Le chef le plus étoilé au monde, Joël Robuchon, et le mécène Bernard Magrez inaugurent mardi à Bordeaux un restaurant, avec l'ambition de rajouter trois étoiles aux 28 déjà détenues par le cuisinier dans une ville qui attend un trois étoiles depuis des lustres.

Cette distinction serait un évènement à Bordeaux, la ville devant regarder loin en arrière, avant-guerre, pour trouver trace d'un restaurant triplement étoilé, au Chapon fin.

À un âge - 69 ans pour Joël Robuchon, 78 pour Bernard Magrez - où beaucoup préfèrent jouir d'une retraite paisible et méritée, les deux compères affichent leur ambition, pas question de jouer «petit bras» ou les «faux modestes»: l'objectif est de conquérir trois étoiles au prestigieux guide gastronomique Michelin.

Tous deux se sont connus par un ami commun et «l'étincelle du respect mutuel» a aussitôt jailli, souligne à l'AFP Bernard Magrez, tandis que Joël Robuchon invoque «un homme qui comprend l'autre».

Il est vrai que les deux hommes ont bien des points en commun, en particulier de s'être fait à la force du poignet.

Poitevin, fils de maçon et d'une mère au foyer, Joël Robuchon tourne vite le dos à une vocation religieuse et quitte le petit séminaire, où il avait pris goût à la cuisine en aidant à préparer les repas, pour entrer en 1960, à 15 ans, comme apprenti au restaurant Relais de Poitiers. Attiré par les Compagnons du Tour de France, il adopte le nom de «Poitevin-la-Fidélité» et vit une aventure humaine marquée par le souci du travail bien fait - «l'homme doit se réaliser par son travail», aime-t-il dire - et la solidarité.

Meilleur ouvrier de France (MOF) en 1976, la suite est vertigineuse: première étoile Michelin en 1982, trois étoiles seulement deux ans plus tard, aujourd'hui 28 étoiles dans le monde, de Tokyo à Las Vegas, dont trois restaurants trois étoiles.

Bernard Magrez, lui, après de modestes débuts de négociant en alcools, est un poids lourd du vin avec 40 domaines dans le monde, dont le vin-phare bordelais Château Pape Clément, un groupe pesant 600 millions d'euros, et cela après des débuts d'apprenti comme affûteur de bois. Passionné d'arts, il est devenu un mécène reconnu et, dit-il à l'AFP, «la gastronomie est un art de grande tradition, l'art de recevoir à la française».

«Innovation, modernité et tradition»

Pour Joël Robuchon, fidèle à sa veste de cuisinier de couleur noire, «l'idée de Bordeaux est liée à l'énorme potentiel, avec les foies gras de canard, les cèpes, les agneaux, les huîtres et, naturellement, les vins». Et d'annoncer une cuisine «d'innovation, de modernité, mais aussi de tradition avec les plats emblématiques de la cuisine française». Pour l'ouverture mardi soir de La Grande Maison sera servi «un repas de quatre services avec en plat principal du boeuf style Rossini, un Châteaubriand avec un foie gras cuits ensemble», le tout à partir de 100 euros.

Et les plats-signatures du chef seront présents: tarte friande aux truffes, oignons confits et lard paysan, foie gras de canard aux truffes cuit en cocotte lutée et au fumet de céleri, sans oublier la célébrissime purée de pommes de terre et... au beurre.

Pour réussir ce défi, «Poitevin-la-Fidélité» a fait venir de son restaurant de Las Vegas (trois étoiles Michelin) son complice depuis vingt ans, le chef japonais Tomonori Danzaki, la salle étant dirigée par le Basque Jean-Paul Unzueta, venu des restaurants étoilés de Joël Robuchon à Monaco.

La carte des vins comprendra, notamment, les 259 crus classés et assimilés du Bordelais, une «première mondiale».

L'écrin de La Grande Maison - 40 couverts avec de plus un bar-bistrot, L'Olivier, et six chambres d'hôtel - est un hôtel particulier du XIXe siècle, du juriste Léon Duguit, dont la bibiothèque de livres anciens orne les murs du restaurant, la décoration étant l'oeuvre de Frédérique Fournier.

Mécénat culturel oblige, des oeuvres d'art contemporaines, venues de l'Institut culturel Bernard Magrez, qui fait face au restaurant, attirent l'oeil: Daniel Buren, Shen Yuan, Dan Hays, Martin Dammann, Valérie Belin, Alex Guofeng Cao, etc.