Ca sent quoi un aldéhyde ? Pas forcément très bon. Cette molécule de synthèse, artistiquement fondue dans un bouquet de jasmin, de rose et d'ylang-ylang, signe pourtant le célébrissime Numéro 5 de Chanel, le parfum mythique qui habilla les nuits de Marilyn.

Coco Chanel voulait «un parfum artificiel», «fabriqué» comme une robe. «Une femme, cela doit sentir la femme et non la rose», disait-elle.

Le Numéro 5, créé en 1921 par le chimiste Ernest Beaux et jusqu'à très récemment numéro un des ventes en France, consomme pourtant chaque année une vingtaine de tonnes de fleurs de jasmin de Grasse...

Les aldéhydes qui entrent dans sa composition sont comme «une touche de citron sur des fraises», pour reprendre une expression de Jacques Polge, l'actuel parfumeur de Chanel.

Dès 1889, Aimé Guerlain utilisait la chimie pour créer Jicky, considéré comme le point de départ de la parfumerie moderne, encore commercialisé aujourd'hui.

Il intègre la coumarine, à l'odeur de foin fraîchement coupé, une des premières substances artificielles à entrer dans la parfumerie, isolée dans la fève tonka, puis synthétisée par le chimiste anglais William Perkin.

Depuis la montée en puissance de la chimie organique, vers 1850, la part des ingrédients synthétiques dans les parfums n'a cessé d'augmenter.

Elle représente aujourd'hui, selon diverses sources, entre 50% et 90% de la formulation. Voire davantage dans des parfums bon marché, laissent entendre des spécialistes.

«Lorsqu'on compose un parfum, peu nous importe que les matières premières soient naturelles ou qu'elles soient de synthèse. Ce qui nous importe, c'est le rendu olfactif», explique à l'AFP Isabelle Ferrand, directrice générale de Cinquième Sens, société de création et de formation.

«Un bon parfum est fait en associant le meilleur du chimique au meilleur du naturel», tranche Laurence Fanuel, parfumeur chez Robertet, à Grasse, réputé pour la qualité de ses matières premières naturelles.

La chimie, une touche de couleur en plus

La chimie a enrichi la palette des créateurs, qui ont aujourd'hui à disposition plus de 3000 «couleurs». De grands parfumeurs «maison», comme Jean-Claude Ellena, nez d'Hermès, n'hésitent pas à dire que ces dernières ont «libéré» le parfumeur des contraintes de la nature.

Relative stabilité des coûts, disponibilité des volumes: la formule chimique «est plus facile à gérer», explique Laurence Fanuel. «C'est aussi pour ça que le naturel reste destiné à une parfumerie plutôt de luxe», ajoute-t-elle.

La chimie imite la nature, s'en inspire. Elle comble les vides, quand la nature n'a pas livré son secret: il est par exemple toujours impossible d'extraire le principe olfactif du muguet.

Elle invente aussi, comme l'odeur de la mer, synthétisée dans une molécule de Pfizer, la calone, présente notamment dans L'Eau d'Issey, un «floral aquatique».

Parfois même, elle se substitue gracieusement à une odeur existante, affirme Isabelle Ferrand, prenant l'exemple de la rose, grand classique de la parfumerie avec le jasmin.

Entre une essence de rose naturelle et une «reproduction de rose», la majorité des individus préfèrent la reproduction, «plus proche de la rose qu'on sent dans un jardin», dit-elle. «Après, c'est tout l'art du parfumeur d'utiliser une essence de rose naturelle, et de savoir l'habiller pour qu'elle devienne sublime»...

À l'heure du retour au naturel prôné sur tous les fronts, peut-on envisager de se passer de la chimie ? Une marque comme Honoré des Prés, née en 2008, revendique ainsi des produits «bio», «100% naturel, sans chimie», élaborés à partir d'ingrédients sélectionnés par Robertet.

«Lorsqu'on fait un parfum 100% naturel, on a un peu de mal à être créatif», tempère Laurence Fanuel. «On a du mal à aller mettre cette touche de couleur qu'un chimique peut nous donner, un bon coup de pinceau qui lui donne sa signature».