Une technique couramment utilisée par les conseillers des magasins spécialisés dans les chaussures de jogging s'appuie sur une théorie erronée, selon de nouvelles études. Choisir un soutien en fonction de la forme du pied ne diminue ni la douleur ni le risque de blessures.

«La théorie biomécanique sur laquelle se basent la plupart des magasins et des fabricants est logique, mais elle simplifie probablement trop la réalité», explique Michael Ryan, chercheur en médecine expérimentale à l'Université de Colombie-Britannique, qui est l'auteur principal de l'une des études, publiée cette année dans le British Journal of Sports Medicine. «De plus, les algorithmes sont souvent vagues, et appliqués de manière différente par les vendeurs. Nous avons été surpris de constater que les coureurs ayant le pied plus arqué et qui portent des chaussures stabilisantes pour éviter des mouvements trop amples du pied ont plus de douleur qu'avec d'autres types de chaussures. Il semble que la théorie n'a pas été assez testée de manière clinique pour vérifier la validité. Ces chaussures contrôlent bien les mouvements, mais ne sont pas efficaces pour contrer la douleur ou éviter les blessures.»

L'étude la plus exhaustive a été réalisée par des épidémiologistes de l'armée américaine, qui ont analysé les pieds de 9000 recrues et le type de blessures aux pieds qu'ils avaient durant l'entraînement préliminaire. Le projet d'acheter des centaines de machines permettant de mesurer exactement la cambrure des pieds des recrues pour leur donner la bonne chaussure de course a été abandonné.

Études crédibles?

Ces études ont été retenues par les partisans des souliers «minimalistes», déplore Gilles Labre, propriétaire de la Boutique Courir de la rue Saint-Denis. «C'est un mouvement radical et extrême qui considère que l'idéal est de courir presque pieds nus, sans support, avec juste ce qu'il faut pour ne pas se blesser s'il y a du verre par terre, dit M. Labre. Ils disent que les souliers actuels non seulement ne protègent pas, mais causent des blessures. On commence à en avoir plein le dos de ces études, dont la validité n'a jamais été démontrée. On prend 25, 50, 100, 1000 sujets et on généralise à la population. Ça ne marche pas. Les boutiques spécialisées vendent des milliers et des milliers de paires de chaussures chaque année. C'est là, le vrai laboratoire.» Un débat sur le sujet aura lieu à la Grande Bibliothèque le 14 septembre.

Craig Richards, physiologiste de l'Université de Newcastle, en Australie, qui a été l'un des premiers à publier une étude sur les chaussures de course, en 2008, considère que les partisans des chaussures minimalistes ne peuvent pas se servir de ce type d'études. «Tout ce qu'on dit, c'est que ce sont des théories qui ne sont pas validées scientifiquement, les minimalistes n'ont pas plus de preuves que les autres», dit M. Richards en entrevue.

Comment alors choisir une chaussure de jogging? «Il faut se fier au confort, s'assurer que la chaussure nous semble naturelle, n'interfère pas avec notre mouvement, dit M. Ryan. Le choix d'une chaussure adaptée est plus complexe. Il serait agréable de pouvoir suivre un algorithme simple, mais on voit bien que beaucoup des mouvements du pied sont mal compris. Une chaussure soutient le pied par des éléments parfois insoupçonnés. Par exemple, on fait actuellement beaucoup de recherches sur l'épaisseur de la semelle.»

Pourquoi pas des Converse ?

Cela signifie-t-il qu'on pourrait obtenir de bons résultats avec des Converse All-Star ? «Il est sûr que si on met des bottes d'armée pour courir, ça va faire plus mal qu'avec des chaussures de jogging», dit M. Ryan, qui fait maintenant des recherches sur la quantification des propriétés mécaniques des tissus mous du corps humain. «Mais en effet, on ne peut plus rien exclure. Il faut se fier à l'expérience directe de chaque coureur.»

La douleur liée au jogging peut-elle être psychosomatique ? «En théorie oui, tout peut l'être, dit M. Ryan. Mais comme ce sont des mouvements très durs pour le corps, si la douleur persiste, elle a probablement une cause physique. Et si on court avec de mauvaises chaussures qu'on croit bien adaptées, après 10 à 15 minutes, la douleur ne pourra être ignorée, quel que soit l'effet placebo.»