Autrefois réservés aux culturistes et aux athlètes de haut niveau, les suppléments à l'entraînement ont aujourd'hui la cote même auprès des sportifs de week-end. On les consomme essentiellement pour augmenter sa masse musculaire et perdre du gras. Mais aussi pour réaliser de meilleures performances. Coup d'oeil sur la tendance.

Vendredi, 24 octobre. À 9h30, des dizaines de clients faisaient la file devant la boutique de suppléments Popeye's à Saint-Jean-sur-Richelieu. L'objectif de leur attente? Mettre la main sur un sac cadeau et profiter de soldes offerts pendant 48 heures sur les brûleurs de graisse, développeurs de muscles et autres suppléments. À coups de concours, de rabais et d'événements promotionnels, Popeye's Québec - un acteur de taille dans la province avec 16 succursales - semble avoir fidélisé une importante clientèle. Sa page Facebook compte plus de 70 000 fans.

Cela dit, l'entreprise à l'effigie du célèbre marin aux avant-bras surdimensionnés n'a pas le monopole de la vente de suppléments au Québec. La concurrence est d'ailleurs marquée dans un marché en plein essor. «Depuis une dizaine d'années, les boutiques spécialisées sont de plus en plus nombreuses, ce qu'on voyait très peu avant. L'offre de produits est grande et le marketing est vraiment agressif», indique Maxime St-Onge, kinésiologue et auteur du blogue DrKin.com. Tellement agressif, dit-il, que les vertus alléguées des produits dépassent largement l'efficacité réelle dans bien des cas.

Les produits offerts - tels les optimiseurs de performance, les activateurs de métabolisme, etc. - arborent des couleurs et des logos criards. Leurs noms sont évocateurs (en anglais): Mr. Hyde, Mutant, BeastMode, Assault, Juice, Jetfuel. On achète ces produits en poudre, en jus, en barres ou en comprimés dans les boutiques, mais également dans les centres sportifs, les pharmacies, les magasins d'aliments naturels et surtout en ligne, où d'innombrables manufacturiers et distributeurs font de belles affaires.

Marché musclé

En 2010, on estimait la valeur du marché mondial des suppléments nutritionnels sportifs (excluant les boissons et aliments pour sportifs) à 4,2 milliards de dollars américains, peut-on lire dans un rapport d'analyse du Bureau des marchés internationaux du gouvernement du Canada. Les champions de la consommation? Les Américains. Les États-Unis produisent d'ailleurs les deux tiers (63%) de la valeur et du volume des ventes au détail. Le Mexique (ventes au détail de 192 millions US) et le Royaume-Uni (187 millions US) suivent.

Au Canada, les ventes de suppléments sportifs comptent pour 114 millions de dollars. La tendance est à la hausse. On parle d'une augmentation des chiffres de ventes de 3% par année au pays, selon le même rapport.

«Chaque année, de nouvelles entreprises font leur apparition. C'est un marché très lucratif et qui possède un marketing très influent, dit Steven Couture, nutritionniste sportif. Parallèlement à la croissance de l'industrie des suppléments, on remarque que les disciplines comme le culturisme, le fitness et le CrossFit gagnent en popularité. Les pratiquants de ces disciplines sont d'importants consommateurs de suppléments alimentaires, ce qui peut expliquer en partie la croissance de cette industrie.» Au-delà de la performance sportive, l'objectif premier reste l'amélioration de la composition corporelle, souligne-t-il.

Et ça commence jeune. «On le voit dans les écoles, les garçons sont de plus en plus soumis aux idéaux de beauté véhiculés par les médias. Ils veulent un corps bien découpé, celui qu'on voit à la rigueur sur les affiches de caleçons Calvin Klein, avoir le fameux "six pack"», souligne Fannie Dagenais, directrice générale de l'organisme ÉquiLibre. Les réseaux sociaux, où les adeptes de musculation diffusent à outrance des égoportraits évocateurs, alimentent la bête chez les adultes aussi. «Si les hommes plus âgés ont tendance à sous-estimer leur excès de poids, les hommes plus jeunes se tournent davantage vers l'entraînement et la prise de suppléments avec l'objectif ultime d'améliorer leur silhouette. Ça devient parfois obsessif.»

Les grands vendeurs

Le produit vedette? La poudre protéinée, qui compte pour 42% des ventes au détail, selon le Bureau des marchés internationaux. La créatine, popularisée dans les années 90, vient en deuxième place. Les effets de ces deux suppléments, consommés essentiellement pour augmenter la masse musculaire, sont les mieux documentés.

