Une technique offerte depuis peu au Québec permet de stopper la progression de la myopie chez les enfants, et ce, sans intervention chirurgicale. Encore méconnue du grand public, l'orthokératologie - ou le port de lentilles de nuit - fait de petits miracles.

Antoni, âgé de 10 ans, est fortement myope. Sa vision s'est mise à décliner soudainement lorsqu'il était en première année. Il se plaignait d'avoir de la difficulté à lire au tableau en classe. Lorsqu'il regardait un match de hockey à la télévision, il peinait à suivre la rondelle. Un caprice pour avoir des lunettes comme son ami Éloi, ont d'abord pensé ses parents.

Par précaution, ils ont tout de même accompagné Antoni chez l'optométriste. À leur grand étonnement, l'examen a révélé une légère myopie (-2 dioptries). En septembre, sa vision était pourtant parfaite. Le déclin s'est poursuivi de façon constante, et pas très rassurante. «Tous les six mois, on se rendait chez l'optométriste. Sa vue baissait à tout coup. On avait de la difficulté à suivre le rythme avec les lunettes, qui devenaient rapidement inadéquates», raconte Manon Lavoie, mère d'Antoni. En 2013, le garçon présentait une myopie de -6, incapable même de voir clairement sa table de chevet à partir de son lit!

«Existe-t-il un moyen de freiner la progression de la myopie?», ont demandé sans relâche les parents d'Antoni au fil des consultations. Non, leur répondait l'optométriste en haussant les épaules. Puis, l'automne dernier, la réponse a changé. On leur proposait maintenant l'orthokératologie. Coïncidence? La clinique venait de se doter d'un appareil essentiel à cette technique... qu'elle proposait à fort prix! « Je n'avais aucune idée de ce que c'était. J'étais bien fâchée de ne pas en avoir été informée avant, surtout que l'efficacité est optimale à -4», déplore Manon Lavoie. Ils ont néanmoins décidé de tenter le coup dans une nouvelle clinique. Avec succès.

Comme un cadeau

Antoni a reçu ses lentilles de nuit un mois avant Noël, comme un cadeau inespéré. Après à peine trois nuits de traitement, sa vision était presque parfaite. «Ça faisait tellement longtemps qu'on l'avait pas vu sans lunettes. Il peut désormais jouer au hockey et au soccer sans support visuel», raconte sa mère.

Il est toujours un peu nerveux quand sa mère met ses lentilles avant le coucher, mais s'il avait à choisir, il aurait commencé le traitement bien avant, confie-t-il. «C'est vraiment génial!», s'exclame le garçon. Il a même commencé à mieux dormir la nuit. Enfin, il sait à quoi ressemble sa chambre dans la pénombre. Avant, il ne s'endormait que s'il y avait de la lumière. Plus maintenant.

Son plus récent examen de suivi, il y a quelques semaines, a révélé une myopie de... -1,5 dioptrie. «On vient de lui commander des lunettes pour l'école, mais elles sont tellement moins fortes que celles qu'il portait. C'est le jour et la nuit. On a une tranquillité d'esprit en sachant que ça va stabiliser la myopie ou, à tout le moins, en ralentir la progression. En prime, Antoni a une meilleure vision au quotidien. Pour nous, ça n'a pas de prix.»

Ralentir la progression

Portées la nuit, les lentilles d'orthokératologie sont rigides et exercent une pression spécifique sur l'oeil. Elles remodèlent la courbure de la cornée centrale sur une petite zone et, ce faisant, corrigent de façon temporaire la myopie. Au matin, après le retrait des lentilles, la vue est claire. «La correction s'opère rapidement: de 75 à 80% de la réduction visée est achevée après une seule nuit de port. L'effet total de la correction survient de 7 à 10 jours après le début du traitement», indique Langis Michaud, professeur titulaire à l'École d'optométrie de l'Université de Montréal et président de l'Ordre des optométristes du Québec. Le jour, l'oeil garde en mémoire la forme induite par la pression de la lentille. Mais cette mémoire est de courte durée. Dès 24 heures après l'arrêt du traitement, la myopie revient au galop de façon aussi rapide qu'elle a été compensée.

«Une bonne vision au quotidien, c'est bien. Mais le but premier de l'orthokératologie moderne est de ralentir la progression de la myopie. C'est la première méthode non chirurgicale qui montre une telle efficacité, indique Langis Michaud. Chez les enfants dont la myopie progresse rapidement, les effets sont même supérieurs que chez les myopes légers, selon de récentes études.»

Le taux de succès en prévention de la progression de la myopie tourne autour de 80 à 90%, souligne le professeur d'optométrie. «Ça ne veut pas dire que la myopie de l'enfant n'augmentera plus, mais elle va peut-être augmenter de 0,25 par année au lieu de 1. Au bout de quelques années, quand l'oeil aura atteint sa maturité, ça fera une bonne différence.» À l'âge adulte, la myopie sera moins marquée. C'est vrai même si le traitement est stoppé après quelques années.

Agir tôt

Plus on agit tôt, mieux c'est. La myopie s'installe parfois dès 6 ans. Si la on corrige avec des lunettes, on ne fait qu'aggraver la situation, indique M. Michaud. «La correction de la myopie avec une lunette est très droite, alors l'image est très claire au niveau central, mais ça crée une perte de focus en périphérie de la rétine. On sait depuis cinq ou six ans que l'oeil réagit en s'allongeant et que ça crée de la myopie.»

