Ils ont troqué les seringues pour le Qi Gong. Une trentaine d'anciens toxicomanes pratiquent cette gymnastique chinoise dans une «communauté thérapeutique» unique en son genre, à Aubervilliers, dans la banlieue nord de Paris.

Sous un soleil de juillet, ils sont huit ex-toxicomanes, en t-shirt et jogging, les corps rongés par la drogue, à enchaîner pendant une demi-heure mouvements et respirations, sur une pelouse de Seine-Saint-Denis, entre canal et usines.

Un quadragénaire qui a vécu 25 ans «obsédé» par l'héroïne et le crack, un homme aux gestes ralentis après trois overdoses et un coma, ou encore un alcoolique qui commence à «croire à la vie»... Loin des adeptes traditionnels de la discipline, très populaire parmi les Chinois âgés vivant en France.

«Avant quand je voyais le Qi Gong, je rigolais! Maintenant je peux dire que ça m'aide», témoigne un ancien entrepreneur, tombé dans la drogue. Après la séance de 45 minutes, où le professeur Guy Pigeroulet s'inspire des enchaînements traditionnels, de «l'oiseau qui déploie ses ailes» à la «salutation au soleil», il se sent «apaisé». Comme il ne pensait plus jamais que ce fût possible après avoir «tout perdu»: son entreprise de transport, sa femme et sa fille qu'il ne voit plus.

«Je me butais au crack du matin au soir», se souvient-il. Il y a 5 mois, «je suis arrivé, j'étais mort, à quatre pattes». Le Qi Gong n'est qu'une case dans son agenda chargé de pensionnaire à la communauté thérapeutique. Le séjour peut y durer jusqu'à deux ans pour se reconstruire sur tous les plans: travail, santé, amitiés... Installée en ville, elle est fondée sur «l'entraide», d'anciens toxicomanes animant les ateliers.

Ne plus penser au manque

Pour un toxicomane, «arrêter le produit c'est le plus simple», témoigne l'ancien patron. Toute la difficulté est d'éviter les rechutes. Sur ce chemin ardu, le Qi Gong l'aide à avoir «la patience» nécessaire. «Je canalise cette énergie qui déborde», décrit-il.

Cet homme est de ceux «culturellement pas très branchés Asie, arts martiaux, massages», que Guy Pigeroulet apprivoise peu à peu. «Même ceux qui sont réticents au départ arrivent à se laisser aller, ça les aide à renouer avec leur corps, qu'ils ont maltraité pendant des années».

«On a affaire à une population hyperactive, dans l'excès émotionnel, l'obsession, pour qui la pratique de lenteur, de concentration, est très difficile, mais très bénéfique», ajoute le professeur. «Par petites touches, ils apprennent à prendre du recul». Ne plus penser au manque «pendant une seconde, dix secondes, trente minutes, ça leur fait un bien fou».

Plein de bonne volonté, un autre ancien toxicomane n'a tenu que 10 minutes. Trop mal au dos, aux bras, 30 ans de «produits» ont martyrisé son squelette. «Je commence à être plus zen», articule-t-il toutefois, surmontant un lourd bégaiement.

Tout aussi hétérodoxe, des massages sont proposés aux toxicomanes. «Se faire toucher à nouveau avec de la bienveillance, de la tendresse, ça leur fait du bien», souligne M. Pigeroulet.

«Au début j'étais tendu», confie l'ancien alcoolique, violé dans son enfance et qui n'aurait jamais imaginé se confier à un masseur. «Ça me décontracte. Ça ne m'aide pas directement pour la toxicomanie, mais plutôt pour mon état d'esprit. J'y crois», confie-t-il, à l'aube de ses 46 ans.

Les patients d'Aubervilliers «sont dans la majorité des polytoxicomanes, des gens qui ont un parcours de 10 ou 20 ans» de dépendance, relève le docteur Emmanuel Endtjonga. Beaucoup «ont connu plusieurs traitements» et «arrivent parfois aux limites au niveau médicamenteux», ajoute le médecin addictologue de cette structure gérée par l'association Aurore.

Qi Gong ou massages sont alors bienvenus: on «y trouve des réponses positives, sur la relaxation et le sommeil. Si je me contentais de prescrire de la méthadone, ça ne marcherait pas», explique le médecin. En 2002, une étude de l'université chinoise de Guangzhou a montré que le Qi Gong pouvait aider de manière «efficace» le travail de désintoxication d'héroïnomanes, sans effets secondaires.