Près d'un enfant sur quatre est obèse ou en surplus de poids au Québec, soit deux fois plus qu'il y a 35 ans. D'entre eux, la moitié sera obèse à l'âge adulte. La situation est assez préoccupante pour qu'on l'envisage aujourd'hui comme un problème de santé publique. Une question se pose: qu'est-ce qui fait ainsi grossir nos enfants et peut-on renverser la vapeur?

Obèse dès la petite enfance

Vingt-six pour cent des petits de 2 à 5 ans présentent un surplus de poids au Québec. Dès la petite enfance, les facteurs qui entraînent l'apparition des problèmes physiques et psychologiques liés à l'embonpoint sont en place. Contrairement au cours normal de l'histoire, une génération d'enfants vivra probablement moins longtemps et plus malade que celle de ses parents. Dur constat...

Aller à La Ronde comme les amis de son âge sans pouvoir monter dans les manèges, avoir les cuisses irritées parce qu'elles frottent l'une contre l'autre, s'habiller dans les boutiques pour adultes, courir ou même marcher en étant essoufflée sont quelques-uns des éléments irritants dans la vie de Chloé, 10 ans, obèse depuis ses premiers mois de vie.

Être gros comporte de nombreux handicaps, certains particulièrement lourds de conséquences. Le diabète de type 2, l'hypertension artérielle, les problèmes de genoux ou l'apnée du sommeil sont autant de maladies normalement réservées aux adultes qu'on observe chez les jeunes en surplus de poids. Ces derniers ont plus de risques de contracter des problèmes cardiovasculaires, musculo-squelettiques, de santé mentale et certains cancers. Chez 75% des obèses de 6 à 19 ans, l'état des vaisseaux sanguins s'apparenterait d'ailleurs à celui d'adultes de 45 ans, selon une étude américaine.

Les kilos en trop se traduisent par ailleurs par des difficultés dans les activités sociales et sportives. «Certaines études démontrent que chez les enfants très obèses, la perte de qualité de vie est comparable à celle qu'on voit chez les enfants atteints de cancer», révèle Véronique Déry, scientifique en chef à l'Institut national d'excellence en santé et en services sociaux (INESSS) et codirectrice du Guide de pratique clinique sur le traitement de l'obésité pédiatrique au Québec.

Mal au corps, mal à l'âme

Les commentaires désobligeants, la stigmatisation, les difficultés d'intégration, l'isolement et l'intimidation s'additionnent aux problèmes physiques ou pratiques auxquels font face les jeunes. Tout cela finit par miner le moral et l'estime de soi. «Il y a des commentaires qui font mal: «t'es grosse, t'auras pas d'amis, t'auras jamais de chum...», confie Élizabeth Meunier, 16 ans. Des paroles qui viennent ébranler une image de soi et une confiance fragiles.

Valérie Fraser, auteure du livre et de la page Facebook Le jour où j'ai arrêté d'être grosse, compatit. La jeune femme de 25 ans, qui a reçu un diagnostic d'obésité morbide à 10 ans, est bien placée pour témoigner. Elle s'implique d'ailleurs auprès des jeunes souffrant d'embonpoint dans le cadre des activités de SNAP.

«J'avais toujours l'impression que j'allais être jugée sur mon physique, se rappelle Valérie, qui a entrepris une sérieuse remise en forme et perdu 130 lb depuis. Lorsque ce ne sont pas les autres qui mettent des barrières, elles viennent de nous.»

Changer ses habitudes, briser sa routine, faire fi des perceptions exige une détermination et du soutien. «Les jeunes connaissent de plus en plus le Guide alimentaire canadien, mais ils manifestent le besoin d'en entendre parler encore. Il y a de la confusion, des mythes, explique Marie Marquis, professeure titulaire au département de nutrition de l'Université de Montréal. Et ce n'est pas parce qu'on sait ce qu'il faut faire qu'on change forcément de comportement.»

Les jeunes aux prises avec des problèmes de poids s'empêtrent bien souvent dans une situation qui peut sembler sans issue. Ils mangent trop par culpabilité de ne pouvoir maigrir et limitent l'activité physique dont ils auraient besoin plutôt que de faire face à un possible échec.

Chercher l'explication

Manger trop, manger mal, bouger trop peu... Il n'y a pas un seul facteur, mais plusieurs pour expliquer l'obésité et le surplus de poids chez l'enfant.

«Avant, l'obésité était vue comme un problème individuel. C'est sûr que c'est au coeur de la solution de la prévention et du traitement, mais on s'est rendu compte qu'il y avait aussi une certaine lecture à faire sur l'environnement. On a créé un milieu propice à l'obésité», lance Véronique Déry. Le prix de cette dérive est cher payé sur les plans humain et financier. Bientôt, les coûts associés à l'embonpoint pourraient dépasser ceux liés au tabagisme.

La sédentarisation des sociétés fait en sorte qu'on bouge moins qu'avant. Les données de l'Enquête canadienne sur les mesures de la santé (ECMS) indiquent que chez les enfants, 8,6 heures par jour, c'est-à-dire 62% du temps d'éveil, sont consacrées à des activités sédentaires. Seulement 7% des jeunes de 5 à 17 ans atteindraient le niveau d'activité modérée à vigoureuse de 60 minutes recommandé chaque jour.

Au centre Circuit du CHU Sainte-Justine qui intervient auprès d'une clientèle d'enfants obèses ou en surplus de poids, on remarque que les jeunes ne savent plus jouer.

Parallèlement à ce manque d'activités physiques, on observe une offre alimentaire riche en calories, pauvre sur le plan nutritif, accessible partout, en tout temps et dans des proportions trop généreuses... Résultat: les enfants, comme les adultes, mangent sans avoir faim.

La redistribution des rôles dans la famille pourrait aussi être montrée du doigt, selon Marie Marquis. Elle fait en sorte qu'il est plus difficile de concilier travail-famille, ce qui nous rend plus dépendants de l'industrie alimentaire et de ses produits transformés. L'éclatement du repas en famille ajoute également à la difficulté de manger sainement. «Il n'est pas rare de voir des enfants qui mangent devant leur ordinateur et la télé, ou pour qui la chambre à coucher est devenue une salle à manger!», dit la professeure en nutrition.

Intervenir de façon efficace

«On peut se demander pourquoi les familles attendent si longtemps pour intervenir. C'est faux de penser que ces parents ne se sentent pas concernés. La famille n'est souvent pas indifférente à la problématique, mais elle est simplement sans ressources», précise Mme Marquis.

«J'ai pris les mauvaises habitudes de mes parents et je les ai répétées à mon tour, admet Mélanie Gendron, maman de la jeune Marilou Pilote, qui est obèse depuis sa naissance. La vie de ma fille est partie sur de mauvaises habitudes de vie, regrette-t-elle. Tu vois ton enfant qui souffre, qui n'est pas bien dans sa peau, et tu te sens tellement impuissante!»

Jusqu'à tout récemment, les intervenants étaient démunis pour encadrer les jeunes en surplus de poids et leur famille, mais ils sont de mieux en mieux outillés pour faire face au problème. Les interventions mises de l'avant dans les dernières années permettent-elles de voir le bout du tunnel? «Il commence à se passer quelque chose de plus positif : on voit des petits changements et des leviers d'espoir», dit Véronique Déry, tout en précisant qu'on est loin de l'objectif. Elle insiste: pour espérer un changement durable, il faudra continuer de miser sur une intervention efficace et sur la prévention.