L'engouement pour la flottaison ne cesse de croître depuis une dizaine d'années. Si elle est surtout associée à l'industrie du bien-être, des scientifiques croient que flotter pourrait permettre de traiter certains problèmes de santé, comme l'anxiété et la dépression. Une première étude sur le sujet semble leur donner raison.

Une idée à méditer

Syndrome post-traumatique, trouble d'anxiété généralisé, dépression, trouble panique... Devant les succès mitigés des traitements actuels pour traiter ces maladies bien de notre temps, certains scientifiques explorent de nouvelles avenues. Et si la thérapie par la flottaison faisait partie de la solution?

Le Dr Justin Feinstein est un neuroscientifique américain, chercheur principal au Float Clinic and Research, nouveau centre unique au monde, intégré au Laureate Institute for Brain Research, à Tulsa, en Oklahoma. Son équipe et lui s'intéressent au fonctionnement du cerveau et, plus précisément, à la façon dont le cerveau crée l'anxiété.

Ses recherches - notamment sur la communication entre notre cerveau et le «corps interne» (coeur, viscères...) - l'ont amené à découvrir que cette communication «était déréglée dans un cerveau en état d'anxiété».

De fil en aiguille, il en est venu à s'intéresser à la Floatation-REST (pour Reduced Environmental Stimulation Therapy), un traitement, dont l'origine remonte aux années 50, qui place le patient dans un caisson d'isolation sensorielle rempli d'eau et de sel d'Epsom afin qu'il flotte. Le Dr Feinstein a par la suite mis sur pied le Float Clinic and Research Center, où il étudie les effets de la flottaison sur le corps et le cerveau afin, il espère, de découvrir un traitement potentiel pour l'anxiété.

Un sujet qu'il considère comme primordial alors que notre société serait «en plein coeur d'une épidémie d'anxiété».

«Bizarrement, on vit dans une époque où les gens n'ont jamais été autant anxieux, alors que, dans notre société occidentale, la plupart de nos besoins primaires sont satisfaits.»

Un territoire inexploré

Depuis les années 80, un certain nombre de recherches scientifiques ont mesuré les effets de la flottaison sur le corps et l'esprit : réduction du stress, augmentation de la relaxation, diminution des tensions musculaires, du taux de cortisol (hormone liée au stress) dans le sang, du rythme cardiaque et de la tension artérielle.

Dans cette foulée, la thérapie par la flottaison connaît une popularité grandissante. Depuis une dizaine d'années, les centres et spas offrant la possibilité de flotter dans un environnement contrôlé ont explosé en Amérique du Nord et en Europe. Il existe même, depuis 2012, un événement annuel aux États-Unis, la Float Conference, qui réunit les gens de l'industrie, chercheurs et experts.

Cela dit, la quasi-totalité des études a été menée sur des personnes en santé. Mais qu'en est-il des personnes souffrant de problèmes de santé comme le syndrome post-traumatique ou le trouble d'anxiété généralisé? Selon le Dr Feinstein, la flottaison pourrait offrir de nouvelles avenues, dans un contexte où les traitements actuels pour les troubles d'humeur et d'anxiété - médication, psychothérapie - n'aident environ que 50 % des patients.

«Il y a une ouverture en ce moment, car la communauté reconnaît de plus en plus que les traitements offerts ne sont pas adéquats. Je crois que la flottaison pourrait être un moyen novateur pour aider à rétablir une connexion saine entre le cerveau et le corps.»

Publiée au début du mois, la première étude clinique réalisée par le Laureate Institute for Brain Research, Examining the Short-Term Axiolytic and Antidepressant Effect of Floatation-REST, offre des pistes prometteuses. Les chercheurs y examinent les effets à court terme de la flottaison - après une séance seulement - sur 50 participants présentant un spectre de problèmes liés au stress et à l'anxiété, en comorbidité avec la dépression. Un groupe de contrôle de 30 patients non anxieux a également participé à l'étude.

