On ne se lasse pas de manger de petites bouchées en appréciant le plaisir de la compagnie et de la conversation. Ça tombe bien, de plus en plus d'établissements offrent des portions dont le format s'apparente à une entrée, grâce auxquelles on peut goûter davantage de plats dans une même soirée. Évidemment, quand une formule devient aussi populaire, on risque aussi de tomber sur des menus sans imagination, dont la seule ambition est de profiter de la tendance. Ce n'est heureusement pas le cas au BarBounya, un «bar à mezzés turcs» dont l'offre très personnelle amène quelque chose de réellement nouveau dans le paysage.

Pour accompagner l'apéro, nous commandons le muhammara et le caviar d'aubergine, deux préparations à tartiner classiques dont on trouve des variantes dans plusieurs cuisines méditerranéennes. Le contraste entre les deux est frappant. La purée d'aubergines au yogourt, très pâle et animée d'un subtil parfum de fumée, est d'une grande douceur. Le muhammara rouge feu, par contre, est plus acéré que d'autres versions syriennes ou libanaises goûtées à Montréal: pas de doute, le piment ornant le dessus du bol est bel et bien présent dans le mélange. Les noix de Grenoble mentionnées au menu aussi, ce qui donne beaucoup de croquant et de relief à la préparation. Ces deux tartinades sont aussi agréables en alternance que réunies sur un même morceau de pain.

L'esprit des lieux dans l'assiette

Le barbunya, qu'on désigne en français sous le nom de rouget barbet, est un poisson très commun dans le bassin méditerranéen. La façon dont on a choisi de l'apprêter ici résume parfaitement l'esprit des lieux.

La chef Fisun Ercan, qui est déjà propriétaire d'un restaurant turc (Su, à Verdun), ne cherche pas ici à reproduire les recettes traditionnelles de son pays. Le BarBounya, ouvert en partenariat avec Edward Zaki (Chez Victoire, Confusion Tapas du monde), propose plutôt une cuisine «à la turque» - une inspiration visible tantôt dans les produits, tantôt dans les préparations. Témoin ce barbounya en ceviche, poisson typique apprêté selon une technique étrangère à la tradition turque. La chair blanche lisérée de rouge est tranchée très mince et servie avec des grains de grenade, des pois verts, de petits morceaux de tomate, de fines tranches de betterave colorées et de minuscules lamelles de piment fort vert et rouge. Un régal pour les yeux comme pour les papilles.

Le lakerda, fait ici avec du maquereau, est une salaison qui nécessite plusieurs jours de préparation alternant les passages dans l'eau et le sel. Il en résulte une chair très dense mais presque translucide, juste assez salée. La garniture discrète (pousses de fenouil, pétales de petits oignons, huile à l'aneth) arrondit un peu les bouchées sans étouffer le caractère unique du poisson. Une expérience vraiment intéressante.

Le porc, absent du répertoire culinaire turc classique, est une autre liberté prise avec la tradition. On se risque même à le servir en côtes levées, spécialité nord-américaine certes très populaire, mais sur laquelle les amateurs ont des préférences très arrêtées. Avec ses trois côtes levées accompagnées de riz basmati pilaf, BarBounya s'en tire honorablement, mais ne révolutionne pas le genre. La sauce à la «mélasse de sumac» est sucrée sans lourdeur ni excès, et la viande est moelleuse, mais ceux qui aiment leurs côtes enrobées d'une belle laque caramélisée n'y trouveront pas leur compte.

Nous pourrions continuer longtemps ainsi, car le menu excelle à piquer la curiosité. On voudrait voir ce que ce yogourt à l'ail noir apporte aux betteraves, ou comment sont les feuilles de vigne et la pieuvre grillée. Mais il faut se garder de l'appétit pour le dessert.

Le ravani est un gâteau simple mais généreux, dont la pâte moelleuse à base de farine et de semoule, de yogourt et d'huile d'olive absorbe à merveille le sirop sucré dont on l'arrose généreusement après la cuisson. Une crème de yogourt saupoudrée de pistaches et une touche de marmelade d'abricot complètent l'assiette.

Le baklava, quant à lui, est étonnamment léger. La pâte filo dorée, la garniture de noix de Grenoble et le sirop simple parfumé à la cannelle ont l'air de tenir ensemble par magie. Le résultat est à la fois croustillant et aérien, et bien assez sucré. Un heureux changement d'avec la plupart des baklavas lourds et figés dans le sirop collant que l'on trouve ici.

BarBounya

234, avenue Laurier Ouest, Montréal

514 -39-8858

www.barbounya.com

> Prix: de 10$ à 17$ pour les mezzés de viande et de produits de la mer, de 7$ à 14$ pour ceux à base de légumes, 8 et 9$ pour les desserts.

> Carte des vins: Plusieurs propositions de la Grèce et de la Turquie, intéressantes à essayer avec cette cuisine. Beaucoup d'importations privées.

> Service: Efficace, attentif et de bon conseil.

> Atmosphère: Les longues tables bordées de chaises hautes où l'on assoit les clients au fur et à mesure qu'ils arrivent instaurent d'emblée une ambiance conviviale et décontractée, et le niveau sonore est suffisant pour discuter sans se préoccuper des voisins.

> Décor: À la fois urbain et confortable: on est sur l'avenue Laurier Ouest, mais aussi dans le Mile End. Et inversement.

(+) Une cuisine méditerranéenne élégante et savoureuse, qui fait aussi une belle place aux ingrédients locaux (salicorne, chanterelles, agneau de Kamouraska, etc.).

(-) Une précision plutôt: le menu de ce restaurant qui s'affiche comme un «bar à mezzés» est entièrement composé de petites assiettes et n'offre pas de véritable plat principal. On peut très bien s'en accommoder (présent!), mais mieux vaut le savoir, car c'est une formule qui ne plaît pas à tous.

On y retourne? C'est déjà fait.