Coup de théâtre cette semaine. La revue scientifique The Lancet efface de ses archives l'une des études scientifiques les plus controversées des dernières années, suggérant un soi-disant lien entre vaccin, rougeole et autisme. Aujourd'hui, la question demeure: comment une si petite étude, publiée il y a 12 ans et peu concluante de surcroît, a-t-elle pu influencer ainsi une génération de parents? Récit d'un feuilleton, par ailleurs loin d'être enterré.

D'abord, les faits. Mardi, la revue The Lancet lance une bombe: exit l'étude publiée en 1998 par le gastroentérologue Andrew Wakefield. Rayée de ses archives, l'insinuation d'un quelconque lien entre rougeole, autisme et vaccin.

 

Pour les chercheurs scientifiques interrogés, cela fait longtemps que cette histoire est réglée. D'abord, parce que 10 des 13 auteurs se sont rétractés en 2004. Ensuite, parce qu'une vingtaine d'autres études se sont efforcées d'établir le même lien, toujours en vain. Enfin, parce que, au fil des ans, une foule de failles méthodologiques (trop petit échantillon, conflit d'intérêts) ont été dénoncées. La semaine dernière, ce sont plusieurs failles éthiques, rapportées par le conseil des médecins britanniques, qui sont finalement venues signer l'arrêt de mort de l'étude.

Mais malgré tous ces dérapages importants, cette fameuse étude a toujours continué, dans les parcs, les cours d'école et, surtout, les forums internet de parents, d'alimenter les débats entourant cette épineuse question de la vaccination.

Vrai, les médias ont certainement leur part de responsabilité, n'ayant jamais accordé la même importance, ni la même visibilité, aux multiples études ne trouvant à l'inverse aucun lien entre autisme et vaccin. «Ce qui attire, c'est la controverse, c'est clairement plus vendeur», avance Gaston de Serres, médecin épidémiologiste à l'Institut national de santé publique du Québec. En même temps, les médias se sont ici fait l'écho d'une revue, The Lancet, qui fait figure de référence. «La revue est aussi certainement partie prenante du problème», croit le médecin, soulignant la lourdeur de la machine et de ses comités de révision, qui ont pris tout de même 12 ans pour remettre en question ladite publication.

Mais il y a plus. Cette étude, aussi petite soit-elle, est aussi la première, voire la seule, à avoir offert une explication d'apparence «satisfaisante» sur l'origine de l'autisme. Une unique explication qui ne relevait pas de la génétique, et qui offrait du coup aux parents «une possibilité d'agir»: «L'étude est venue toucher une corde très sensible.»

Maryse Guay, responsable du département de médecine communautaire à l'Université de Sherbrooke, abonde dans son sens. «On ne peut qu'être empathique face à tous les parents d'enfants autistes qui cherchent des réponses à leurs questions», dit-elle.

À la suite de la publication de l'étude, l'auteur Andrew Wakefield a été invité à donner des conférences, à écrire des éditoriaux, fait valoir Philippe de Wals, président du Comité sur l'immunisation du Québec. Il est devenu le «champion de l'autisme», mais aussi une source de référence pour tous les groupes anti-vaccins de ce monde.

Et de l'avis de tous les chercheurs interrogés, il risque aussi de le demeurer longtemps. Karl Weiss, microbiologiste et infectiologue, en est convaincu: «Les anti-vaccins ne lisent probablement pas The Lancet. Eux, ils voient une manipulation, un intérêt économique. Les anti-vaccins, vous ne les convaincrez pas.»

De fait, le groupe canadien anti-vaccin VRAN (Vaccination Risk Awareness Network) n'en démord pas: «Toute cette histoire est politique, affirme la coordonnatrice Edda West. L'étude (d'Andrew Wakefield) est venue remettre en question la sécurité des vaccins, remettant du coup en question tout le paradigme médical, un paradigme qui dit que l'on peut vacciner les bébés et les jeunes enfants sans compter, sans leur nuire. Wakefield aura fait l'erreur de trop se rapprocher de la vérité avec ses recherches.»