Un nombre grandissant de scientifiques nous avertissent: selon eux, le sucre est toxique, pire que le gras, l'une des causes principales de l'obésité, du diabète, du cancer et des maladies cardio-vasculaires.

«Le sucre est bel et bien toxique», proclame le New York Times du 27 février, dernier éclat d'une controverse qui gronde depuis quelques années. L'article rapporte les résultats d'une étude menée par le Dr Robert Lustig, endocrinologue bien connu pour sa guerre contre le sucre, dont la vidéo Sugar: The Bitter Truth a été vue plus de trois millions de fois sur YouTube. Selon cette étude, la consommation de sucre était liée au diabète indépendamment du taux d'obésité, et ce, à l'échelle de 175 pays. Même en contrôlant toutes les autres variables comme la pauvreté, l'urbanisation et l'activité physique, le sucre était le seul facteur à prédire l'apparition du diabète. Entre deux populations équivalentes qui consommaient exactement le même nombre de calories, l'incidence de diabète était plus élevée chez ceux qui consommaient plus de sucre.

Le sucre est donc le principal problème lié à notre alimentation, selon le journaliste du New York Times, qui conclut: «Ce n'est pas le fait de trop manger qui vous rend malade; c'est de trop manger de sucre. Nous avons finalement la preuve qu'il nous fallait pour rendre un verdict.»

Cette étude va connaître un important retentissement, selon le Dr Dominique Garrel, endocrinologue et professeur titulaire à l'Université de Montréal. Il rappelle que «la toxicité des sucres est connue depuis très longtemps des biochimistes. Pour nos artères notamment, le sucre est un véritable poison». Que ce savoir ne soit pas plus répandu est une question d'éducation, selon lui. «C'est aussi parce que la guerre au gras a occupé le terrain, dit-il. Il y a beaucoup de résistance à l'idée que le sucre soit responsable, parce que le sucre ne contient pas beaucoup de calories, à 3,4 par gramme, contre 9 par gramme pour la graisse.»

Au fur et à mesure que les dirigeants de l'industrie agroalimentaire ont réduit le gras de leurs produits, ils l'ont remplacé par du sucre. «Ç'a été un effet pervers de la guerre contre la graisse. Ils ne vont pas vendre des aliments où il n'y a pas de calories, dit le Dr Garrel en riant. Personne n'en mangerait, ils ne sont pas fous.»

Cette résistance à l'idée que le sucre puisse être néfaste s'explique aussi autrement, selon le journaliste scientifique Gary Taubes, auteur de Bonnes calories, mauvaises calories, et dont le prochain livre portera d'ailleurs sur le sujet. «Les gens adorent cette substance, a-t-il dit lors d'une entrevue téléphonique. C'est comme ça que nous communiquons l'amour dans notre culture. Les mères donnent des sucreries à leurs enfants. Que seraient les anniversaires sans le sucre? La Saint-Valentin? Alors, vous êtes mieux d'avoir des preuves assez convaincantes avant de dire aux gens de ne pas en consommer.»

«Si le Dr Lustig a raison, ajoute-t-il, cela voudrait dire que le sucre est également la cause alimentaire la plus probable de plusieurs autres maladies chroniques, communément considérées comme étant des maladies liées au mode de vie occidental.» Ces maux, aussi appelés «maladies des civilisations», incluent les caries, les maladies cardiaques et le cancer, des afflictions qui, pour des raisons encore mal expliquées, sont peu fréquentes ou même inexistantes dans les sociétés traditionnelles et apparaissent habituellement lorsqu'une population s'occidentalise. Les hommes des cavernes, par exemple, avaient probablement une meilleure dentition que nous, selon une équipe internationale de chercheurs qui a examiné des squelettes préhistoriques, et dont les conclusions ont été publiées en février.

Le problème, selon le DrGarrel, c'est qu'avant les années 80, la consommation de sucres purs se trouvait sous un seuil pour lequel les conséquences sur la santé étaient minimes. «Mais ce qui a complètement changé l'histoire, c'est qu'à partir des années 80, les Américains ont réussi à extraire le fructose du maïs avec une extraordinaire efficacité, à un coût ridicule. Donc, l'industrie du sucre en a mis partout. D'ailleurs, quand on regarde la courbe d'obésité depuis les années 80 et qu'on essaie de la mettre en parallèle avec tous les autres paramètres de consommation alimentaire, il n'y a que la consommation de sucre pur qui est en parallèle avec l'obésité.»

