Quand nous vieillissons, notre masse musculaire diminue, nos sens s'émoussent, notre mémoire décline et nos cellules changent. Certaines personnes vieillissent vite, d'autres, moins. Pourquoi? Des recherches sont en cours pour mieux comprendre le phénomène, dont la plus vaste étude canadienne menée à ce jour sur le vieillissement.

«On a tous des exemples de gens qui vieillissent très vite, et d'autres exemples de gens qui, à 95 ans, sont encore forts, se déplacent, vivent chez eux, vaquent à leurs occupations quotidiennes comme ils l'ont toujours fait. Pourquoi? C'est la grande question.»

Cette grande question, Hélène Payette et quelque 160 chercheurs aux quatre coins du Canada tenteront de l'approfondir dans le cadre de l'Étude longitudinale canadienne sur le vieillissement, la plus vaste étude du genre jamais réalisée au pays.

L'équipe de chercheurs (dirigée par le Dr Parminder Raina, de l'Université McMaster) suivra sur une période d'au moins 20 ans quelque 50 000 Canadiens de 45 à 85 ans. Le recrutement, qui a cours depuis trois ans, sera fini dans les prochaines semaines. Les chercheurs pourront dès lors entreprendre le premier suivi.

L'objectif: mieux comprendre les processus de vieillissement pour aider les gens à mieux vieillir et aider les organisations de la santé et des soins à leur offrir les services adéquats.

«C'est [l'étude sur le vieillissement] la plus importante au Canada et l'une des plus importantes internationalement, tant par le nombre de sujets que par l'ampleur des thèmes qu'on va rechercher», indique la Dre Hélène Payette, professeure au département des sciences de la santé communautaire de l'Université de Sherbrooke et cochercheuse responsable du thème habitudes de vie dans l'étude longitudinale.

Tous les trois ans, les participants devront répondre à un questionnaire sur leurs habitudes de vie, tant sur les plans physique, social que psychologique. Plusieurs devront aussi passer une panoplie de tests: mesure de la masse musculaire et de la densité osseuse, échantillon de sang et d'urine, qualité de l'ouïe, du goût et de l'audition... Les résultats - anonymes, bien sûr - seront accessibles à tous les chercheurs qui en font la demande.

Si les participants sont recrutés dès l'âge de 45 ans, c'est pour mieux cerner les changements majeurs qui surviennent à la retraite. «Est-ce que certains aspects de la retraite peuvent influencer la qualité du vieillissement plus tard?, demande la Dre Payette. C'est infini à quel point on pourra questionner la banque de données.»

Beaucoup à découvrir

Le vieillissement est un domaine d'étude relativement jeune. Comme les populations vieillissent, un nombre grandissant de chercheurs s'y intéressent depuis 20 ans, souligne Hélène Payette, qui qualifie ce domaine d'«extrêmement stimulant». Les changements qui surviennent après 65, 75 ans sont majeurs, dit-elle, d'une importance «que l'on ne soupçonnait pas avant». Perte de masse musculaire, diminution des sens, déclin cognitif...

«En fait, les changements sont à peu près similaires, en matière de quantité et de vitesse, à ceux d'un petit enfant dans ses deux premières années de vie, souligne Hélène Payette. Un enfant est dans les gains, et, à la fin de la vie, on est plus dans les pertes.»

La manière dont on encadre nos tout-petits nous donne d'ailleurs de bons indices sur la façon de mieux vivre son vieillissement.

«Quand les petits enfants grandissent, on met tellement d'importance sur leur alimentation, sur l'exercice, sur les jeux qu'ils font avec d'autres enfants, dit la Dre Payette. Ça revient à des choses aussi simples que celles-là. Ce parallèle avec la fin de vie, ça nous donne des pistes, souvent. Et ce qu'on découvre, plusieurs fois, confirme ces pistes-là.»

«Nous avons l'âge de nos cellules»

Certes, l'hérédité compte pour beaucoup. Cela dit, les habitudes de vie ont un impact direct sur la vitesse, la qualité du vieillissement... et même l'expression des gènes.

Les télomères 

Le vieillissement est complexe et implique de nombreux processus. Mais d'un point de vue fondamental, pourquoi vieillit-on? Les chromosomes possèdent à leurs extrémités des télomères, des structures qui agissent comme des horloges biologiques. «Chaque fois que la cellule se divise, un bout de télomère disparaît, explique Richard Béliveau, docteur en biochimie et directeur scientifique de la Chaire en prévention et traitement du cancer de l'UQAM. Quand les télomères sont rendus trop petits, les enzymes responsables de la réplication de l'ADN ne sont plus capables de répliquer l'ADN et la cellule meurt.» De nombreuses maladies seraient associées au raccourcissement des télomères, indique le Dr Gaétan Brouillard dans son livre La santé repensée. Athérosclérose, hypertension artérielle, accidents vasculaires cérébraux, cancer, maladie d'Alzheimer, maladie de Parkinson: la liste est longue.

Ralentir le processus 

De plus en plus d'études le démontrent: l'adoption de saines habitudes de vie - alimentation riche en légumes et en protéines, exercice physique, diminution du stress - permet de diminuer la vitesse à laquelle nos télomères raccourcissent. «Ça veut dire qu'on augmente notre longévité et notre qualité de vie pour autant », résume le Dr Brouillard. À l'opposé, l'obésité, le tabac et l'alimentation industrielle riche en gras trans causent de l'inflammation chronique, un désordre physiologique qui s'établit dans les tissus à la suite d'un déséquilibre de l'homéostasie, soit l'équilibre physiologique des systèmes. «L'inflammation amène un climat qui fait en sorte que certaines cellules vont mourir plus rapidement», vulgarise le Dr Béliveau.

