«Biscuit officiel» du Comité olympique canadien, l'Oreo est composé à 40 % de sucre. Vous préférez un repas complet? McDonald's proposait un «Festin des fans» comprenant 20 McCroquettes, 2 portions de frites, 2 boissons gazeuses et 2 biscuits aux pépites de chocolat. «La meilleure façon de célébrer les Jeux olympiques en famille ou entre amis», indique McDonald's.

Sport et malbouffe sont souvent associés, comme s'il n'y avait pas là d'ironie. En 2010, 79 % des aliments dont les 100 athlètes les plus influents aux États-Unis faisaient la promotion étaient forts en calories et faibles en nutriments, selon une étude de l'Université Yale. Bref, de la malbouffe. Et 93 % des boissons que ces sportifs annonçaient devaient toutes leurs calories au sucre ajouté.

«Les trois principaux aliments appuyés par les athlètes sont les boissons sportives [qui sont aussi sucrées que les boissons gazeuses], les sodas comme le Coke, puis la malbouffe, dit Marie A. Bragg, l'une des auteures de l'étude publiée dans Pediatrics en 2013. C'est alarmant.»

«C'est vraiment contradictoire, observe Corinne Voyer, directrice de la Coalition poids. La malbouffe, ça n'améliore en rien la performance sportive, c'est même néfaste pour la santé.»

Si ces unions improbables sont consommées, «c'est parce que le sport génère des émotions positives, indique André Richelieu, professeur au département de marketing de l'Université Laval. S'associer au sport, c'est un moyen très efficace de transférer les valeurs du sport vers sa marque et de développer une sympathie chez le consommateur. C'est une stratégie gagnante, autrement les entreprises ne dépenseraient pas des milliards de dollars pour être les commanditaires officiels des grands événements sportifs».

Lucky Charms olympiques

À lui seul, le Comité olympique canadien (COC) a touché 22,3 millions de dollars de revenus provenant de ses partenaires et du marketing, en 2011. Parmi ses partenaires se trouvent General Mills (qui produit les céréales Cheerios, Lucky Charms, Reese Puffs, etc.) et Mondelez. Issue d'une scission de Kraft Foods, Mondelez est le «chef de file mondial des catégories du chocolat, des biscuits, des gommes à mâcher, des friandises, du café et des boissons en poudre», qui détient notamment les marques Cadbury, Lu, Christie et Tang. Son chiffre d'affaires était de 35 milliards - oui, milliards -, en 2012.

Pourquoi le COC s'est-il associé à Mondelez, dont les produits sont contraires à une alimentation saine? «Le Comité olympique canadien est fier du soutien de tous ses partenaires», s'est borné à répondre Luc Beaudin, coordonnateur des communications du COC.

Stephanie Minna Cass, porte-parole de Mondelez, a été plus loquace. «Nous sommes fiers d'appuyer le COC, a-t-elle indiqué. C'est notre façon de célébrer toute l'équipe olympique canadienne et notre fierté collective nationale, comme pays.» Les produits de Mondelez sont des collations, a-t-elle précisé. «Comme bien d'autres aliments, ils doivent être consommés de façon responsable, avec modération.»

Même message chez McDonald's. «Nous croyons aux principes d'équilibre, de variété et de modération, et nous croyons que manger chez McDonald's peut faire partie d'un mode de vie équilibré», fait valoir Jason Patuano, directeur des communications pour l'est du Canada de McDonald's.

Inciter à la surconsommation

«Le problème, c'est que ces campagnes de marketing vont perdurer dans l'esprit des gens», souligne Mme Voyer. Les emballages de biscuits Oreo vendus pour les Jeux de Sotchi sont, par exemple, ornés des mots «Fierté et joie», en plus des anneaux olympiques. «On vient créer un lien affectif avec les individus, associer ces termes aux biscuits, note-t-elle. On veut engager les gens dans la surconsommation de ces produits.»

«C'est un peu une litanie facile de critiquer les restos-minutes, plaide M. Richelieu. On s'attaque à McDonald's parce que c'est un symbole, mais les McDonald's sont toujours pleins, que ce soit au Canada, en Europe ou en Asie. La grande majorité des consommateurs estiment les marques comme McDonald's, même si d'un point de vue nutritif, ce n'est pas un exemple.»

Peu de pression sur les sportifs

Pour les athlètes, ces commandites «sont un financement tout à fait nécessaire», ajoute M. Richelieu. «Ça peut aussi rehausser leur propre image de marque, d'être associés à des multinationales qui rayonnent dans le monde entier, poursuit-il. Il y a alors transfert d'images positives dans les deux sens.»

Seuls les consommateurs sont bernés. «La situation est difficile à changer, parce que les athlètes reçoivent des millions pour appuyer des marques, et qu'actuellement, il n'y a pas de vraie pression pour qu'ils refusent de le faire, reconnaît Mme Bragg. Mais jusqu'à ce que ça soit mauvais pour leur réputation, les athlètes s'associaient à des entreprises de tabac. Peut-être que la même chose arrivera avec les commandites de malbouffe.»

Qu'en pensent nos athlètes?

L'union improbable entre sport et malbouffe peut être extrêmement lucrative. Comment les athlètes choisissent-ils les marques auxquelles ils sont associés? Quelques sportifs nous répondent.

