En septembre dernier, le quotidien britannique The Guardian a annoncé dans ses pages Life and Style que ceux qui soumettent leurs corps à la chirurgie esthétique ne sont désormais plus marginaux. «À une certaine époque, une célébrité qui passait sous le bistouri faisait les manchettes. Mais en 2010, plus personne ne bat une paupière botoxée pour ça puisque la chirurgie esthétique est devenue la norme.» Dans un monde où la norme est d'être jeune (en âge ou en apparence), d'avoir la peau lisse, un corps de gymnaste et des vêtements griffés, que reste-t-il de la coquetterie?

Mariette Julien, docteure en communication et professeure à l'École supérieure de mode de Montréal, s'intéresse à tous les phénomènes de mode. Elle soutient que, dans notre société occidentale polarisée entre le style sport décontracté et l'allure ultraféminine (voire «hypersexuelle»), la bonne vieille coquetterie d'antan s'éteint.

«Nous vivons dans un monde où la volonté d'atteindre des rapports plus égalitaires se traduit dans une mode sportive que l'on porte dans toutes les occasions. Même dans les soirées chic, on peut porter un beau jean avec un veston, alors qu'autrefois une femme pouvait se changer jusqu'à cinq, six fois dans la même journée. Aujourd'hui, on ne fait plus ça: on adapte sa tenue pour le cocktail du soir avec un foulard ou un bijou.»

Notre époque, poursuit Mariette Julien, est celle où la femme expose le plus son anatomie. «Après le look austère des années 80 est apparue la mode des sous-vêtements et des nombrils à l'air, qui s'est poursuivie dans les années 2000. Aujourd'hui, je vois mes nièces et mes élèves changer souvent de look, expérimenter. Cela crée une nouvelle forme de coquetterie fondée sur un désir constant de séduction.»

Coquetterie internationale

La coquetterie n'est pas la même à Westmount que dans les bars du centre-ville ou à Parc-Extension. Carla Beauvais, rédactrice en chef du magazine féminin Souche (qui s'adresse aux Québécoises de diverses origines ethniques), fait état de la dimension culturelle de cet art de vivre apparu bien avant l'invention du string, de la métamorphose extrême et du power shopping.

Dans sa communauté (haïtienne), toutes les occasions sont bonnes pour revêtir ses plus beaux vêtements, souligne Carla Beauvais.

«Les Haïtiens s'habillent pour n'importe quel événement, dit la jeune femme. Qu'il s'agisse d'un bal, d'une soirée cocktail, d'un mariage, il est de la plus grande importance pour un Haïtien d'être beau et de bien paraître.» Elle ajoute que, dans la culture haïtienne, on ne peut jamais être «trop habillé». Après les muses sexy comme Naomi Campbell, Halle Berry et Beyoncé, les coquettes haïtiennes vénèrent désormais Michelle Obama comme symbole ultime de classe.

«Elle incarne force et détermination, les attributs de la femme haïtienne», soutient Carla Beauvais, qui admet que ses congénères et elle s'amusent parfois (gentiment) de la décontraction québécoise en matière d'habillement. «On le fait de façon humoristique, pas pour dénigrer. C'est juste qu'on trouve ça «différent». Par exemple, on ne comprend pas comment, dans les mariages québécois, les hommes peuvent arriver en jean et certaines femmes en sandales et robe fleurie.»

En septembre dernier, Souche a publié un article signé Takwa Souissi sur la «coquetterie du voile». «Même si elle est voilée, la femme aime se sentir belle. Dans les occasions spéciales, elle en profite pour être un peu plus extravagante», y explique Elsy Freiche, jeune Québécoise d'origine libanaise qui affectionne les hijabs colorés et ornés de bijoux scintillants.

Les habits du dimanche

Carla Beauvais raconte avec un amusement attendri une situation vécue lors d'un voyage en Haïti en 2007. Cette anecdote témoigne selon elle de la coquetterie et de la dignité que l'on remarque souvent chez les moins nantis.

«J'étais à Léogâne, dans une plaine où vivent des gens qui n'ont ni électricité ni eau courante. Au moment où j'ai sorti mon appareil photo, tout le monde est allé se changer. Les femmes sont revenues avec leurs chapeaux et leurs plus belles robes. C'était pour ces gens un événement de se faire prendre en photo et il était de la plus grande importance de bien paraître.»

Mais dans le contexte occidental actuel, où l'on s'exhibe en photo quotidiennement (sur Facebook ou ailleurs), la coquetterie est passée en mode «exhibitionnisme». Et idéalement, les coquettes ont l'épiderme lisse, la fesse ferme et le ventre plat. Mariette Julien explique que, «dans une société comme la nôtre, où la mode est hypersexualisée, il faut forcer le désir. Dans les pubs de produits de beauté ou de vêtements, il faut que la femme annonce le plaisir sexuel. Cela a changé les règles de la coquetterie.»

La blogueuse et créatrice de bijoux Julia Vallelunga (www.alamodemontreal.com) a assisté à de nombreux mariages où, origines italiennes obligent, brille la coquetterie.

«Mes cousines sont toutes très coquettes. Et j'ai vu ma mère tellement souvent en talons hauts! Ma grand-mère et elle ne sortent jamais sans rouge à lèvres. Pour elles, c'est naturel», raconte la jeune femme, qui se dit inspirée par la coquetterie des années 50 pour la création de ses bijoux.

Julia Vallelunga milite d'ailleurs pour le retour d'une coquetterie bon chic, bon genre que n'aurait pas reniée sa propre grand-mère italienne (qui a porté du noir pendant 20 ans après la mort de son mari).

«Récemment, une designer et moi nous sommes demandé à quoi nous ressemblerons quand nous serons âgées. Quand j'étais adolescente, la mode était aux Doc Martens (que je n'aurais jamais osé porter devant ma grand-mère). Mais je regarde les jeunes filles, aujourd'hui, et je les trouve vraiment coquettes et bien habillées.»