MyFitnessPal, Lose it !, Pact...  En cette ère où l'obésité et la technologie n'ont jamais été aussi présentes, les applications « compteuses de calories » prolifèrent. Outil pratique ou pente glissante vers l'obsession ? Les avis divergent.

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LES CALORIES DANS LE COLLIMATEUR

Tracy Mclean, 27 ans, a téléchargé l'application MyFitnessPal sur son iPhone l'année dernière. Son but: maintenir son poids afin d'optimiser ses performances lors des demi-marathons.

Comme la plupart des applications mobiles «compteuses de calories», MyFitnessPal invite ses utilisateurs à fixer un objectif, puis à inscrire ce qu'ils mangent et les exercices qu'ils accomplissent tout au long de la journée.

«Je l'utilise pour la même raison que je le recommande à mes clients : pour avoir une idée de la quantité de calories que je mange, une ligne directrice. Il faut savoir se permettre des choses, mais il faut aussi savoir se contrôler», dit Tracy, kinésiologue dans un gym de la Rive-Sud de Montréal.

Les applications qui comptent les calories se multiplient depuis quelques années et attirent un nombre croissant d'adeptes. Elles sont de plus en plus sophistiquées : on peut désormais scanner le code-barre des produits, calculer le nombre de pas qu'on fait et même parier de l'argent sur l'atteinte de ses objectifs. Si on se fie à Google, qui met au point l'application Im2Calories, on pourra bientôt connaître le nombre de calories dans son assiette... à partir d'une simple photo.

Si certains, comme Tracy, les utilisent pour maintenir leur poids («j'ai tendance à en prendre facilement»), la plupart des utilisateurs s'en servent pour en perdre. C'est le cas de Daphné Santos Vieira, dont le poids fluctue depuis l'adolescence.

Daphné, 31 ans, a essayé sa première application - celle de Weight Watchers - en janvier 2012, lorsqu'elle s'est inscrite au programme avec deux de ses amies.

Au fil des mois, elle a perdu 45 livres. Ses amies ont fini par abandonner le programme, elle aussi. Graduellement, Daphné a repris le poids perdu, même un peu plus.

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«J'ai beaucoup de difficulté à maintenir un régime : au bout d'un certain temps, je deviens comme obsédée par les aliments dont je me prive», ajoute la jeune femme, pour qui la prise de médicaments antiépileptiques constitue un obstacle de plus dans le maintien de son poids.

Bien qu'elle pèse aujourd'hui 25 livres de plus qu'en janvier 2012, Daphné n'abandonne pas son objectif de perte de poids. Après avoir essayé l'application Lose it!, elle utilise aujourd'hui Fitbit, qui fonctionne avec un bracelet comptabilisant ses pas. « C'est une question de santé bien plus que d'apparence », affirme celle qui souhaite fonder une famille.

OUTIL OU OBSESSION?

Les applications pour perdre du poids suscitent un certain intérêt dans le monde de la santé aux États-Unis, où l'obésité demeure un véritable fléau.

Il y a trois ans, des chercheurs américains ont analysé 30 de ces applications pour savoir lesquelles prônaient des «stratégies comportementales» reconnues comme étant efficaces dans le cadre d'un programme de perte de poids. Ils voulaient ainsi outiller les médecins qui souhaitent recommander des applications à leurs patients. Les résultats ont été publiés en 2013 dans l'American Journal of Preventive Medicine.

Résultats: la vaste majorité des applications prônaient trois stratégies reconnues (objectif de poids, objectif alimentaire et objectif d'activité physique), mais d'autres stratégies étaient totalement absentes, dont la réduction du stress, la gestion des pensées négatives ou la détermination des raisons qui incitent les gens à perdre leurs bonnes habitudes de vie.

Les calories ne sont en effet qu'un petit aspect dans l'ensemble des facteurs qui influencent le comportement alimentaire et le poids, souligne Véronique Provencher, professeure agrégée à l'École de nutrition de l'Université Laval.