Épigénétique

Certaines personnes vieillissent bien sans trop y mettre d'effort parce qu'elles ont de bons gènes. «Mais il y a aussi des gens qui, même avec une mauvaise hérédité, vont pouvoir vivre en santé en modulant l'expression de leurs gènes», explique le Dr Richard Béliveau. Il s'agit de l'épigénétique, l'étude de l'influence de l'environnement - incluant les habitudes de vie - sur l'expression des gènes. Ce domaine d'étude en pleine croissance contraste avec la fatalité longtemps associée à l'hérédité. «Par exemple, en faisant de l'exercice, vous inhibez les gènes associés aux protéines liées à l'inflammation», explique le Dr Béliveau. Le Dr Gaétan Brouillard souligne pour sa part que, selon certaines études, 40% des maladies chroniques pourraient être évitées si on adoptait un bon mode de vie.

Jamais trop tard

On ne le répétera jamais assez: il n'est jamais trop tard pour changer son mode de vie. L'être humain, à tout âge, a une grande capacité d'adaptation. Le Dr Richard Béliveau cite en exemple une étude américaine publiée en 2008 et réalisée auprès d'hommes de 62 ans en moyenne. «On les a fait bouger 30 minutes par jour, on a augmenté leur consommation de végétaux, et après trois mois seulement, l'activité de la télomérase (l'enzyme qui protège l'intégrité des télomères) avait augmenté de près de 30% chez les participants», résume le Dr Richard Béliveau. Malheureusement, note le Dr David Lussier, de l'Institut universitaire de gériatrie de Montréal, certaines personnes font tout ce qu'il faut, mais vieillissent quand même moins bien, parce qu'elles souffrent d'arthrose, par exemple. Cela dit, mieux vaut mettre toutes les chances de son côté. « Il y a juste une chose importante dans la vie: être heureux. Et c'est impossible d'avoir une vieillesse heureuse si la santé n'est pas dans l'équation», conclut Richard Béliveau.

Retarder les effets du temps

Vous voulez mettre toutes les chances de votre côté pour vivre une belle et longue vieillesse? Voici 10 grands conseils offerts par les chercheurs et intervenants à qui nous avons parlé.

CESSEZ DE FUMER. MAINTENANT.

«Quand vous fumez, vous vous préparez une vieillesse exécrable. Les gens pensent qu'ils vont tomber comme des chênes coupés à la hache lorsqu'ils fument, mais ce n'est pas ça: on fait un AVC, on devient paraplégique, on est aphasique, on perd des capacités et on traîne 10, 15, 20 ans extrêmement handicapé.»

- Richard Béliveau, docteur en biochimie et directeur scientifique de la Chaire en prévention et traitement du cancer de l'UQAM

MAINTENEZ UN POIDS SANTÉ

«L'embonpoint est associé à une perte de fonctions. Pas juste physiologiques, pas juste métaboliques, mais aussi musculo-squelettiques  - arthrose, arthrite, etc. Si vous êtes en surcharge de poids, vous imposez une usure prématurée à vos articulations.»

- Richard Béliveau

PERSONNES ÂGÉES: MANGEZ...

«On a toujours pensé qu'en vieillissant, les gens devaient manger moins, parce que c'est mieux d'être menu quand on est vieux. Or, ce qu'on voit, c'est que les gens qui ont un peu de surpoids par rapport aux normes pour les populations âgées vieillissent mieux. On ne comprend pas exactement pourquoi encore, mais on continue la recherche.»

- Hélène Payette, professeure au département des sciences de la santé communautaire de l'Université de Sherbrooke

... ET AUGMENTEZ VOTRE APPORT EN PROTÉINES

«On suggère maintenant aux personnes de 65 ans et plus d'augmenter leur apport en protéines pour contrer un peu l'inéluctable perte de masse musculaire. Le problème, c'est qu'en vieillissant, les personnes vivent seules et, la plupart du temps, ce sont les protéines qui écopent.»

- Hélène Payette

ENTRETENEZ VOTRE RÉSEAU SOCIAL

«Au moment de la retraite, c'est important de se refaire un réseau social et de garder ses amis. C'est un gage de santé mentale. C'est un gage, aussi, de préparer des repas entre amis - donc, de bien manger, de faire de l'activité physique avec eux. Ça aide aussi à préserver le déclin de la cognition.»

- Hélène Payette

MANGEZ BIEN

«Le Guide alimentaire canadien nous dit très bien ce qu'on devrait manger. Quand on mange de 7 à 10 portions de fruits et légumes par jour - frais, le plus possible -, c'est sûr qu'on prend nos antioxydants. C'est beaucoup mieux de manger des aliments que d'aller chercher un pot de vitamines à la pharmacie.»

- Hélène Payette

PRENEZ DE LA VITAMINE D

«En prévention, dès l'âge de 50 ans, c'est important, à mon avis, de prendre un supplément de vitamine D. Elle joue un rôle sur le plan cognitif en augmentant la qualité de nos neurotransmetteurs. Elle est aussi bénéfique pour l'appareil vasculaire, le sommeil et la dépression saisonnière.»

- Gaétan Brouillard, médecin en médecine intégrative et globale

FAITES DE L'EXERCICE ET DORMEZ

«Si on fait de l'exercice de façon régulière, on augmente notre masse musculaire. En ayant plus de force et plus d'équilibre, on peut prévenir les chutes. L'exercice prévient aussi le déclin de la mémoire. Le sommeil, lui, a plusieurs fonctions de restauration [...]. Quand on dort mal, on a plus de douleurs le lendemain. C'est important aussi pour l'humeur. Et il faut dormir sans médicament, le plus possible.»

- David Lussier, directeur scientifique d'AvantÂge, le centre de promotion de la santé des personnes âgées de l'Institut universitaire de gériatrie de Montréal