L'idéal, pour vivre vieux, c'est d'être (un peu) gros. L'exercice, à moins d'en faire de façon intensive, c'est excellent pour le coeur, mais ça ne fait pas vraiment maigrir. Les calculs d'indice de masse corporelle? Contestés. Ces dernières années, une flopée de chercheurs rompent avec le discours ambiant et brisent la belle unanimité de ce qui s'écrivait jusqu'ici sur le poids.

Les personnes qui présentent de l'embonpoint ont de meilleures chances de vivre vieilles que les personnes au poids considéré jusqu'ici comme étant idéal. Celles qui doivent s'inquiéter ? Les personnes trop minces, en premier lieu, suivies des personnes carrément obèses. Cette étude, parue cet été dans la revue scientifique Obesity et se basant sur 11 326 Canadiens, a révélé que les personnes qui présentent un peu d'embonpoint ont 17 % moins de risque de mourir prématurément qu'une personne de poids normal. Les gens trop maigres, eux, courent 70 % plus de risques que les personnes présentant un poids considéré comme étant «santé».

«L'embonpoint n'est peut-être pas le problème que nous croyions», a déclaré au New York Times David H. Feeny, l'un des auteurs de l'étude. Plus encore, «l'embonpoint a été (pour nos sujets) un facteur de protection.»

Dans un discours prononcé il y a un an à l'Université de Toronto, David Butler-Jones, administrateur en chef de la santé publique du Canada qualifiait pourtant l'obésité rampante au pays de «nouveau tabagisme» et avançait «la possibilité très réelle que les enfants d'aujourd'hui soient les premiers dont l'espérance de vie soit plus faible (moindre) que celle de leurs parents»

Ces déclarations de Butler-Jones, jumelées à de tels commentaires dans le Journal de l'Association médicale canadienne, ont fait sauter deux professeurs de l'Université de Montréal Robert Bourbeau et Jacques Légaré ne sont pas médecins. Ils sont démographes et ils soutiennent que ces affirmations ne tiennent pas la route. «On pense au contraire que les enfants qui naissent aujourd'hui vont vivre en moyenne jusqu'à 100 ans, explique en entrevue Jacques Légaré. L'obésité, ce n'est pas le sida. L'obésité, ce n'est pas une maladie mortelle et je ne vois pas l'intérêt de faire peur au monde comme ça et de tenir des discours aussi alarmistes.»

«Le problème, poursuit M. Légaré, ce n'est pas que les gens meurent plus jeunes, c'est qu'ils risquent de vivre plus longtemps, d'avoir besoin de médicaments et de coûter très cher à la société.»

C'est ce que l'on comprend aussi d'une étude de la présente livraison de l'American Journal of Preventive Medicine menée entre 1993 et 2008. La conclusion des chercheurs après avoir interviewé un total de 3,5 millions d'Américains : la cigarette continue de mener plus « directement » à la mort, mais ceux qui sont carrément obèses (et non pas simplement pris d'embonpoint) sont aux prises avec une kyrielle de maladies qui limitent leur qualité de vie.

Encore que....

Dans le journal de l'Association médicale canadienne, en juillet 2009, Annika Rosengren, spécialisée dans les questions de poids, consacrait pour sa part un article sur le paradoxe de l'heure : comment se fait-il qu'il y ait augmentation galopante de l'obésité aux États-Unis et en Europe de l'Ouest mais que la mortalité associée aux maladies cardio-vasculaires, elle, est en baisse?

Le docteur Rosengren émet l'hypothèse que si beaucoup d'Occidentaux sont gros, ils sont maintenant moins nombreux, dans le même temps, à présenter de l'hypertension ou à souffrir de taux de cholestérol non contrôlés.

«Ça a pris beaucoup de recherches pour convaincre les médecins que l'on peut présenter un excès de poids et être en santé, relève quant à elle Marie-Claude Paquette, conseillère scientifique à l'Institut national de santé publique du Québec. On accepte mal le fait que des personnes obèses puissent être fonctionnelles et on refuse de réaliser que de plus en plus de gens obèses sont bel et bien actifs physiquement.»

Ceci étant dit, ajoute Mme Paquette, les avancées en pharmacothérapie et la plus grande vitesse de réaction des gens quand ils ont un problème de santé - sans compter la mesure préventive du taux de cholestérol, de glycémie, etc - ne sont sans doute pas étrangères au fait que les gens arrivent à se maintenir même quand ils n'ont pas les plus saines habitudes de vie.

Cibler le ventre...

L'automne dernier, Jean-Pierre Després, directeur de la recherche en cardiologie au Centre de recherche de l'Institut universitaire de cardiologie et de pneumologie de Québec, livrait pour sa part les conclusions préliminaires d'une étude de trois ans qu'il a menée auprès de 144 hommes à risque de développer des problèmes de santé.

Sans les embrigader dans des séances d'exercice militaires, mais en les amenant plutôt à changer un comportement alimentaire à la fois, le docteur Després et ses collègues ont réussi en moyenne à réduire leur tour de taille de plus de cinq centimètres. Leur adiposité abdominale (la plus dangereuse) a diminué de 18%.

Mieux encore, ces hommes qui ont perdu un peu de leur bedaine «ont complètement normalisé leur profil de risque cardiovasculaire mêmes si certains d'entre eux seraient encore considérés comme ayant toujours un surpoids ou même obèses», note le docteur Després. «L'atteinte du poids santé n'est pas nécessaire, dit-il, si l'adiposité abdominale viscérale est normalisée par un mode de vie actif et une saine alimentation».

Antony Karelis, professeur de kinanthropologie à l'UQAM, croit pour sa part qu'il faudrait carrément cesser d'utiliser l'expression «poids santé», d'autant que jusqu'à 31 % des obèses - selon les études auxquelles on se réfère - sont à la fois obèses et en santé.

Plus encore, M. Karelis signale que certaines de ses recherches antérieures ont démontré que la perte de poids chez les obèses qui sont en santé est non seulement inutile mais qu'elle peut être nuisible.

Comment est-ce possible ? «Nous avons encore du mal à l'expliquer, mais notre hypothèse, c'est que notre corps aime rester en équilibre. Un peu comme si, comme le veut l'expression anglaise, tant qu'une chose n'est pas cassée, mieux vaut peut-être ne pas y toucher.»