À l'aide d'un questionnaire standardisé mesurant l'anxiété (State-Trait Anxiety Inventory), que l'on fait passer avant et après la flottaison, et d'une séance de «debriefing», l'équipe est arrivée à des résultats intéressants : réduction de l'état général d'anxiété, du stress, des tensions musculaires, de l'état dépressif avec, à la carte, une amélioration significative de l'humeur, de la sérénité, du sentiment de bonheur et de l'état général de bien-être. Et ce, pour les 50 patients, sans exception, mais à différentes intensités.

«Ce qui est fascinant, c'est que ce sont les patients avec les symptômes anxieux les plus sévères - qui répondent souvent mal aux traitements traditionnels - qui ont rapporté le plus d'effets bénéfiques. Cela ouvre plusieurs pistes pour l'avenir», s'enthousiasme le neuroscientifique, qui travaille actuellement à la mise sur pied d'une étude qui mesurerait les effets à long terme, avec plusieurs séances, de la flottaison.

Induire l'état méditatif

Comment la flottaison procure autant d'effets positifs, particulièrement aux gens anxieux, reste à déterminer. Une des pistes de réponse: la thérapie par la flottaison permettrait d'atteindre un état méditatif difficilement accessible autrement.

Rencontré à Los Angeles, Jeff Ono, fondateur du Pause Float Studio, croit profondément aux bénéfices de la flottaison. «C'est l'antidote au monde étourdissant dans lequel nous vivons. Nous sommes toujours connectés, l'esprit n'a plus l'occasion de s'arrêter. Tout cela crée de gros problèmes : stress, insomnie, blessures physiques.»

«La flottaison élimine toutes les interférences et donne l'espace à l'esprit pour se tranquilliser. Ça induit un état très similaire à celui que procure la méditation.»

Il est désormais admis par la communauté scientifique que la méditation dite «pleine conscience» peut avoir des effets bénéfiques sur les douleurs chroniques, l'inflammation, l'attention et même la prévention d'une rechute après une dépression. Cependant, il est souvent ardu pour des cas cliniques aux prises avec des troubles d'anxiété de s'adonner à la méditation.

«Il est très difficile pour une personne ayant de l'anxiété sévère de méditer, de se concentrer sur le moment présent. Mais ce qui est fascinant, c'est que lorsque ces personnes flottent, le tout se produit vraiment naturellement. Cela fait de la flottaison un outil au potentiel très puissant», conclut le Dr Feinstein.

Une idée à méditer, assurément.

Photo fournie par Ovarium

Depuis les années 80, un certain nombre de recherches scientifiques ont mesuré les effets de la flottaison sur le corps et l'esprit.

Quelques dates

1957: Après quelques années d'expérimentation, John C. Lilly et Jay Shurley créent le premier prototype de caisson d'isolation sensorielle, où les patients sont immergés à la verticale.

1970: En collaboration avec John C. Lilly, Glenn Perry met au point le premier modèle de nacelle horizontale dont l'eau contient une haute concentration de sel d'Epsom permettant au corps de flotter, tout en laissant le visage à l'air libre.

1977: John C. Lilly publie The Deep Self, présentant ses méthodes et conclusions sur le sujet.

1980: Lancement du film Altered States, inspiré par les travaux de John C. Lilly.

1982: Ouverture par Bernard Meloche de l'Ovarium, à Montréal.

1984: Le journaliste Michael M. Hutchison publie The Book of Floating, qui résume les utilisations curatives et thérapeutiques du caisson d'isolation sensorielle. Au Québec, M. Meloche fait traduire le livre en français.

Années 80-90: Les travaux de Turner et Fine sur la flottaison montrent des effets bénéfiques sur le corps, dont la diminution du cortisol (hormone liée au stress).

2005: Flotation-restricted environmental stimulation therapy (REST) as a stress-management tool: A meta-analysis, une méta-analyse de 27 études qui confirme l'efficacité de la flottaison pour réduire le stress.

2006: Personnalité connue aux États-Unis, le commentateur et animateur Joe Rogan déclenche un buzz en vantant sur sa chaîne YouTube la flottaison, dont il est adepte. Il continue régulièrement d'en parler.

