Autrefois considérées comme un remède de grand-mère, les sangsues sont de plus en plus utilisées dans les hôpitaux, où elles font des merveilles en chirurgie réparatrice. À Montréal notamment. Ces petits vampires gagnent aussi en popularité en médecine naturelle. On vend même des shampoings et crèmes hydratantes à base de sangsues! Miraculeuses, les petites bêtes gluantes?

Dans le ciel paralysé du 11 septembre 2001, un petit avion a exceptionnellement été autorisé à voler entre Toronto et Montréal. À son bord, une cargaison spéciale: des sangsues médicinales. Au bloc opératoire de l'hôpital Notre-Dame du CHUM, il était minuit moins une. On devait retirer une imposante tumeur intrathoracique à une patiente et greffer sur la plaie béante un lambeau de peau. Le besoin de sangsues était criant. «On avait besoin de huit sangsues à l'heure et on n'en avait plus en réserve. Elles sont arrivées juste à temps», raconte le Dr Tudor Costachescu, chef du service des soins intensifs.

 

Selon l'American Journal of Nursing (avril 2009), le recours aux sangsues à des fins médicales connaît un nouvel essor en Russie et en Occident. Lors d'un sondage réalisé en 2003 auprès de 62 chirurgiens plasticiens au Royaume-Uni, 80% d'entre eux ont dit avoir eu recours aux sangsues en traitement postopératoire dans les cinq années précédentes.

Au CHUM, on utilise les sangsues en microchirurgie réparatrice depuis une quinzaine d'années, à raison d'une douzaine de fois par an. «Lors d'une greffe, il peut y avoir une thrombose veineuse. Quand le sang qui entre dans le membre réimplanté n'arrive pas à en ressortir, on utilise la sangsue. Elle sécrète un anticoagulant, appelé hirudine, et elle se nourrit du vieux sang. Son utilisation permet d'éviter la nécrose et, très souvent, de sauver le membre», explique le Dr Patrick Harris, chirurgien plasticien et directeur du Centre de la main du CHUM. Après une greffe, des tissus voués à l'amputation ont été préservés dans 70% à 80% des cas, selon une étude américaine.

À jeun depuis quelques mois, la sangsue déguste son dernier repas avec appétit. Elle est jetée après utilisation pour éviter la transmission de virus, tel le VIH. Avec ses trois mâchoires et ses 370 dents, elle s'agrippe solidement à sa proie jusqu'à ce qu'elle soit complètement repue. Son festin dure de 20 à 120 minutes. Elle absorbe environ 15 ml de sang, prenant jusqu'à 10 fois son poids initial. Le saignement, favorisé par l'anticoagulant, peut durer plusieurs heures.

«Vous venez voir nos petites bestioles?» Dans un petit local au huitième étage, une trentaine de sangsues, aussi appelées Hirudo Medicinalis, nagent et s'agrippent aux parois d'un aquarium. «On est toutes un peu réticentes au début, nous explique une infirmière en grimaçant. Ce n'est pas évident, mais on reçoit une formation pour l'entretien, la manipulation et la surveillance.»

Amadouer les patients

Il faut aussi amadouer les patients, rarement chauds à l'idée de voir s'agripper ces petits vers suceurs à leur oreille, à leur doigt ou à leur nez. «On utilise les sangsues seulement quand il n'y a pas d'autres options plus efficaces ou plus faciles. On crée une nouvelle plaie. Il y a des risques d'infection et d'hémorragie», précise le Dr Harris, qui a popularisé la pratique au CHUM. D'ailleurs, on administre des antibiotiques aux patients avant le traitement. La «saignée» peut s'étirer sur une dizaine de jours, à raison de plusieurs séances quotidiennes. Le procédé est contre-indiqué dans les cas de troubles cardiaques, d'hémophilie et d'immunodépression.

La principale difficulté? «Faire mordre la sangsue au bon endroit au bon moment, répond le Dr Harris. Si on attend trop, le sang du membre engorgé ne sera pas assez oxygéné et la sangsue ne mordra pas. Attirée vers les tissus sains, la sangsue cherche à migrer. Le traitement requiert une surveillance constante.» On dépose la sangsue dans un verre en styromousse troué et on place le trou directement sur la cible. «Si on met la sangsue dans une cavité ou à un endroit peu accessible, on l'attache avec des petits fils de soie. Si elle entrait dans un orifice, ça pourrait être catastrophique. On ne pourrait pas intervenir malgré les risques d'hémorragie importants.»

Au CHUM, on commande les sangsues par paquets de 20 (10$ la sangsue) à la société Leeches USA, qui a un distributeur de sangsues dédouanées à Toronto. «En cas de besoin, on peut les recevoir en quelques heures», dit le Dr Harris. Ces sangsues sont élevées en milieu contrôlé en France, par Ricarimpex, qui en vend 100 000 par année. Leeches USA dit en exporter quelque 10 000 par année au Canada. Un nombre en croissance, dit-on.

À l'hôpital Notre-Dame, les pensionnaires grouillantes semblent traitées aux petits oignons. À la fin de notre visite, l'infirmière remet la couverture sur l'aquarium. «Bon dodo», lance-t-elle aux petites bêtes gluantes. Comme si elles faisaient partie de la famille.