Au cours des prochaines semaines, La Presse sera témoin du quotidien de différents employés du système de santé et rapportera leurs joies et leurs défis. Aujourd'hui, rencontre avec Marie-Audrey Loranger, préposée aux bénéficiaires.

Mme Plourde, de la chambre D-206, est habillée d'une robe du dimanche. Elle est complètement aveugle, mais elle continue de tricoter. Surtout des foulards. Les rideaux de sa chambre ont été taillés sur mesure, l'édredon est agencé. Autour d'elle, des plantes vertes, un immense cactus, les photos de sa famille, beaucoup de photos.

«Quand les résidants arrivent ici, c'est souvent un traumatisme, c'est stressant, surtout pour les gens qui quittent leur maison. J'ai une résidante qui a été séparée de son mari. Ils étaient en couple depuis 50 ans. Je dois trouver le temps pour les mettre à l'aise, les soutenir dès leur arrivée», explique Marie-Audrey Loranger, préposée de longue date au centre d'hébergement de soins de longue durée (CHSLD) Joseph-François-Rousselot, rue Sherbrooke.

La préposée offre une visite de l'aile des chambres où elle travaille. Ici, 157 résidants sont logés. La plupart des chambres sont individuelles. Et la liste d'attente est longue. Quand une chambre se libère, elle est occupée dès le lendemain par un nouveau venu.

Marie-Audrey s'occupe de huit personnes âgées, dont Mme Plourde. Elle épaule trois d'entre elles dans leur routine, puis s'occupe de la toilette matinale complète des cinq autres. Il y a aussi les quatre chambreurs de sa collègue qui ont besoin de deux personnes pour les soulever. Il y a les déprimés, les agressifs, les désorientés...

La cloche sonne dans la chambre voisine. On est loin du travail de ménage des chambres d'hôtel, concède la préposée, qui a la chance d'avoir un poste de jour, à temps partiel, qui lui permet d'être auprès de ses filles de 7 et 9 ans après l'école. La préposée ouvre la porte doucement pour voir si la dame se porte bien. La dame vêtue de rose chante à tue-tête en berçant un bébé poupée.

«Veut, veut pas, on s'attache à eux», dit la préposée. Elle raconte qu'elle connaît la dame depuis une dizaine d'années. «Elle a perdu son autonomie du jour au lendemain. C'est certain que je vais pleurer quand elle va mourir. Mon CHSLD, c'est ma maison, ma deuxième famille. On a fêté un centenaire récemment, ce n'est pas rien.»

Dans ce CHSLD, l'heure du dîner est de 12 h à 12 h 45. Pendant que sa collègue va dîner, Marie-Audrey s'occupe des cabarets, procède à une tournée visuelle, prend les présences. Elle l'admet, même en après-midi, il y a ceux qui attendent qu'on passe pour la toilette matinale. Il y a les lits à changer, le ménage, le ramassage. À travers tout ça, elle a deux pauses de 15 minutes.

«C'est impossible de passer dans toutes les chambres quand on a une chute le matin, un dégât à ramasser ou le rendez-vous d'un résidant à coordonner.»

«En après-midi, il y a les patients immobiles à changer de position, il faut changer ceux qui souffrent d'incontinence. Il y a aussi la collation à distribuer», énumère Mme Loranger.

Directement de la maison

Pierre Lapointe, technicien en loisirs, est un vieux routier du CHSLD qui a 32 ans de carrière. C'est lui qui met un baume dans la vie des personnes âgées en organisant des activités, parfois des concerts. Depuis quelques années, il remarque un changement chez les nouveaux arrivants.

«On commence à avoir davantage de cas qui passent directement de la maison à la résidence. Il y a de moins en moins de transition. On constate aussi que la population vit plus longtemps. Les gens peuvent être ici 8, 9, 10, voire 11 ou 12 ans. On gère les cas d'errance intentionnelle, il y a les bracelets antifugues.»

