Selon un chercheur montréalais, les conséquences des commotions cérébrales sont plus importantes chez les femmes. Le manque d'habiletés techniques, la musculature du cou et les hormones seraient en cause. Notre collaboratrice Marie Lambert-Chan fait le point.

Un chercheur montréalais démontre que les conséquences des commotions cérébrales sont plus importantes chez les femmes. Le manque d'habiletés techniques, la musculature du cou et les hormones seraient en cause.

Un an après avoir subi une commotion cérébrale, des athlètes féminines se sentent encore au ralenti. Au quotidien, tout ou presque semble exiger plus de temps : lire, écrire, entreprendre une tâche, planifier et organiser une activité aussi simple que de préparer une pâte à crêpes... On savait déjà que les femmes couraient deux à trois fois plus de risque de souffrir d'une commotion cérébrale. Dave Ellemberg, neuropsychologue et professeur à l'Université de Montréal, a découvert qu'elles sont aussi plus gravement touchées.

Son étude est la première du genre : son laboratoire a évalué le cerveau de 332 athlètes des milieux collégial et universitaire, hommes et femmes, pendant 12 mois, à l'aide, entre autres, de l'imagerie cérébrale et de l'électrophysiologie. « Aucune recherche n'a étudié les conséquences des commotions cérébrales chez les femmes de façon objective et sur une si longue durée », affirme-t-il.

Ses résultats démontrent que les capacités mentales supérieures des femmes sont une fois et demie plus affectées que celles des hommes. « Ce sont les fonctions du cerveau qui agissent comme un contremaître : elles aident à la gestion des informations, à la planification et à l'organisation, explique Dave Ellemberg. Sur ce plan, les femmes éprouvent des difficultés jusqu'à six mois après l'incident. »

Chez la femme, la commotion cérébrale altère davantage la capacité des neurones à communiquer des messages entre les régions du cerveau. « Les réponses neuronales sont plus lentes et moins fortes », décrit le chercheur. Les différentes zones cérébrales sont également moins bien synchronisées quand elles sont requises pour une même tâche.

«Tout cela entraîne une impression de vivre au ralenti, non seulement au quotidien, mais aussi dans leur sport», indique Dave Ellemberg.

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, LA PRESSE

Dave Ellemberg, neuropsychologue et professeur à l'Université de Montréal, a découvert que les commotions cérébrales affectent plus gravement les femmes que les hommes. 

Il y a tout de même une bonne nouvelle pour les sportives : quelques mois après leur commotion, elles ne présentent aucun symptôme d'anxiété, de dépression, de colère ou de troubles de l'humeur, ce qui n'est pas le cas des hommes. « Peut-être ont-elles plus tendance à évacuer leurs peurs et leurs angoisses à la suite de leur blessure en en discutant avec leurs proches », avance le neuropsychologue.

DE VRAIES DURES À CUIRE

Des scientifiques prétendent que la vulnérabilité des femmes aux commotions cérébrales serait attribuable à leur socialisation. Elles exprimeraient plus honnêtement leurs symptômes parce que, dès leur jeune âge, on les encourage à dévoiler leurs craintes et leurs sentiments. Les hommes, de leur côté, apprendraient à taire leur douleur. De plus, les femmes se soucieraient davantage des répercussions des commotions sur leur santé que les hommes.

Dave Ellemberg n'est pas d'accord. Les femmes qui s'amènent dans son laboratoire sont de véritables dures à cuire.

« Elles ont appris à braver et à nier la souffrance autant que les hommes, sinon plus, car elles veulent prouver qu'elles ne sont pas faibles. »

- Dave Ellemberg, neuropsychologue et professeur à l'Université de Montréal

Par ailleurs, les réponses qu'il a découvertes dans le cerveau des sportives jettent un pavé dans la mare des explications psychologiques et socioculturelles.

Cela dit, pourquoi le cerveau féminin réagit-il ainsi ? La biomécanique s'en mêlerait : la plus forte musculature du cou masculin absorberait mieux les coups. « Le cerveau d'une femme subirait une plus grande force d'accélération que celui d'un homme pour un coup d'une même intensité, ce qui signifie qu'un choc plus faible pourrait suffire à provoquer chez elle une commotion », résume Dave Ellemberg.

