En l'absence de preuves scientifiques, les promoteurs de la pensée positive se tournent généralement vers la tradition ésotérique pour expliquer le pouvoir des émotions. On parle de l'univers, de la loi de l'attraction, de physique quantique et de champ électromagnétique. Le secret, vous connaissez? Toujours le même discours.

Avec son livre Le pouvoir anticancer des émotions, le Dr Christian Boukaram ne fait pas exception. «Nous récoltons dans ce monde ce que nous y projetons. Le phénomène physique de résonance explique cette loi de l'attraction», écrit-il. Le radio-oncologue de l'hôpital Maisonneuve-Rosemont dénonce le dogmatisme de la science et parle du «champ magique et intangible» dont fait partie le corps. Il avance que la physique quantique «ébranle les fondements de la vie telle que nous pensions la connaître» et que «la conscience ne fait pas intégralement partie du cerveau, mais qu'elle interagit avec lui». Il écrit aussi que «nous sommes un vaste champ électromagnétique» et que «nos pensées et nos émotions génèrent des ondes qui peuvent se matérialiser dans le monde physique».

Titulaire de la chaire de recherche du Canada en histoire et sociologie des sciences et professeur à l'UQAM, Yves Gingras a entendu ce discours «de la tradition ésotérique» à maintes reprises. À la demande deLa Presse, il a lu quelques chapitres du livre du Dr Boukaram. «Ça a toutes les caractéristiques de l'usage typique de ce discours mystique sur l'univers. Tous les ingrédients de la recette sont là. Ça correspond à de la physique mal digérée et mal régurgitée. C'est de la confusion intellectuelle qui laisse songeur de la part d'une personne occupant un poste important dans le domaine de la santé», indique M. Gingras, membre du Centre interuniversitaire de recherche sur la science et la technologie.

Yves Gingras déplore que le Dr Boukaram use de son titre et de sa crédibilité pour promouvoir ses idées. «C'est un sophisme d'autorité. Il joue sur deux tableaux: il valse entre les méthodes traditionnelles d'oncologie qu'il défend pour ensuite tomber dans l'ésotérisme.» Difficile pour le commun des lecteurs, sans formation scientifique, de s'y retrouver. «C'est indestructible parce que personne ne comprend. Qui maîtrise les notions de physique quantique? C'est d'un syncrétisme: il prend un peu de vrai, beaucoup de faux et il brasse, dit Yves Gingras. Dès qu'on s'oppose, les gens prétendent que la science est arrogante. Bien sûr que la science a des dogmes, mais elle est toujours prête à changer. Les fantômes existent? D'accord, mais montrez-nous des preuves solides reproductibles dans tous les labos.»

Le monde n'est pas immatériel et l'humain n'est pas un champ électromagnétique, dit Yves Gingras, pas plus que la conscience n'est indépendante du cerveau. «Nous a-t-on déjà montré une conscience sans cerveau? Ce n'est pas la pensée qui active les commandes d'un jeu vidéo avec casque d'électrodes ou des prothèses, mais le courant électrique dans le cerveau. C'est la vision matérialiste du cerveau qui mène à ces découvertes.»

Même David Serban-Shreiber, cité par Dr Boukaram, passe au tordeur. «II pensait que sa rémission était due à l'écoute de son corps, c'est de la confusion logique élémentaire. Si vous éternuez et que la lumière s'éteint, c'est un hasard, pas une «connexion avec l'univers».» L'homme est aujourd'hui décédé. «Il aurait omis de suivre ses propres principes, mais c'est une thèse non réfutable, il gagne des deux côtés. Ça nous ramène à la philosophie de Popper. Ce qui ne peut être démontré faux n'a aucune valeur scientifique. C'est dommage, mais il a tout simplement eu un cancer incurable. Comme bien d'autres.»

NDLR: Précision Dr Christian Boukaram



Le pouvoir anticancer des émotions : un ouvrage à mille lieux de la pensée magique

Ceux qui ont lu Le pouvoir anticancer des émotions le savent: ce livre ne parle pas de pensée magique ni ne propose de cure-miracle. Il prône plutôt un réalisme face à la mort et à la maladie. Il traite non seulement des émotions, mais aussi de la connexion corps-esprit et de la conscience. Il est en concordance avec un virage important au sein de l'oncologie : l'oncologie intégrative. Cette approche s'intéresse au traitement médical du cancer, mais aussi au «terrain» de la maladie et, par conséquent, à la prévention, ainsi qu'à la vie après le traitement. L'intention du livre est d'apporter une perspective nouvelle en regard des dernières découvertes scientifiques, qui démontrent que les gènes ne sont pas notre destin et que l'ADN interagit avec l'état mental.

Une multitude d'études récentes démontre qu'on ne peut plus uniquement faire la guerre aux cellules cancéreuses sans tenir compte de l'environnement dans lequel elles évoluent. Cet environnement comprend la souffrance psychique et ses médiateurs chimiques. Ceux qui s'attardent aux anciennes études négatives (soit celles n'ayant pas réussi à prouver ce lien) négligent l'importante quantité d'études positives, dont une méta-analyse récente, ainsi qu'une toute nouvelle étude de l'université de l'Ohio, menée sur une période de 11 ans, démontrant que les thérapies de soutien psychologique peuvent augmenter la durée de survie des patients atteints de cancer et réduire les risques de récidives. Le neuropsychiatre David Servan-Schreiber, qui prônait une approche intégrative, a «défié» ses statistiques médicales alors qu'il était atteint d'un cancer fulgurant: il a vécu 3 fois plus longtemps que la médiane des patients dans sa situation.

Si ces récentes découvertes nous ouvrent de nouvelles voies très prometteuses, insistons toutefois sur quelques points importants:

1. Le cancer est une maladie complexe et multifactorielle. Le cancer n'est pas une maladie psychologique et le «stress» n'est pas la cause du cancer.

2. Il n'y a pas de recette miracle pour le bien-être, et seuls les traitements médicaux peuvent mener à la guérison. Le bien-être peut diminuer les douleurs et les effets secondaires des traitements, améliorer l'adhérence au traitement, jouer sur les habitudes de vie ou intervenir dans les processus d'auto-guérison du corps (en anglais, healing), mais il ne peut pas guérir un cancer.

3. Les traitements complémentaires présentés dans ce livre, tel que l'hypnose, le yoga et la méditation ne sont pas "ésotériques", ont été validés scientifiquement et sont même déjà accessibles au sein des plus grandes institutions oncologiques. Une quantité importante de patients en font déjà usage, car ils apprécient la possibilité de participer à leur thérapie. Il a même été démontré qu'elles peuvent permettent de réduire les coûts relatifs aux soins de santé et aux hospitalisations. Cela dit, si elles n'offrent aucunement une garantie de succès, rappelons-nous qu'il en va de même avec nos traitements dits conventionnels. Est-ce là une raison valable pour écarter un ajout bénéfique au traitement?

Je suis un médecin spécialiste et je suis fier de travailler quotidiennement au raffinement des techniques de traitement du cancer, mais je suis aussi persuadé que nous aurions avantage à modifier certaines croyances afin d'améliorer la qualité des soins dispensés. À moins de jouer à l'autruche, il y a suffisamment de preuves qui démontrent maintenant que le mal-être brime non seulement la qualité de vie, mais peut aussi affecter négativement les résultats médicaux. Je crois fermement qu'en tant que médecin, ignorer ces informations émergentes serait aller à l'encontre de mon devoir.

Dr Christian Boukaram