Jamie Boucher, 6 ans, a été jugée trop jeune pour faire des courses de 5 km et de 10 km à Rivière-du-Loup. Avant 8 ans, les enfants doivent se limiter aux courses de 1 km, selon la Fédération québécoise d'athlétisme. Au contraire, courir davantage est bon pour les jeunes, tant qu'ils s'amusent, plaident d'autres experts.

Trois kilomètres en dix-huit minutes. C'est la performance réalisée par Jamie Boucher en mai, lors d'une course organisée à Rivière-du-Loup. Rien d'exceptionnel, si on ignore que la coureuse a... 6 ans.

«Ça me tente tout le temps d'aller courir», témoigne la fillette, jointe à son domicile de Saint-Léonard, une petite ville du Nouveau-Brunswick entourée de champs de patates.

Au début, Jamie avait 3 ans et demi. Elle portait un short Adidas, comme son voisin marathonien. «Elle a demandé au voisin d'aller courir avec lui, se souvient Sylvie Mazerolle, la mère de la jeune athlète. Ç'a commencé avec un demi-kilomètre, juste parce qu'ils étaient habillés pareil. Depuis, elle n'a jamais arrêté de courir.»

En 2013, Jamie a parcouru 100 km lors de différentes courses, sans compter les distances franchies à l'entraînement. La blondinette aux yeux bleus court trois fois par semaine, seule. Ses parents, qui ne joggent pas, la suivent en voiture. «Elle est connue partout, dit sa mère. Quand ils la voient, les gens disent : c'est la petite coureuse!»

Pas le droit de courir 10 km

À Rivière-du-Loup, Jamie voulait s'inscrire au 10 km. Ça lui a été refusé. Pareil pour le 5 km. Avant 8 ans, les enfants ne peuvent courir plus de 1 km, selon la Fédération québécoise d'athlétisme (voir le texte suivant). «Les organisateurs disaient que ça pourrait être dangereux pour son développement, indique Mme Mazerolle. On n'a pas pris de chance, on l'a fait examiner par un physiothérapeute, et tout est correct.»

À l'entraînement, la fillette a parcouru plusieurs fois 10 km, en une heure et demie. «C'est long, reconnaît sa mère. Mais on ne la pousse pas. C'est vraiment elle qui veut le faire. Elle se lève et dit: "Ce matin, je fais un 10 km." Nous, on lui dit: "Envoie fort, si tu veux!" Aujourd'hui, les enfants sont tous collés devant leur iPod et leurs autres machins. C'est mieux de courir. On en a une qui grouille, qu'on la laisse aller.»

Jamie a un frère, «pas sportif pantoute», souligne leur mère. La coureuse fait aussi du ski de fond, du vélo et de la natation. Elle a essayé la balle molle et la danse, sans y prendre goût. «Elle aime courir, c'est son sport préféré, constate Mme Mazerolle. Je sais que des fois, ce sont les parents qui poussent les enfants. Mais nous, on ne la pousse pas. Elle veut y aller, alors on la laisse y aller.»

Contre: Pas d'entraînement avant 12 ans

Lorsque le P'tit Marathon - une course de 1 km pour les enfants - a été créé à Montréal en 2007, il y a eu 506 participants. L'an dernier, ils étaient quatre fois plus, soit 2264.

«La pratique de la course à pied est en pleine augmentation, dit Dominique Arsenault, porte-parole du Marathon de Montréal. Ça fait boule de neige sur toutes les générations. Quand il y a plus de parents qui s'entraînent, les enfants suivent leur exemple.»

Pas un week-end d'été ne passe sans qu'une course de 1 km ne soit organisée dans la province. Jadis réservés aux adultes, les marathons se donnent des airs de fête familiale. Samedi, le Demi-Marathon de l'Isle-aux-Coudres a prévu une course pour les enfants, mais aussi des jeux gonflables, de la musique et un atelier de bricolage.

«Les jeunes courent pas mal tout le temps, ne serait-ce que dans la cour d'école, observe André Valiquette, kinésiologue au centre Cyclide, où sont conçus les programmes d'entraînement du Marathon de Montréal. En fait, ils courent plus que les adultes. En leur faisant faire des courses, ils vivent des expériences positives et voient que l'activité physique crée un sentiment de bien-être.»

Ne pas les entraîner

Faut-il préparer son enfant à courir, en lui proposant un entraînement? «Non, répond M. Valiquette. Premièrement, ça ne les intéresse pas. Deuxièmement, les enfants doivent courir quand c'est amusant, par exemple au parc. Je ne serais pas à l'aise d'encadrer un jeune avant 16 ans, si on parle de paramètres d'entraînement spécifiques (temps, vitesse, etc.).»