Il y a enfin la question des hormones. « Chez l'animal, des études ont démontré qu'en cas de trauma au cerveau, l'oestrogène protège le cerveau du mâle, mais nuit à celui de la femelle en causant de l'inflammation et des dommages aux tissus cérébraux. »

GÉRER LES COMMOTIONS AU FÉMININ

À l'heure actuelle, les particularités féminines ne sont pas du tout incluses dans les programmes de gestion des commotions cérébrales. «Les interventions s'appuient uniquement sur des données scientifiques récoltées auprès des hommes», signale Dave Ellemberg, qui préside le Groupe de travail sur les commotions cérébrales mandaté par le ministère de l'Éducation, du Loisir et du Sport.

À la lumière de ses résultats, il estime que les équipes et les organisations sportives devraient faire un effort pour s'adapter aux athlètes féminines commotionnées - ou à tout le moins pour les traiter de manière plus personnalisée. «Parce qu'en ce moment, elles sont tout simplement moins bien soignées, ce qui peut les rendre plus à risque de subir une autre blessure à la tête», craint le chercheur.

DOUBLEMENT SONNÉE

Amélie*, 23 ans, pratique le cheerleading depuis cinq ans. Elle est « base arrière » : son rôle consiste à attraper le dos et la tête de la cheerleader qui tournoie dans les airs lorsque celle-ci atterrit. Des coups, elle en reçoit souvent. « Je suis toutefois habituée à pratiquer malgré la douleur », admet-elle.

Cependant, en 2012, après qu'elle eut reçu une coéquipière sur le nez, on lui a diagnostiqué une commotion cérébrale. « Je n'ai pas consulté tout de suite après l'accident, raconte Amélie. Mais au bout de quelques jours, je n'ai pas eu le choix. J'étais incapable de me concentrer pendant plus de 15 minutes en classe et j'avais des maux de tête horribles. C'était insoutenable. » Malgré le diagnostic, elle a participé à une compétition deux jours plus tard. « Je ne voulais pas laisser tomber mon équipe », explique-t-elle. Elle s'en est tout de même tirée à bon compte : après deux semaines de repos complet, les symptômes ont disparu.

En février dernier, rebelote : au cours d'une acrobatie, Amélie a reçu les pieds d'une coéquipière en plein visage. Sonnée, elle s'est effondrée sur le tapis de réception. « J'ai vu des étoiles, dit-elle. J'ai ressenti une violente pression entre les yeux et la douleur me ceinturait la tête. J'étais incapable de rouvrir les yeux tellement j'avais mal. » Voyant son état, son entraîneuse l'a retirée de l'entraînement.

Malgré des maux de tête et de cou persistants, Amélie a attendu deux semaines avant de s'en plaindre à son entraîneuse. « Je ne pensais pas avoir subi une autre commotion, car les symptômes étaient différents cette fois-ci, dit-elle. Par exemple, je n'avais pas de difficulté à me concentrer. Et puis, je suis orgueilleuse et j'adore mon sport. Une autre compétition approchait et je tenais à y participer. » Mais ce ne sera pas le cas. On lui a découvert une seconde commotion et cette fois-ci, on l'a obligée à arrêter l'entraînement.

Amélie est loin d'être la seule meneuse de claque à avoir subi une commotion cérébrale. Selon l'agence fédérale américaine Consumer Product Safety Commission, le cheerleading a occasionné 4954 visites en salle d'urgence en 1980, un nombre qui a bondi à 26 786 en 2007. Les commotions cérébrales font partie des blessures répertoriées. Une autre étude menée entre 2006 et 2007 auprès de 143 équipes de cheerleading a révélé que 82% des commotions cérébrales et des traumatismes crâniens se produisaient pendant l'entraînement et non au cours des compétitions.

Depuis le mois de mars, Amélie suit un protocole de gestion des commotions cérébrales. Elle a pris du mieux et réussit aujourd'hui à faire des efforts physiques de légère intensité sans ressentir de douleur à la tête et au cou. Comme elle avait déjà décidé que cette saison de cheerleadingserait la dernière, elle n'occupera plus jamais son rôle de base arrière. Une bonne chose, car une troisième commotion pourrait avoir des conséquences dramatiques sur sa santé. «On m'a parlé des complications possibles et du syndrome du second impact [l'accumulation de deux commotions dans une courte période, ce qui provoque de graves séquelles neurologiques, voire la mort], rapporte-t-elle. Ça m'a donné un choc...»

Pour le moment, Amélie a l'intention de se tenir loin des sports de contact. Si tout va bien, elle pourra s'adonner à sa nouvelle passion, la danse, dès cet été. «Pas de danger que je reçoive quelqu'un sur la tête!», laisse-t-elle tomber en riant. 

* Le prénom a été changé.