La Fonderie Darling est un lieu magnifique de la Cité du multimédia, rénové et réaménagé en centre d'art il y a une dizaine d'années maintenant. Les architectes d'In Situ ont fait un travail fabuleux pour repenser cet espace industriel en studios et en lieux d'exposition. Le restaurant Cluny, qui s'était installé au rez-de-chaussée, s'intégrait parfaitement à l'ensemble. Une cafétéria désinvolte où l'on suspendait aux plafonds vertigineux, la saison venue, le sapin de Noël à l'envers.

Après une longue collaboration, l'équipe aux fourneaux, qui est aussi celle du Titanic, a toutefois choisi de plier bagage. Et s'est installé au même endroit un groupe totalement différent, celui derrière le Club chasse et pêche et Le filet. Le nouveau restaurant s'appelle Le serpent.

L'espace est toujours aussi vaste, mais le côté brut du lieu a été légèrement estompé. Le plancher est blanc. La cuisine, installée dans un lieu clos. L'éclairage a été totalement repensé et évoque, avec un esprit un peu années 80 (très noir et blanc), les rangées d'ampoules des loges théâtrales.

Devant toute cette rénovation, on est séduit d'abord et avant tout par un élément grandiose: un tableau du peintre québécois Pierre Dorion, hommage à la lumière du jour tombant, accroché tout au fond du restaurant. On ne se lasse pas de le regarder.

Côté service, l'équipe du maître d'hôtel Hubert Marsolais est d'une grande et généreuse efficacité, mais surtout attentive. Pour l'assiette, ce n'est pas le chef Claude Pelletier, l'autre visage du tandem, qui cuisine, mais il a délégué le poste à Michele Mercuri, qu'on a connu au XO notamment et qui travaillait jadis avec Pelletier au défunt Cube. La cuisine affiche donc un caractère italien. Les saveurs sont riches, les plats, souvent copieux. On cherche parfois un peu de fraîcheur au menu, si on n'a pas un appétit de loup.

On la trouve dans une salade de betteraves tendres sous la dent, qui se marient à des chips de panais tout en délicatesse, à des feuilles de mâche, à des quartiers de mandarine. Quelques pacanes grillées légèrement relevées au cumin viennent ajouter des notes croquantes. On pense un peu à la cuisine de Jean-George Vongerichten, le grand maître franco-new-yorkais qui sait si habilement marier la maîtrise européenne des techniques et des combinaisons de saveurs à une certaine audace et liberté nord-américaine.

En entrée toujours, la salade César arrive avec un oeuf poché plutôt que cru et, dans la vinaigrette, les anchois sont frais plutôt que marinés (et trop salés). Des morceaux de pancetta évoquent les lardons traditionnels, tandis que les croutons sont remplacés par de fines tranches de pain en biscotte. On aime les câpres, les généreux copeaux de parmesan. La réinvention du classique se fait avec brio, tout en douceur équilibrée, sans écart trop aillé ou trop vinaigré, comme c'est trop souvent le cas.

En plat, l'assiette de raie est aussi impeccable. Mais ce n'est pas un plat de poisson léger ou évanescent, avec sa purée de pommes de terre, en plus des épinards bien tombés. De plus, le poisson est ponctué de la richesse de ris de veau qui fond en bouche.

La morue? Cuite une seconde ou deux de trop, pas plus. Mais le plat explose en bouche grâce aux olives, aux tomates confites. Les haricots coco apportent consistance, mais aussi, comme pour la purée du plat de raie, un certain rassasiement. Comme si le chef avait un peu peur qu'on ait encore faim. Pour ceux-là, je conseille la longe d'agneau, servie bien rosée, avec des raviolis aux herbes et à la ricotta et des aubergines en purée. Élégant et copieux.

Au dessert, la table s'est partagée en deux. Il y avait le camp du dessert au chocolat et à la noisette, combinaison de mousse et de parfait, oncteuse et bien typée, avec un goût de noisette grillée présent comme on le veut, compagnon parfait du chocolat noir.

J'ai préféré la tartelette de pâte feuilletée avec glace légèrement acide et marmelade à peine amère, aux agrumes. Une composition distinguée remplie de parfums précis. Comme au Club chasse et pêche, Masami Waki veille sur la pâtisserie et tout est fin, chaque saveur, chaque texture. Une conclusion délicate, mais bien sentie, pour un repas généreux, chic, qui étonne peu, mais où rien ne détonne jamais.

Le serpent

257, rue Prince, Montréal

514-316-4666

Style: cuisine italienne revisitée

Prix: menu du jour entre 17$ et 25$ le midi. Le soir, entre 9$ et 29$, qu'on module à sa guise selon son appétit. Les pâtes sont toutes offertes en versions entrées et plats principaux.

Carte des vins: une belle carte qui fait des efforts pour se distinguer, avec de nombreux crus peu connus. Les conseils du sommelier sont souvent essentiels. Plusieurs vins naturels. Prix très variés. Plusieurs bouteilles sous la barre des 40$.

Service: attentionné, efficace, professionnel. Un des points forts de ce restaurant.

Lieu: un restaurant très couru, situé dans un immeuble post-industriel consacré à l'art visuel, architecturalement très intéressant et où on a choisi d'exposer des oeuvres fortes, notamment une photographie de Geneviève Cadieux et une peinture de Pierre Dorion, deux artistes québécois. Il n'est pas interdit de ressentir une petite nostalgie pour l'aménagement plus brut du restaurant précédent, le Cluny, mais le nouvel établissement a su respecter l'esprit de l'espace.

Faune: Le serpent a déjà ses adeptes. On y croise des personnalités issues des milieux créatifs et des affaires, que ce soit le batteur du groupe Simple Plan ou la créatrice du spa Balnéa. Très cool.

(+) Le service, l'accueil, l'ambiance, l'assurance que tout sera bon, du vin en apéro jusqu'au dessert.

(-) Il manque au menu une ou deux options plus légères, plus diaphanes, pour foodies en quête de fraîcheur, de croquant, de verdure, en ce printemps qui s'est tant fait désirer.

On y retourne? C'est déjà fait.