Eugenie Bouchard aime le poulet pané

La joueuse de tennis Eugenie Bouchard - dite Genie - apparaît dans une publicité de poulet pané Pinty's, qui sera bientôt diffusée en français. «Nous essayons toujours de trouver des entreprises qui ont les mêmes valeurs que Genie, explique Sam Duvall, agent de la joueuse québécoise. Nous voulons des relations authentiques, vraies, c'est ce qui est important.»

Genie mange-t-elle vraiment du poulet Pinty's? «Oui, quand elle est au Canada, assure M. Duvall. Pinty's est un produit haut de gamme. Leur poulet est de haute qualité et la campagne parle de mener une vie saine. Peu de gens ont une vie plus saine que Genie, alors pour nous, c'était une association formidable.»

Jasey-Jay Anderson, anti-boissons énergétiques

Jasey-Jay Anderson n'accepterait pas d'être commandité par une marque d'aliments néfastes pour la santé. Pas à sa «valeur marchande», comme il dit. «Pour un montant exagéré comme un million de dollars, je le ferais, mais une grande partie irait à des oeuvres de charité, précise le surfeur des neiges, qui participait à ses cinquièmes Jeux olympiques à Sotchi. J'ai déjà refusé de travailler avec certaines boissons énergétiques, mais c'est un gros pensez-y-bien, car toutes les grandes entreprises ont un côté noir et souvent caché.»

Pourquoi ne pas représenter une boisson énergétique? «Parce que c'est un des pires fléaux qui ont frappé la société, répond-il. C'est une trop grande discussion, donc on va en rester là.»

Alex Harvey a divorcé de RedBull

Alex Harvey n'est plus commandité par la boisson énergétique RedBull «depuis plus d'un an», indique Denis Villeneuve, son agent. L'association entre le skieur de fond et la célèbre canette aux taureaux avait été dénoncée dès son annonce, en 2011. Il faut dire que l'Association québécoise des médecins du sport ne recommande pas la consommation de boisson énergisante dans le cadre de la pratique sportive. Alex Harvey a refusé de parler à La Presse de son départ de l'écurie de RedBull. «Alex ne peut pas prendre le risque que ses propos soient mal interprétés, surtout pendant cette période critique en préparation des Jeux», a fait valoir M. Villeneuve.

Joannie Rochette, du Nutella dans la valise

«J'ai choisi soigneusement les marques avec lesquelles je suis associée afin qu'elles reflètent mes croyances et mes intérêts, indique la patineuse Joannie Rochette, commentatrice pour Radio-Canada à Sotchi. Je peux personnellement m'identifier à Nutella qui a été, et qui est toujours, un élément de ma routine du déjeuner.» Vraiment mordue, Mme Rochette dit avoir mis un pot de Nutella dans sa valise pour Sotchi.

Craint-elle d'être critiquée comme porte-parole d'un produit dont les principaux ingrédients sont le sucre et l'huile de palme modifiée? «Je crois que tout est question d'équilibre dans la vie, plaide la patineuse. Ce produit me rappelle de bons souvenirs d'enfance. Il est important d'avoir du plaisir à manger, et Nutella ajoute cette petite touche de joie à mon déjeuner.»

Marianne St-Gelais, commanditée par Coca-Cola

Marianne St-Gelais «fait partie du programme olympique de Coca-Cola», indique Marie-Annick L'Allier, attachée de presse de l'équipe canadienne de patinage de vitesse sur courte piste. Cette campagne vise à «inciter les gens à faire de l'activité physique», ce qui fait que «c'était naturel», explique Mme L'Allier.

«La carrière d'un athlète amateur est courte, alors ces dollars sont essentiels, ajoute-t-elle. Je vous dirais aussi qu'il y a quelque chose de prestigieux, pour un athlète, de faire partie d'un programme olympique mondial» comme celui de Coca-Cola.

Quant à la consommation de boissons gazeuses, «Marianne croit que c'est un aliment d'exception», précise Mme L'Allier.

Ariane Lavigne, athlète nutritionniste

«Oui, la malbouffe et les produits bourrés de sucre sont partout, dans les arénas, les centres de ski et même aux Jeux olympiques!», dit Ariane Lavigne. La surfeuse des neiges, en compétition à Sotchi, est aussi... une nutritionniste diplômée de l'Université de Montréal.

«Les grandes entreprises alimentaires telles Coca-Cola, McDonald's et RedBull investissent beaucoup d'argent dans les événements sportifs et en commandites d'athlètes, constate-t-elle. Elles ont vite compris que les athlètes véhiculent le bien-être et le succès, que ce sont des héros.»

Les sportifs devraient, selon elle, refuser de promouvoir la malbouffe. «Nous sommes avant tout les ambassadeurs de la performance et de la santé et il est important de rester intègre», tranche-t-elle.

Mme Lavigne est pourtant associée à un produit bien sucré, le sirop d'érable. «Quand j'ai été sondée par les Produits de l'érable du Québec, c'était dans l'optique de faire la promotion d'un produit qui amène les gens à cuisiner, fait-elle valoir. Par exemple, à préparer eux-mêmes une boisson sportive maison.»