Dans tout l'édifice, il y a une odeur fétide qui flotte dans l'air. Même au sous-sol, à l'étage de la buanderie, du petit local de coiffure et de la cafétéria. Le personnel a beau essayer de l'éliminer avec des assainisseurs d'air, l'odeur revient. Mais la préposée n'est plus incommodée.

«Personnellement, je n'ai pas le dégoût pour les selles, pour les vomissements. Ça fait partie du travail. Quand vient le temps du bain, il faut convaincre doucement. Certains n'aiment pas l'eau, ils vont nous dire qu'ils ne sont pas sales, qu'ils ne se sont pas roulés dans la boue. On tente au moins de changer les jaquettes.»

Quand la journée tire à sa fin, la préposée tente de se réserver du temps pour jaser un peu. Elle raconte qu'elle ne se destinait pas à la carrière de préposée. Elle terminait des études universitaires quand la vie a mis sur sa route un cours du soir. Elle a essayé, et elle y a pris goût. En ce moment, elle termine une formation d'enseignement du yoga. Elle aimerait bien ajouter cette activité à la vie des résidants.

«Nous ne sommes pas seulement des préposés fournissant des soins de base. Nous sommes les yeux des infirmières quand il y a un petit bobo à soigner.»

«On a l'impression d'être utiles. Ils nous disent souvent qu'ils sont contents de nous voir. On amène quelque chose de plus dans leur vie», estime Mme Loranger.

Recruter 150 préposés

Depuis la visite de La Presse à la résidence Joseph-François-Rousselot, 1395 des 2293 personnes âgées en hébergement du territoire (60 %) ont manifesté le désir de bénéficier d'un deuxième bain ou d'une douche. Au centre intégré universitaire de santé et de services sociaux (CIUSSS) de l'Est-de-l'Île-de-Montréal, on indique que 865 des 1395 résidants reçoivent déjà les deux bains promis. Et on assure que le nombre augmentera avec les embauches prévues et l'ajout d'équipements.

«On ne veut pas faire des bains en série, explique Claude Riendeau, directeur du programme de soutien à l'autonomie des personnes âgées du CIUSSS. On a donc procédé à un affichage en février. On parle de 103 postes à temps complet.»

Afin d'y parvenir, la direction a mis en place une structure de recrutement en collaboration avec la commission scolaire de la Pointe-de-l'Île. Une formation professionnelle de 760 heures est nécessaire pour intégrer la profession. À cela s'ajoute un partenariat avec les cégeps pour attirer les élèves en soins infirmiers de première année. «Le rôle du préposé s'est modernisé, affirme M. Riendeau. Les tâches comprennent un volet important sur les communications interpersonnelles. Il y a aussi la prévention des chutes, la prévention des plaies de lit. On intègre aussi la notion de l'animation en milieu de vie.»

Au ministère de la Santé (MSSS), on rappelle que 36 millions ont été annoncés en 2017 pour améliorer les soins d'hygiène en CHSLD. On précise que ce sont les établissements qui ont la responsabilité de répondre à ces besoins.

«Selon la collecte des données de novembre 2017, l'ensemble des établissements était en cours d'implantation des prérequis. Un processus de collecte de données pour avoir les informations à jour est en cours», ajouté Noémie Vanheuverzwijn, des relations avec les médias du MSSS.

En chiffres

Le CIUSSS de l'Est-de-l'Île-de-Montréal compte 43 points de services. Ces points de services regroupent:

- 2502 lits d'hébergement de longue durée

- 493 places de ressources non institutionnelles (RNI) pour les personnes âgées

- 15 centres d'hébergement de longue durée (CHSLD)

- 3 centres de jour

- On trouve plus de 1100 préposés aux bénéficiaires en CHSLD.

Photo André Pichette, La Presse

Mme Plourde fait partie des huit personnes âgées dont s'occupe Marie-Audrey Loranger.