Les bienfaits des politiques antitabac ont été sous-évalués, selon une nouvelle étude américaine. Ils pourraient bien être 10 fois plus importants que prévu en nombre de vies sauvées.

«Les études précédentes estimaient à moins de 1 million le nombre de vies sauvées grâce aux politiques antitabac aux États-Unis», explique Theodore Holford, de l'Université Yale, auteur principal de l'étude publiée dans le Journal de l'Association médicale américaine (JAMA). «Nos calculs montrent que c'est plutôt 8 millions depuis 50 ans. Peu d'interventions modernes de santé publique ont un impact aussi grand dans un pays riche.»

L'étude fait partie d'un numéro spécial du JAMA, publié la semaine dernière pour les 50 ans du premier rapport sur la cigarette du Surgeon General américain - un haut fonctionnaire qui suit les principaux problèmes de santé publique du pays.

Chaque fumeur qui a écrasé grâce aux politiques antitabac depuis 50 ans a vécu 19,6 ans de plus. Au total, pour un homme de 40 ans, ces politiques ont augmenté l'espérance de vie de 2,3 ans. C'est le tiers de l'augmentation de l'espérance de vie depuis un demi-siècle.

Au moment de la publication du rapport, en 1964, la prévalence du tabagisme avait déjà commencé à diminuer. D'un sommet de 80% des hommes en 1950, elle avait baissé à 75% à la suite des premières études démontrant l'impact négatif du tabac sur la santé. L'étude du Dr Holford a postulé que sans intervention gouvernementale, la diminution du tabagisme aurait perdu de sa vigueur, et celui-ci aurait atteint un plateau de 60% chez les hommes. «Plusieurs études montrent que la contre-culture des années 60 avait commencé à faire remonter la prévalence du tabagisme chez les jeunes», dit le Dr Holford.

L'équivalent canadien

Le ministre canadien de la Santé a mentionné dès 1963, au Parlement, la possibilité d'un groupe de travail sur le tabagisme. Mais il a fallu attendre 1973 pour qu'un groupe fédéral-provincial, avec trois associations médicales, voie le jour pour fonder, en 1974, le Conseil canadien sur le tabagisme et la santé, selon Gaston Ostiguy, pneumologue au Centre universitaire de santé McGill. «En 1963, le gouvernement britannique avait déjà fait un rapport similaire à celui du Surgeon General de 1964, précise le Dr Ostiguy. Mais dans les milieux médicaux, on parlait déjà depuis les années 50 des dangers de la cigarette.»

Du surplace en santé mentale

Les politiques antitabac n'ont pas d'effet depuis une dizaine d'années chez les patients ayant un diagnostic de maladie mentale, selon une étude de l'Université Harvard publiée dans le numéro spécial du JAMA. Le quart d'entre eux fument toujours, avec des taux dépassant 30% chez les dépressifs et les schizophrènes. «Il est difficile de convaincre cette clientèle de cesser de fumer, explique Theodore Holford, de Yale. Plusieurs utilisent le tabac comme automédication. Ils forment une proportion toujours plus élevée des fumeurs. On atteindra bientôt un plateau à moins qu'on parvienne à aider spécifiquement cette clientèle.»

Controverse sur la cigarette électronique

L'utilisation des cigarettes électroniques est préférable à celle des cigarettes normales et ne devrait pas être plus réglementée que ces dernières, selon un éditorial publié dans le numéro spécial du JAMA. Dans le cas contraire, «les partisans des politiques antitabac finiront par aider l'industrie établie du tabac». Gaston Ostiguy, pneumologue au Centre universitaire de santé McGill, estime lui aussi que l'opposition tous azimuts aux cigarettes électroniques fait fausse route. «On envoie des gens en phase terminale fumer dehors par -20 ºC, affirme le Dr Ostiguy. Ça n'a pas de bon sens. Dans ma clinique de cessation du tabagisme, qui a une clientèle hospitalière, 60% des gens ont des problèmes de santé mentale. Arrêter de fumer, pour eux, c'est très difficile.»