2016: Le Suédois Kristoffer Jonsson publie une première étude sur des personnes souffrant de désordre anxieux généralisé, qui montre la réduction de l'anxiété à court et à long terme, après une douzaine de séances de flottaison.

2018: Ouvert en 2015 à Tulsa, Oklahoma, le Float Clinique and Research, un centre unique au monde, publie la toute première recherche étudiant des personnes aux prises avec des problèmes d'anxiété et de dépression. Les résultats montrent une réduction de l'état général d'anxiété et une amélioration significative de l'état général de bien-être.

John C. Lilly, génie excentrique et père de la flottaison

La thérapie dite de Floatation-REST a longtemps été considérée comme un trip d'excentrique par la communauté scientifique, qui n'a que récemment commencé à étudier sérieusement ses effets sur le corps et l'esprit. La raison? Son inventeur, John C. Lilly.

Une recherche rapide sur l'internet donne un aperçu de l'étendue du savoir de l'Américain John Cunningham Lilly, né en 1915 et mort en 2001. Il était médecin, neuroscientifique, neuropsychologue, psychanalyste, psychothérapeute, cétologue, mammalogiste, inventeur et écrivain. Rien de moins!

Connu comme l'inventeur de la thérapie par la flottaison, mais aussi pour ses études sur l'intelligence des dauphins et ses expériences avec des substances psychédéliques, Lilly est un pionnier dans l'étude de la conscience et est aussi associé à la contre-culture californienne des années 60.

C'est d'ailleurs pour étudier les capacités du cerveau humain en le coupant de toute influence extérieure qu'il invente le caisson d'isolation sensorielle. Dans la première version à immersion verticale, les «patients» - surtout des astronautes américains de la NASA en préparation pour leur mission sur la Lune - portent des casques avec des tuyaux qui laissent entrer et sortir l'air - une image qui n'est pas sans rappeler les expérimentations auxquelles est soumis le personnage d'Eleven dans Stranger Things.

Dans les abysses de la conscience altérée

Pas de doute, le personnage était un «génie incroyable», note le Dr Feinstein, mais aussi un excentrique qui se prenait lui-même comme cobaye pour mener ses expérimentations. «Il s'intéressait beaucoup aux états altérés de conscience. Pour lui, la flottaison était un outil pour tester des drogues hallucinogènes. Quand on lit ses livres, ça relève davantage de la science-fiction que de la science! Disons que le tout a fait peur à plusieurs chercheurs.»

En 1980, le film d'horreur et de science-fiction Altered States, aux accents psychédéliques, met en scène de façon romancée les travaux de John C. Lilly. Réalisé par Ken Russell et marquant les débuts de l'acteur William Hurt au grand écran dans la peau du chercheur, le film frappe l'imaginaire, mais pas nécessairement en faveur de la flottaison.

À Montréal, Bernard Meloche fait figure de précurseur dans le domaine, lui qui a ouvert, en 1982, l'Ovarium, pendant longtemps un des plus grands centres voués à la flottaison dans le monde. C'est après avoir lu un article dans La Presse, en 1980, que celui qui s'est intéressé à la méditation, à l'hypnose et à l'audio-psychophonologie s'est penché sur la thérapie par la flottaison. «Ça m'a allumé, cette idée de pouvoir perdre la notion du temps, de l'espace, de ton corps et de plonger dans un état méditatif rapidement», raconte-t-il.

Intrigué par Lilly - même s'il avoue que l'industrie de la flottaison évite souvent les références à l'excentrique chercheur, encore aujourd'hui - , il s'est rendu lui-même quelques fois en Californie dans les années 80 et 90 pour rencontrer le scientifique au caractère particulier.

«La première fois, en 1982, c'était à l'Institut Esalen à Big Sur, en Californie. J'ai rencontré John Lilly lors d'une conférence intitulée Mind, Brain and Unitive Consciousness. Déjà, à cette époque, il était peu communicatif. Je l'ai revu en 1992 à Hawaii pour une conférence sur les dauphins, et il n'était pas plus communicatif... Tu ne pouvais pas vraiment lui poser une question et avoir une réponse claire, finalement!»

Photo fournie par Ovarium