À l'affût des récentes découvertes, l'industrie s'adapte et commence à proposer des lunettes spécialement conçues pour stopper la myopie. «Comme il n'y a pas de contact direct avec l'oeil, le taux de succès est moindre [de 50 à 60 %] qu'avec l'orthokératologie», précise le professeur d'optométrie. Depuis un an, on offre également sur le marché des lentilles souples de jour pour ralentir la myopie. «Des résultats positifs ont été publiés il y a quelques mois. Tout le monde est excité, mais j'ai une approche prudente. C'est intéressant à essayer pour les patients intolérants à la lentille rigide, mais on verra dans quelques années à quel point c'est efficace. C'est embryonnaire. Avec l'orthokératologie, on a un recul de 10 à 15 ans. On travaille sur des bases solides, on a des résultats très pertinents.» Antoni et ses parents, déjà heureux des effets quotidiens, sont confiants.

La technique en cinq points

Pour qui?Les enfants de 8 ans et plus. «On considère que c'est l'âge idéal pour inculquer de bonnes habitudes d'hygiène. Plus tôt, les parents doivent être prêts à collaborer, l'entretien doit être fait méticuleusement et l'enfant doit savoir ce qu'est une sensation anormale dans l'oeil.» En contrepartie, si le traitement débute à 12 ans ou plus, c'est risqué parce que les adolescents, surtout les garçons, se sentent invincibles et sont moins vigilants en ce qui concerne l'hygiène, selon Langis Michaud, professeur d'optométrie à l'Université de Montréal.

Combien ça coûte?

Entre 800 et 1500$ en moyenne. À ce jour, le traitement n'est pas couvert par les compagnies d'assurances ni par l'assurance maladie.

Où l'offre-t-on? 

Dans une quinzaine de cliniques de Montréal, Québec et Sherbrooke. «C'est une technique appelée à croître, estime M. Michaud. Les diplômés des 10 à 15 dernières années [qui représentent de 40 à 50% de la profession] sont formés à l'orthokératologie. Tous ne l'appliquent pas, mais ils sont en mesure de vous orienter.» Le coût d'un topographe cornéen, essentiel à l'évaluation, a diminué et est passé de 40 000 à 15 000$ en quelques années, d'où l'intérêt nouveau des professionnels.

Comment se déroule le traitement?

Évaluation. «Si la cornée est très rigide et plus épaisse de nature, et si son taux d'aplatissement est très faible, on n'obtiendra pas de résultats concluants», explique M. Michaud

Adaptation. On mesure une première fois la topographie de la cornée et, après la réception des lentilles, on procède à l'essayage. On s'assure que la lentille convient à l'oeil et on donne les instructions de manipulation et d'entretien.

Suivi. Le premier suivi se fait idéalement au lendemain de la première nuit de port (avec lentille sur l'oeil), et un deuxième rendez-vous a lieu la semaine suivante. S'il y a présence d'oedème ou d'anomalie, on procède alors à des ajustements et à une nouvelle commande de lentilles. «Environ 15% des cas nécessitent des ajustements», précise M. Michaud. L'effet obtenu doit correspondre à 70% de la cible.

À long terme. On se présente tous les trois mois durant un an et tous les six mois par la suite.

Y a-t-il d'autres applications?

On utilise l'orthokératologie - quoique plus rarement - pour corriger l'hypermétropie, l'astigmatisme et la presbytie (en monovision).

Une technique risquée?

La Société canadienne d'ophtalmologie (SCO) «ne cautionne pas l'utilisation de l'orthokératologie dans la tentative de réduire la myopie, car il y a des risques importants pour la santé des yeux et la vision», selon l'énoncé de principes et de politique de la SCO publié en 2007. Le président de la SCO a refusé de nous accorder une entrevue, mais nous a dirigé vers cet énoncé.«L'utilisation de lentilles cornéennes rigides perméables au gaz n'empêchera pas la myopie de progresser et tout effet temporaire bénéfique est réversible si l'utilisation des lentilles cornéennes est interrompue. Nous pensons que cet avantage ne justifie pas les risques», indique-t-on. L'American Academy of Ophtalmology tient le même discours.

Selon des rapports publiés en 2005, la kératite microbienne est associée à l'utilisation nocturne de lentilles cornéennes rigides perméables au gaz ortho-k, note la SOC. «La majorité des infections signalées sont centrales et graves, causées par des organismes agressifs tels que les bacilles Gram négatifs ou Acanthamoeba.»

«Il demeure un grand danger de dormir avec les lentilles, admet le professeur d'optométrie Langis Michaud. On augmente de cinq fois le risque de contracter un ulcère cornéen ou une pathologie cornéenne majeure qui peut induire des cicatrices et rendre la personne aveugle. D'où l'importance d'une bonne hygiène.» Cela dit, les infections graves sont très rares aujourd'hui, estime-t-il. «Les ophtalmologistes se fient aux données des années 80, époque où il y avait un taux d'infection majeur.» Avec les nouvelles lentilles (offertes depuis environ 10 ans), «ça ne tient pas la route». «L'encadrement de la pratique a été resserré et le taux d'infection a baissé.»