D'un point de vue évolutif, nos ancêtres étaient habitués à consommer des fruits en saison et quelques sucreries à l'occasion, jamais rien de semblable au sirop de fructose qui envahit aujourd'hui nos tablettes. Comme l'explique le Dr Garrel, la quantité totale de sucre est un problème, «mais c'est la vitesse d'entrée du sucre dans le système qui fait la plupart des dégâts. Dans une canette de cola, il y a 40 g de sucre, donc il faudrait presque 1 kg de fraises pour l'égaler. Et je vous défie de manger 1 kg de fraises en 10 minutes». Pour la même raison, il est beaucoup mieux de consommer une orange qu'un verre de jus d'orange, dont le sucre, débarrassé des fibres et des nutriments de l'orange, est absorbé beaucoup plus rapidement par l'organisme.

Les effets potentiellement nocifs du sucre inquiètent de plus en plus de gens, qui croient qu'il est maintenant temps pour nos gouvernements d'agir. Le problème, selon Gary Taubes, «c'est que ces maladies mettent toute une vie à se former. Comme les scientifiques ne disposent pas de décennies pour mener leurs recherches, ils utilisent des rats et leur administrent des doses élevées de sucre. Cela laisse beaucoup de jeu aux sceptiques, qui peuvent dire: Oui, mais regardez les quantités que vous leur avez données, ou C'est peut-être vrai pour les rats, mais pas pour les humains». Il croit que l'industrie du sucre, soutenue par de puissants lobbys, cultive cette ambiguïté par rapport au danger de son produit, tout comme le faisait l'industrie du tabac avant elle.

Une comparaison appropriée, selon le Dr Garrel, même si, en fait, «on n'a jamais pu causer un seul cas de cancer du poumon chez un animal en le forçant à fumer. On a tué des milliers et des milliers de rats et de lapins en essayant de le faire, on n'y est jamais arrivé. C'est pour ça, d'ailleurs, que les sociétés de tabac se sont toujours défendues en disant: Regardez, il n'y a pas de preuves. Là, c'est complètement différent. Vous nourrissez un rat avec du fructose, vous allez le rendre résistant à l'insuline en deux jours».

Il est inutile d'attendre qu'une causalité parfaite soit démontrée entre le sucre et ses effets délétères, selon lui. «Ça n'arrivera pas. À mon avis, on doit appliquer ce qu'on appelle le principe de précaution, c'est-à-dire: on a ffaire à une substance dont nous n'avons pas besoin, et les arguments de la recherche sont totalement convaincants. Connaissant la gravité de la maladie, moi, si j'étais un responsable de la santé publique, ça me suffirait pour faire une guerre acharnée contre les sucres purs.»

Les initiatives contre le sucre se multiplient déjà. Le 1er janvier 2012, la France a instauré une taxe sur les boissons gazeuses. En février, The Academy of Medical Royal Colleges, groupe représentant plus de 220 000 docteurs, a exigé qu'une taxe semblable soit mise en place en Grande-Bretagne. Le maire de New York continue de se battre pour interdire la vente de boissons sucrées de plus d'un demi-litre, un règlement adopté en septembre, puis annulé par un juge ce mois-ci.

Ces mesures ne vont pas assez loin, selon le Dr Garrel, qui croit qu'il serait plus efficace de «commencer par obliger les fabricants à mettre une étiquette, comme le tabac, par exemple: Attention: la consommation de sucre est liée au diabète, en grosses lettres, sur toutes les canettes de cola».

Au Québec, la Coalition québécoise sur la problématique du poids souhaite que le gouvernement institue une redevance sur les boissons sucrées, qui serait payée par les fabricants et réinvestie dans la communauté afin de favoriser l'accès à une saine alimentation. Elle souhaite aussi que la vente de boissons sucrées soit interdite dans les établissements sportifs et les lieux fréquentés par les jeunes, et qu'elle soit interdite partout aux moins de 18 ans.

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Quantité de sucre dans...

4 g = 1 c. à café

355 ml de Coca-Cola = 42 g, ou 10 c. à café

355 ml de jus d'orange = 34 g, ou 8 c. à café

500 ml d'eau vitaminée = 28 g, ou 7 c. à café

2 c. à table de ketchup = 8 g, ou 2 c. à café

2 tranches de pain blanc = 3 g, ou 1 c. à café

3/4 t. de yogourt nature = 5 g, ou 1 c. à café

3/4 t. de yogourt sans gras, à la vanille = 21 g, ou 5 c. à café

2 c. à soupe de beurre d'arachides = 2,5 g, ou 0,63 c. à café