Natalia Lepiochkina choie comme ses «enfants» de drôles de vers gluants élevés au sang de vache. Au-delà de son aspect peu ragoûtant, la thérapie médicale à l'aide de sangsues est une pratique en vogue en Russie et elle gagne aussi du terrain en Occident.

Après avoir nourri les petites bêtes et les avoir rincées à l'eau fraîche, Mme Lepiochkina les met dans des bocaux en verre. «Elles sont contentes, elles sont rassasiées», dit tout sourire cette femme qui travaille depuis 25 ans au Centre médical international de sangsues.

Situé à Oudelnaïa, un village de petites maisons de bois situé à quelques kilomètres au sud-est de Moscou, l'établissement élève aujourd'hui trois millions de sangsues par an et se présente comme le premier producteur mondial en la matière.

La ferme, créée en 1937, a su profiter ces dernières années du regain d'intérêt pour les sangsues.

Car, alors que cette forme de thérapie avait été abandonnée depuis des décennies en Occident et était considéré comme une pratique moyenâgeuse, chercheurs, gouvernements et mêmes stars de Hollywood ont récemment revu leurs positions sur ces petits animaux.

Le très respecté American Journal of Nursing a souligné cette année que la thérapie par les sangsues connaissait une «résurgence», notamment pour traiter des patients après des actes de chirurgie plastique et reconstructrice.

En 2004, le gouvernement américain a approuvé l'usage de sangsues comme méthode médicale, et l'actrice Demi Moore a révélé l'an dernier qu'elle avait subi une thérapie aux sangsues en Autriche pour «désintoxiquer» son sang.

«Désormais, c'est une forme scientifiquement prouvée de traitement», affirme Guennadi Nikonov, directeur de la ferme. «Les sangsues nous révèlent de plus en plus leurs secrets», ajoute-t-il, assis dans son bureau devant un mur couvert de prix d'instituts russes et européens.

«Les sangsues ont un rôle d'anti-inflammatoire, elles aident à régénérer les tissus, empêchent la formation de caillots et fluidifient le sang», explique Galina Pietrakova, médecin spécialisée dans l'hirudothérapie - autre nom pour désigner la thérapie par les sangsues - dans une clinique de Moscou.

À Oudelnaïa, une petite armée de femmes vêtues de blouses bleues et de tabliers blancs surveille le cycle de vie de chaque sangsue, de l'ouverture des cocons pleins de bébés gluants à la préparation des adultes à des usages médicaux.

Certaines pièces du centre sont destinées exclusivement à l'accouplement: les sangsues y ont un peu plus de place et sont conservées dans des conditions de chaleur et de lumière idéales pour la naissance d'idylles.

En 10 ans, le centre dit avoir multiplié par cinq son chiffre d'affaires. Il domine aujourd'hui le marché russe et vend des dizaines de milliers de sangsues par an à une entreprise française qui les distribue ensuite en Occident.

Une belle revanche, alors que l'institution a connu une rude traversée du désert dans les années 1990, après la chute de l'Union soviétique et de son économie planifiée.

«Il n'y avait pas d'argent pour payer les salaires. Le bâtiment tombait en ruine», se souvient M. Nikonov.

Aujourd'hui, le directeur espère que les chercheurs trouveront bientôt de nouvelles vertus aux sangsues, ce qui permettrait à son établissement d'accroître encore ses ventes.

Déjà, le centre essaie de diversifier sa production et vend une gamme de produits cosmétiques sous la marque «Bioénergie», allant du shampooing à la crème pour le visage et préparés à base de sangsues.