Ongles cassés, cheveux emmêlés, visage rougi par l'effort et, honte suprême, taches de sueur sous les aisselles... Beaucoup d'adolescentes ne bougent pas de peur de se nuire, d'avoir l'air ridicule. Au détriment de leur santé. L'organisme FitSpirit pense avoir trouvé un moyen de les faire bouger...

Dans un autobus en route vers Saint-Sauveur, un vendredi soir de septembre, une cinquantaine d'adolescentes de 13 à 17 ans papotent. L'affiche du camp Kanawana surgit, éclairée par les phares du véhicule. Les filles crient et ouvrent d'un coup toutes les fenêtres pour humer l'air frais des Laurentides. «Enfin, on va pouvoir bouger sans avoir peur de suer», lance l'une d'elles.

La remarque étonne. On n'imagine pas à quel point la présence des garçons - et le désir de plaire - peut freiner les élans sportifs des adolescentes. «À notre âge, on veut se montrer à notre meilleur. On est moins à l'aise avec les gars», confie d'emblée Naomi Bastrama, 13 ans. Elle danse, mais dit ne pas être sportive. «À la maison, je passe beaucoup de temps devant la télé.»

Pour plusieurs filles, sport rime avant tout avec honte et désagrément. «Les filles ont peur de transpirer, de se montrer en short, d'avoir l'air ridicule», confirme Claudine Labelle, présidente de la fondation FitSpirit.

En donnant aux filles l'occasion de bouger entre elles et d'essayer de nouveaux sports, FitSpirit souhaite leur faire réaliser que «l'activité physique est agréable, qu'elle est bonne pour la santé et qu'elle est à la portée de toutes», poursuit Claudine Labelle, ancienne cycliste élite. Pendant le week-end, les filles, divisées en quatre groupes, feront tour à tour du yoga, du canot, de l'hébertisme et de la randonnée. Aucune activité n'est compétitive. Le but: participer et s'amuser.

Quand la cloche sonne pour rassembler les troupes, les filles arrivent en trottinant, bras dessus bras dessous. Elles chantent, elles blaguent.

«L'ambiance est bonne. On apprend à se connaître. On se confie des choses très personnelles. Ce n'est pas le camp qui nous fait croire en nous, ce sont les filles qui y sont», philosophe Gabriel Morehouse-Anderson, 13 ans. Elle gratte son vernis à ongles bleu métallique déjà écaillé. Le vendredi soir, les filles de son dortoir ont jasé, toutes lumières éteintes, jusque tard dans la nuit. «C'était vraiment l'fun!»

La bande est on ne peut plus hétérogène. Des filles sont sportives, d'autres pas. Certaines viennent de milieu défavorisé, d'autres de familles aisées. Des filles sont rondes, d'autres toutes menues. «Ça crée un beau mélange et c'est ce qu'on recherche. Les filles s'entraident, elles apprennent les unes des autres», dit Claudine Labelle.

Sur les modules d'hébertisme, samedi, les adolescentes travaillent en équipe. Les adolescentes, par paire, doivent se faire face sur un billot de bois et traverser sans tomber. Créatives, elles adoptent toutes sortes de stratégies. Plusieurs échouent. Une équipe opte pour le saute-mouton. «On a réussi, on est trop hot!», lance Marie-Soleil à sa coéquipière. Elle fait un «moonwalk» pour manifester sa joie, provoquant les rires de toutes.

Plus loin, une corde et une plateforme de bois donnent du fil à retordre à certaines ados. «Pour vous sauver, vous devez agripper la corde sans toucher par terre et vous élancer vers la plateforme. Les cinq membres de votre équipe doivent tenir ensemble sur cette plateforme», indique le moniteur. Pour Maude, l'exercice est laborieux. Elle échoue à trois reprises, de plus en plus gênée. «Je ne suis pas capable, je suis nulle.» Devant les encouragements du groupe, elle finit par y arriver. Cris et applaudissements résonnent alors dans la forêt.

«Même les moins sportives du groupe sont très motivées. On leur donne un petit coup de pouce pour adopter de bonnes habitudes de vie. Souvent, elles ne savent tout simplement pas comment commencer, quoi faire pour bouger», indique Sarah, monitrice.

Lunettes à la mode, mascara et grands cheveux bouclés, Nyhal Boudjema, 17 ans, est peu sportive. Pourquoi? «Je n'aime pas me faire dire quoi faire et je consacre mon temps à mes études.» Elle hésite et ajoute: «je suis plutôt fainéante.» Son passage à Saint-Sauveur la réconcilie avec le sport, semble-t-il. «Ça change de la ville. J'ai vraiment aimé le yoga. Je me sens plus en santé, j'ai plus d'énergie, je suis beaucoup moins fatiguée, dit-elle. Ça me donne le goût de me remettre à la natation.»

Certaines sont plus réticentes, comme ces trois filles qui ont filé à l'anglaise. «On a remarqué leur absence à la séance de yoga, elles lisaient dans leur cabine, dit Cathy Wong, agente de développement jeunesse au YMCA. Elles ont été inscrites par leurs parents, probablement contre leur gré.» Piteusement, elles ont rejoint le groupe pour faire le chien tête en bas.

Le soleil est radieux. Sur le quai, les adolescentes suivent à la lettre les indications de la prof. Les rires et les murmures contrastent avec le silence du lac. «Vous semblez très excitées. On va baisser un peu cette tension et relaxer», leur dit-elle. La moitié du groupe a déjà quelques notions, mais toutes s'exécutent avec hésitation. Au loin, des canots dessinent des lignes sur l'eau calme.

Catherine Lessard, 17 ans, adore son week-end. «C'est génial d'essayer de nouveaux sports tout en faisant du social. Mes amies ne voulaient pas venir, mais ça ne me dérange pas de me décoller. Des fois, les histoires de filles, c'est lourd, ça fait du bien de changer d'ambiance.» Elle joue au soccer, elle fait du ski alpin et du patin artistique. «J'adore me retrouver entre filles, on peut plus lâcher son fou! Et puis, on n'a pas besoin de prouver aux garçons qu'on est bonne.»

Selon Claudine Labelle, plusieurs adolescentes croient que certains sports sont une affaire de gars. FitSpirit organise donc, plusieurs fois par année, des «sorties de filles». On offre des initiations au surf, à la planche à neige, au BMX, au wakeboard.

Marie-Soleil Groulx, de Saint-Jean-sur-Richelieu, a essayé le BMX. Elle a adoré. C'est la plus jeune du groupe, elle vient tout juste d'avoir 13 ans. Le sport, c'est sa vie, mais elle souffre de polyarthrite juvénile chronique qui la met souvent au repos forcé. Au point d'être déprimée. «J'ai parfois de la difficulté à bouger, la maladie attaque mes articulations. Avec FitSpirit, ça m'incite à foncer et à vivre le moment présent. Quand je n'ai pas de crise, j'en profite.»

Élue Miss FitSpirit l'été dernier, elle profite de la vague. Ses parents ont même vu un changement d'attitude: elle mord plus dans la vie. Elle rêve d'ailleurs de participer aux Jeux olympiques. En quoi? «Je ne sais pas encore. En athlétisme peut-être.»

Au camp Kanawana du YMCA, Marie-Soleil et ses amies célèbrent donc cette joie de bouger. En soirée, après le départ de La Presse, elles ont eu droit à un énorme gâteau, un feu de camp et un party zumba à la belle étoile. La soirée, nous dit-on, ne s'est pas éternisée. Les filles étaient épuisées.