provincial, national et universitaire consomment des suppléments alimentaires, selon les résultats préléminaires d'une étude dirigée par l'Université de Calgary et le comité de nutrition de l'Association canadienne des entraîneurs.

Marielle Ledoux, directrice du département de nutrition à l'Université de Montréal, assume la coordination pour le Québec de cette étude subventionnée par le Centre canadien d'éthique pour le sport. Elle est assistée de Martin Fréchette. Les résultats, encore préliminaires, ont été obtenus en 2007-2008. Des informations plus précises sont attendues cet automne.

PROTÉINES EN POUDRE: 35%

Selon les résultats préliminaires d'une étude pancanadienne, plus du tiers des athlètes québécois d'élite consomment des protéines en poudre. En sports de résistance, un homme de 80 kg a besoin de 96 à 136 g de protéines par jour. Une côtelette de porc en contient 24 g et une tasse de lait, 8 g.

BOISSONS TONIQUES: 3 milliards

C'est le nombre de cannettes de Red Bull vendues en 2006 dans plus de 130 pays. La boisson tonique, lancée en 1987, fait maintenant partie des habitudes de bon nombre de sportifs. Dans une tasse de boisson tonique, on trouve en moyenne 80 mg de caféine et 37,5 g de sucre.

ÉPHÉDRINE ET CAFÉINE: 10 microgrammes

L'éphédrine, que l'on trouve dans les décongestionnants, sera interdite l'an prochain par l'Agence mondiale antidopage. On la tolère actuellement en petite quantité: jusqu'à 10 microgrammes par millilitre dans l'urine. «Des mélanges de caféine et éphédrine sont pris, ça augmente la compétitivité», déplore Christiane Ayotte. La caféine est autorisée depuis 2004.

SUPPLÉMENTS ALIMENTAIRES: 20%

La proportion moyenne de suppléments contaminés selon des données recueillies par le CIO en 2002:

Pays-Bas: 25,8%

Grande-Bretagne: 18,9%

États-Unis: 18,8%

Italie: 14,3%

Allemagne: 11,6%

UNE PURETÉ MISE EN DOUTE

À l'heure actuelle, il est impossible pour une organisation (au Canada et partout dans le monde) de garantir que les suppléments, y compris les vitamines et les minéraux, les aides ergogéniques, et les remèdes à base de plantes médicinales sont exempts de substances interdites. Outre le risque de dopage par inadvertance, le CCES se préoccupe de l'absence de preuves fondées sur la recherche et des études cliniques confirmant l'innocuité et l'efficacité des suppléments pour les athlètes. Le CCES encourage les athlètes à ne pas faire usage de suppléments.

SOURCE: CENTRE CANADIEN POUR L'ÉTHIQUE DANS LE SPORT