Pour le dernier volet de notre minisérie observant le quotidien de différents acteurs du réseau de la santé, nous avons suivi Marie-Pier Bouchard-Pedneault, infirmière au service de néonatologie de l'hôpital Maisonneuve-Rosemont.

Vendredi matin, 7 h 30. Nous sommes dans l'aile D du 7e étage de l'hôpital Maisonneuve-Rosemont. Marie-Pier Bouchard-Pedneault vient d'arriver après deux jours de congé. Elle traîne un rhume qui l'oblige à porter un masque. Ce matin, l'unité néonatale est bondée: 22 bébés s'y trouvent. Ce sera une «bonne» journée.

De plus, le virus d'un bébé force l'équipe actuelle à prendre d'infinies précautions pour que les autres ne soient pas infectés.

La plupart des patients admis dans cette unité de soins intensifs et intermédiaires sont nés prématurément, les plus jeunes à 26 semaines à peine - le terme d'une grossesse normale est, rappelons-le, 38 semaines.

Le plus remarquable, c'est que la majorité d'entre eux poursuivront tranquillement leur maturation dans des incubateurs, avant de quitter l'hôpital. En parfaite santé.

C'est le cas de Sacha, né à 29 semaines, qui obtiendra aujourd'hui son congé après 70 jours d'hospitalisation. Mais aussi d'Antoine, né par césarienne deux semaines avant le terme - après que sa maman eut contracté une gastro. Une intervention sans souci, hormis un taux de glycémie très bas. Il a donc passé la semaine ici, mais son départ est imminent.

Travail d'équipe

Marie-Pier Bouchard-Pedneault est l'une des huit infirmières qui s'affairent auprès de ces tout-petits mis sous globe. «J'adore travailler avec les bébés, nous dit la jeune femme qui travaille dans l'unité néonatale depuis sept ans. Les lits sont placés à aire ouverte tout autour du poste, on travaille en équipe et les parents sont toujours très reconnaissants.»

Cette semaine, elle suivra les trois mêmes bébés avant de rentrer chez elle pour s'occuper des deux siens, âgés de 1 et 3 ans. Première étape, lire attentivement les dernières mises à jour des rapports concernant les bébés qui lui sont confiés. Puis, faire une tournée avec le néonatologiste. Aujourd'hui, c'est la Dre Marie St-Hilaire qui officie.

Les trois bébés de Marie-Pier sont sous haute surveillance. À partir de 10 h, quelques parents viennent passer un peu de temps avec leurs petits. Les plus chanceux pourront les tenir dans leurs bras quelques heures. 

Chaque cas est unique

A.* est né à terme au cours de la nuit dernière, mais avec le cordon ombilical noué autour du cou. Quatre tours! En détresse respiratoire, il a vite été traité par l'équipe de nuit des soins intensifs. Dans un incubateur réglé à 26 degrés, il porte un masque à oxygène. Il a un soluté qui passe par le nombril, mais il n'a pas encore bu ses premières lampées de lait. Par contre, il a déjà reçu des doses de caféine qui améliorent ses capacités respiratoires. Si plus tard, il boit son café noir, il saura pourquoi.

La Dre St-Hilaire n'est plus inquiète pour lui. A. restera encore 24 heures en observation, question de s'assurer que l'ingestion du lait se passe bien, mais il est hors de danger. Après avoir vérifié sa tension et ses signes vitaux - fréquence cardiaque et respiratoire, taux d'oxygène dans le sang, réflexes, etc. - Marie-Pier s'en va rejoindre B.

La petite B. est ici depuis un mois. Elle est née à 30 semaines. Marie-Pier change sa couche, lui caresse doucement la tête, puis prépare son biberon de lait, qui sera administré par gavage, grâce à un minuscule tube qui passe par sa bouche et se rend jusqu'à l'estomac. Elle sera nourrie comme cela toutes les trois heures. 

«Malheureusement, on n'a pas beaucoup de temps pour leur faire des câlins.»

Son lait vient de la banque d'Héma-Québec - du lait maternel pasteurisé - conservé dans le frigo de l'unité néonatale. Il a été fortifié avec de la protéine en poudre. Ce frigo-là contient aussi des pots de lait maternel. Tous étiquetés. Une double vérification est faite avant, afin de s'assurer que bébé boit bien le lait de sa maman.

Photo Bernard Brault, La Presse

Avant d'aller au chevet de bébé S., nous croisons Maxime Bordot avec son petit Timothée dans les bras. Celui-là revient de loin. En fait, sa maman a eu un lymphome il y a quatre ans. Avant de subir des traitements de chimio et une greffe de cellules souches, la jeune femme a fait congeler ses ovules fécondés. Une fois en rémission, elle s'est fait inséminer l'embryon. Résultat: Timothée. «Conçu» il y a quatre ans, mais né il y a sept jours à 32 semaines.

Pour la petite histoire, la maman âgée de 32 ans se porte bien. Le couple se relaie à l'hôpital. Maxime fait les matinées et les soirées, tandis que maman passe la journée avec lui. «On a hâte de le ramener à la maison, mais tout se passe vraiment bien pour lui», nous confie le jeune papa.

Parfois plus difficile

Non loin de lui, un autre bébé prématuré poursuit son achèvement. Celui-là est visité tous les jours par sa famille d'accueil, qui s'en occupe jusqu'à ce qu'on lui trouve des parents adoptifs. Place à S., le troisième bébé de l'unité néonatale sous la supervision de l'infirmière. Contrairement aux autres incubateurs, le sien n'a pas de «couveuse», sorte de couverture qui maintient l'incubateur dans la pénombre. «Il nous en manque...», constate Marie-Pier.

Cette petite est ici depuis neuf jours. Elle est née à 32 semaines, elle aussi. Seul souci, elle régurgite continuellement. Pour habituer son système digestif, elle est nourrie par gavage (tout doucement) en permanence. Des radiographies de l'abdomen sont faites pour s'assurer qu'il n'y a aucune anomalie, mais la Dre St-Hilaire est optimiste. Au fil des semaines, les fonctions digestives seront plus faciles. Tout devrait rentrer dans l'ordre.

Toutes les histoires ne finissent pas bien. Sous la couveuse, au fond de l'unité, se trouve un bébé né à 35 semaines avec une trisomie 18, très grave syndrome caractérisé par la malformation de plusieurs organes. Son espérance de vie est d'environ un mois... La maman, arrivée au Canada peu avant d'accoucher, ne parle ni anglais ni français. Son mari ne l'a pas encore rejointe. Avec l'aide d'un interprète, le personnel médical lui a expliqué la situation. Elle est évidemment démolie. Sa petite vit en ce moment ses derniers jours...

«C'est très triste, nous dit Marie-Pier. Il y a toutes sortes de cas ici, mais la plupart des enfants s'en sortent bien. Ce sont les 24 premières heures qui sont critiques.» La journée file, l'infirmière s'accorde une petite pause avant de reprendre ses rondes. Après un départ laborieux, elle a réussi à reprendre le dessus. Marie-Pier fera sa dernière ronde vers 15 h 30. Après, c'est le retour à la maison, et le début du «deuxième shift».

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* À la demande des parents et de l'unité néonatale, seule la première lettre du prénom de certains bébés est divulguée.

Photo Bernard Brault, La Presse