Néanmoins, la consommation de brûle-graisse (surtout chez les femmes) et de boissons de type préentraînement connaît une hausse fulgurante. Malgré leur efficacité douteuse. Malgré le danger potentiel qu'ils présentent pour la santé. «Il y a une énorme expansion, déplore Maxime St-Onge. Ça masque la fatigue, ça peut mener au surentraînement. Et comme ces produits sont souvent à base de caféine, il peut y avoir surdose. Et si les brûleurs de graisse combinés à l'entraînement peuvent mener à une perte de poids à court terme, ça ne dure pas. On revient au poids initial ou plus. C'est le principe yo-yo des diètes.»

Steven Couture travaille dans le milieu de la musculation. «Les boissons de type pré-workout, c'est une épidémie! Je vous dirais qu'une personne sur trois qui entre dans mon bureau en consomme. Ces produits sont souvent mal formulés et la recette, généralement à base de caféine, varie beaucoup d'une entreprise à l'autre. On ne connaît pas les effets à long terme des produits utilisés et encore moins de leur synergie. Mais le marketing est tellement accrocheur. Je les déconseille.»

«Façonnés par l'arrivée de nouveaux ingrédients et formats d'emballage et par l'évolution du comportement des consommateurs, les produits de nutrition sportive se retrouvent dorénavant sur les tablettes des supermarchés et des dépanneurs», selon le rapport du Bureau des marchés internationaux. On inclut ici les barres et boissons protéinées. «Si les culturistes et les athlètes sont les consommateurs traditionnels de produits de nutrition sportive, la situation est en train de changer: les sportifs de fin de semaine enthousiastes et les personnes se préoccupant de leur mode de vie créent de nouveaux débouchés pour les fabricants.»

Le Far West

Si la consommation de suppléments pour sportifs s'est démocratisée, la mise en marché demeure aujourd'hui très peu balisée. Au Canada, les produits sur les tablettes obtiendront un numéro de produit naturel (NPN) dans les prochaines années. Cela confirmera que les produits étiquetés ont été examinés par Santé Canada. Le processus d'homologation est commencé. Toutefois, très peu de produits ont fait l'objet d'un examen à ce jour.

Étiquetage déficient

Le nutritionniste Steven Couture met les sportifs en garde. «Cela peut paraître étrange, mais ce n'est pas encore toutes les compagnies qui détaillent la liste de leurs ingrédients avec tous les dosages spécifiques, écrit-il sur son site Performances Sports. Imaginez, c'est un peu comme aller à l'épicerie et faire un choix à l'aveuglette. Un peu dur de savoir ce que l'on consomme vraiment. Ce n'est pas seulement un manque de respect pour le consommateur, mais également une façon de pouvoir cacher une formulation qui serait faiblement dosée ou non démontrée par la science.»

Des polluants?

«La triste réalité est que les gens ne peuvent pas savoir si le produit qu'ils achètent a un effet réel ou pas. On doit se fier à la bonne foi du manufacturier, affirme Maxime St-Onge, titulaire d'un doctorat en sciences de l'activité physique. Le problème, c'est que les autorités ne vérifient pas ce qui se trouve à l'intérieur des produits ni à quelle dose. Il se peut que le produit n'ait pas la teneur indiquée en protéines et, dans de moindres cas, qu'il y ait une contamination par des polluants, comme du plomb ou du mercure.» Parce que la concurrence est forte et que l'on veut réduire les coûts, plusieurs entreprises s'approvisionnent, par exemple, en Chine, où «les standards de fabrication ne sont pas les mêmes qu'ici».

Contamination croisée

Certaines études ont par ailleurs rapporté une contamination par des produits dopants. Selon des travaux publiés depuis l'an 2000, de 2 à 15% des suppléments pourraient être contaminés par des substances bannies par l'Agence mondiale antidopage. «Il y a parfois des contaminations croisées, ça s'est vu aux États-Unis où des fabricants faisaient en parallèle du commerce illégal, mais ça ne concernait pas les protéines», souligne Steven Couture. «Le risque est plus grand lorsqu'on achète de petits fabricants, uniquement présents en ligne, qui vendent leurs produits soi-disant miraculeux à gros prix», dit Maxime St-Onge.

Contrôle de la qualité

Afin de s'assurer de consommer des suppléments qui font l'objet d'un contrôle de la qualité (et qui sont exempts de substances illégales), certaines entreprises se soumettent aux normes. Il faut chercher les logos NSF et Informed-Choice. «On effectue des tests aléatoires, trois fois durant l'année, pour s'assurer que ce qui est indiqué sur l'étiquette se retrouve bel et bien dans le pot, dit Steven Couture. La compagnie doit débourser un montant important afin de faire certifier ses suppléments, et la liste de suppléments soumise est plutôt courte pour l'instant. Une seule compagnie québécoise est inscrite.»