«Avant l'âge de 12 ans, les enfants ne devraient pas faire des courses de plus de 1 km, et surtout ne pas s'entraîner à le faire, affirme Jean Lemoyne, professeur au département des sciences de l'activité physique de l'Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR). C'est l'entraînement qui est souvent problématique, avec une pression de performance.»

Âges minimaux

Quitte à frustrer de jeunes coureurs, la Fédération québécoise d'athlétisme fixe des âges minimaux pour participer aux courses (voir plus bas). Mais rien n'oblige à s'y conformer. La preuve: le Marathon de Montréal accepte que les jeunes de 12 ans s'inscrivent au 5 km, alors qu'ils devraient se limiter à 3 km, selon la Fédération. Pareil au Demi-Marathon de Mont-Tremblant.

«Il y a pas mal de personnes du milieu de la course sur route qui n'ont aucune idée de ce qui est bon ou pas pour les enfants, déplore Laurent Godbout, directeur général de la Fédération. Nous devrons éventuellement positionner la Fédération sur ce sujet.»

«Le problème, poursuit M. Godbout, c'est que les gens pensent que les enfants sont des petits adultes, que parce qu'ils sont capables de le faire, c'est bien correct de les faire courir de grandes distances. Il faut savoir que les enfants ont une endurance naturelle et qu'ils peuvent mettre à l'épreuve leurs capacités aérobiques. Par contre, ils n'ont pas le même développement musculo-squelettique et pas le même système de sudation que les adultes.»

«La modération, rappelle M. Valiquette, a toujours meilleur goût.»

Pour: Bon pour l'ossature

«Contrairement à la croyance populaire, les activités intermittentes d'intensité élevée, comme les séances d'entraînement par intervalles qu'on fait en préparation pour les courses de fond, conviennent parfaitement aux pré-pubères», affirme Guy Thibault, professeur associé au département de kinésiologie de l'Université de Montréal.

Tout sport où l'ossature est mise en charge - comme la course, la gymnastique ou le soccer - améliore la résistance des os. «Mais ce sont les activités pratiquées avant la puberté qui ont l'effet persistant le plus important, et de loin», précise M. Thibault, auteur d'En pleine forme: conseils pratiques pour s'entraîner et persévérer, paru aux éditions Vélo Québec.

De plus, «des mesures par résonnance magnétique nucléaire indiquent que l'aptitude à refaire ses réserves d'énergie (ou ATP) après un bref effort intense est très développée chez les enfants et qu'elle diminue pendant la puberté», fait valoir le spécialiste.

Il est vrai que jogger peut rebuter les enfants, surtout si l'intensité varie peu. «Mais est-ce une raison pour priver un enfant de faire des courses de fond si tel est son véritable désir?, demande M. Thibault. Je ne crois pas.»

Courir comme un lapin

Blaise Dubois, physiothérapeute fondateur du site La Clinique du coureur, a créé des programmes de course pour enfants, où ils doivent courir comme des tortues (lentement), puis comme des lapins (rapidement), en alternance. «J'ai deux filles qui font ce programme depuis qu'elles ont 3 et 5 ans, dit-il. Elles adorent ça.»

Le tiers des enfants sont en surpoids en Amérique du Nord, rappelle M. Dubois. «C'est un gros problème, observe-t-il. Notre objectif est de motiver les jeunes à faire des activités de toutes sortes, dont la course. Il faut évidemment que ce soit ludique, que les enfants aient du plaisir à le faire.»

Limiter les enfants à courir 1 km jusqu'à 8 ans, comme le préconise la Fédération québécoise d'athlétisme, est aberrant, estime M. Dubois. Des enfants de 6 ans ont terminé le P'tit Marathon (1 km) de Montréal en moins de six minutes, l'an dernier. C'est bien peu, comparé à l'effort demandé par un match de soccer...

«Les enfants doivent faire une heure d'activité physique par jour, rappelle le physiothérapeute. Ça ne veut pas dire qu'ils doivent courir, mais il y a des enfants qui aiment ça. Souvent, ils fractionnent les distances, courent vite, marchent un peu, recourent vite, etc.»

Varier les sports

L'idéal consiste à varier les sports pratiqués par les enfants. «La spécialisation hâtive est un important facteur de l'abandon précoce de la pratique sportive, indique M. Thibault. En revanche, des enfants initiés très tôt à la pratique d'activités physiques ont plus tendance à faire du sport en vieillissant.»

Noalie et Anasoleil, les filles de M. Dubois, participent à plusieurs des Mini-Marathons parrainés par La Clinique du coureur, cet été. «Elles n'ont pas énormément de talent, mais elles ont beaucoup de plaisir à courir, assure leur père. Il arrive souvent qu'on coure à la maison, en allant à l'école ou au soccer.»

> Pour consulter le programme de course pour les 5 ans et moins de La Clinique du coureur

> Pour consulter le programme de course pour les 6 ans et plus de La Clinique du coureur