Souvent, les nutritionnistes demandent à leurs clients de tenir un journal alimentaire pour rapporter non seulement ce qu'ils mangent, mais aussi l'heure à laquelle ils mangent, le contexte dans lequel ils mangent, leurs sensations de faim et de satiété, etc.

« L'avantage que je pourrais voir [à comptabiliser ses calories], c'est de prendre conscience de ce qu'on mange, dit Véronique Provencher. Par contre, il y a aussi des désavantages, dont un majeur : l'espèce d'obsession que ça peut créer par rapport à l'alimentation. »

« Ça dépend toujours de la façon dont on va utiliser l'application. Le fait-on pour s'informer sur soi-même ou devient-on à la merci de cet outil ? Quand on mange uniquement avec notre tête, et non avec nos sensations physiques de faim et de satiété, ça peut avoir des impacts négatifs. » Véronique Provencher se questionne aussi sur la validité de la base de données utilisées par ces applications pour calculer les calories.

Coauteure du livre Mangez !, la nutritionniste Guylaine Guevremont s'oppose carrément à l'utilisation de telles applications. À la clinique qu'elle a fondée (Muula), les professionnels (qui comptent des psychologues) tâchent au contraire d'aider les patients à cesser de calculer leurs calories et à retrouver une relation plus saine et plus intuitive avec la nourriture.

« Calculer de façon externe peut amener à glisser plus facilement vers les troubles alimentaires », croit Guylaine Guevremont. Elle rappelle que l'application ne peut connaître les besoins d'une personne, qui varient d'une journée à l'autre, d'un repas à l'autre. « Il n'y a pas mieux que le corps pour savoir les besoins qu'il a. »

ON FAIT QUOI, ALORS? 

Voici quelques conseils glanés auprès des nutritionnistes Véronique Provencher et Guylaine Guevremont.

• On apprend à reconnaître les signaux de faim et de satiété que le corps envoie.

• On vise le poids naturel de son corps, et non le poids « idéal ».

• On intègre de nouvelles habitudes de vie... qu'on se sait capable de maintenir tout au long de sa vie.

• On fait preuve de patience.

• On se questionne sur le contexte dans lequel on mange. Est-ce parfois pour calmer l'anxiété, pour se faire plaisir ? (Au lieu, par exemple, de demander un congé à son patron.)

• On vise un nouvel objectif : cesser de mettre la nourriture au centre de sa vie.

L'EFFET BOOMERANG DES RÉGIMES

Dans les années suivant un régime, 95 % de gens reprennent le poids perdu, parfois même plus. La littérature scientifique offre bon nombre d'explications, tant psychologiques que physiologiques.

TÊTE

Au lieu de changer de petites habitudes de vie sur une base permanente, les gens se lancent souvent dans un régime qu'ils perçoivent comme un épisode passager. «Ils ont hâte de revenir à ce qu'ils faisaient avant», note Véronique Provencher. D'un point de vue psychologique, la privation peut aussi mener à des excès et à des rages alimentaires.

VENTRE

Un régime faible en calories perturbe les taux d'hormones régulant la faim et la satiété, et ce, même un an après la fin de celui-ci, selon une étude publiée en 2011 dans The New England Journal of Medicine. Par ailleurs, un régime augmente le taux d'hormones liées au stress, ce qui facilite aussi la prise de poids.

BALANCES

Le métabolisme de base - la quantité d'énergie dont l'organisme a besoin au repos - est pratiquement proportionnel au poids. Plus on est léger, moins nos besoins nutritionnels de base sont élevés. Au terme d'un régime, impossible, donc, de «manger comme avant»... sans prendre du poids.

CUISSE

Un régime restrictif (surtout sans exercice physique) entraîne une perte de la masse musculaire. Selon Extenso, une personne qui consomme moins de 1000 calories par jour peut perdre jusqu'à 20% de sa masse musculaire en quelques semaines seulement! Les muscles étant les tissus les plus énergivores, les gens se retrouvent avec un métabolisme de base moins élevé qu'avant.